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La triche, un sport national ? De notre correspondant à Matam, Habib KÂ, Thilogne

Encore cette année, le Sénégal a eu à faire avec les désagréments liés aux examens du baccalauréat. Deux candidats suspendus pour détention de portable, la dénommée “Team Pékesse” composée de 15 jeunes filles dont 7 prises en flagrant délit de possession d’épreuves. Un amoureux déguisé en femme venu suppléer sa dulcinée.

Si le cas de Khadim, un servant amoureux, amuse, celui des jeunes filles organisées en bande dans un groupe watshap doit inquiéter, surtout que le promoteur est un enseignant, directeur et propriétaire d’une école, de surcroît récidiviste.

La triche, aussi vieille que le monde, structure toutes les strates de la société. Si au lycée c’est une question épisodique de jeunes adolescents désemparés, chez les adultes, elle constitue le sport national.

Un jeune étudiant, déguisé en femme, compose à la place de sa petite amie ; la vidéo virale est sur les réseaux sociaux. Un groupe WhatsApp de tricheurs, domiciliés à Pikine, candidats libres au baccalauréat au centre de Pékesse, dans le département de Tivaouane, démantelé.

Ces faits délictuels, partie visible de l’iceberg, suscitent inquiétudes et exaspérations chez les parents et les autorités publiques. Une déviance grave parce que la triche, l’arnaque, la tchatche, l’escroquerie, la simulation, la dissimulation gangrènent cette société où le goût de réussir à tout prix, même avec les moyens les moins orthodoxes, prime sur tout.

Dans la réalité de tous les jours, des recommandés figurent en bonne place sur la liste définitive des admis alors que des bacs plus 5 ou plus 4, éternels stagiaires ou chômeurs, s’inscrivent à des concours de niveaux très inférieurs, et ne parviennent que très, très difficilement à être sélectionnés. De la triche pure.

Les diplômes de complaisance délivrés facticement par certaines Universités et Instituts pour corser un CV, les fausses attestations. C’est aussi de la triche.

Le cas moindre pourrait être celui d’un candidat confronté à des difficultés sur le sujet à traiter, qui lorgne la feuille du voisin et récolte la bonne note, puis le diplôme, le travail. Le revenu issu de ce travail est considéré comme n’étant pas le fruit de son labeur : la clé du sésame étant la triche.

Khadim le servant, le jeune qui, par amour extrême, veut prouver à sa petite amie que son attachement à elle n’a pas de limite et qu’il est prêt à faire le saut périlleux s’il le faut pour lui décrocher la lune, le bac comme alliance.

Des faits anodins pour certains mais qui mettent à nu la tare du système de fonctionnement d’une société déstructurée, vulnérable.

Par exemple, dissimuler son âge réel à l’état civil, ses biens, ses propriétés ; simuler des pouvoirs, des moyens, des airs, faire de faux semblants. Et pourtant, c’est de la pure triche.

Que dire de la série des faux : cils, ongles, seins, hanches, fesses, ventres ?

De la perruque, du greffage, du maquillage, des lentilles, des liftings, tous attirails pour paraître autrement ?

Des cheveux blancs épilés, chaque fois, des têtes rousses continuellement noircies, des barbes et moustaches quotidiennement rasées pour faire jeune ?

Escroquer dans le port de l’habit qui fait le moine, dans l’accommodation pour incarner les apparences de celui qu’on veut être pris pour tel. Habillement en trois pièces propres aux col-blancs, accoutrement de grand marabout, déguisements de guérisseurs.

Or, les bonnes manières, la bonne éducation recommandent la vertu, l’honnêteté et condamnent la transgression du légal et du licite. Au-delà de la réprobation des hommes, la triche est considérée comme un péché.

Changer les étiquettes d’un produit pour lui donner une qualité supérieure, une valeur en hausse, modifier la date de péremption, c’est de l’arnaque. Encore de la triche.

Un commerçant qui vend un objet défectueux ne doit pas cacher les vices de celui-ci mais le montrer à l’acheteur pour qu’il l’apprécie à sa juste valeur.

Combien sont ceux parmi eux, prêts à jurer facilement sur leur bonne foi ?

Et les supercheries de la balance ? Pour acheter, le commerçant qui pèse plus que ce qu’il faut et prend trop pour lui et pour vendre, la balance est encore trafiquée pour faire perdre au client des poids, fait de la double triche

Le cas des loumas est édifiant. Les commerçants viennent dès les récoltes ramasser les niébés des paysans désargentés imposant leur prix et leur propre mesure, un ustensile spécifique dépassant le kilogramme. Les commerçants thésaurisent les graines jusqu’à la période de soudure pour les revendre au kilo au prix du double.

N’est-ce pas de la triche en triple répétition ?

Les actes de la “Team de Pékesse”, de Roméo et Julette sont répréhensibles en tout point de vue, eu égard au devenir d’une Nation qui compte sur une jeunesse saine, déterminée, travailleuse, prête à relever les grands défis pour son autonomie, son developpement, son émergence.

Chaque citoyen est interpelé pour faire le point sur soi, se reforger une bonne morale, s’ameliorer, se rendre meilleur pour servir avec dignité et humilité son pays à son niveau de responsabilité.