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Karim Wade, Khalifa Sall, Ousmane Sonko: Corde raide sur le cas par cas De notre correspondant à Matam, Habib KA, Thilogne

Ne mangez pas la consigne !

Macky Sall doit les consommer avec modération en pensant à la stabilité intérieure et extérieure du Sénégal ; déjà qu’on parle de loi sur le terrorisme.

Comme Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade qui ont su et intégré leurs opposants, Macky Sall est appelé aujourd’hui à faire jouer la modération, la pondération, si c’est nécessaire, pour éviter au Sénégal de s’embraser. Les circonstances atténuantes dont bénéficiera sans doute Ousmane Sonko devraient inciter Khalifa Sall et Karim Wade à négocier au grand jour et non laisser leur sort entre les mains du président de la République.

Quand le pays se déstabilise, c’est le Sénégal de tous qui perd son pétrole, son gaz, ses multiples richesses pour rejoindre les pays maudits par leurs ressources. Il n’y a pas la malédiction du pétrole mais seulement des enjeux mal maîtrisés par des politiciens avides de pouvoir.

Le président-poète Léopold Sédar Senghor, de sa posture de chef de l’État du Sénégal, était confronté à gérer de très fortes personnalités politiques qui ne nourrissaient de lui aucun complexe : Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop, pour être précis ; Abdou Diouf, lui, avait Abdoulaye Wade, Amath Dansoko, Landing Savané, Mamadou Ndoye, des têtes très difficiles à contrer ; Maître Abdoulaye Wade besognait à canaliser Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niass, Macky Sall himself.

Tous ces trois composaient avec leur opposition, même si ces relations étaient très heurtées et débouchaient parfois à des duels épiques. Toujours est-il que, par esprit de grandeur et de gentlemen’s agreement, ils arrivaient à contenir les rancœurs et esprits partisans des uns et des autres, quand la République pouvait basculer de son piédestal. Une intelligence consensuelle, autour de l’essentiel pour sauver le pays de toute dérive.

Entre l’actuel président et son opposition, les relations sont tout autres.

Depuis sa déclaration publique d’anéantir celle-ci, l’élimination de Karim Wade, de Khalifa Sall est perçue comme étant de ses œuvres, le dossier Adji Sarr-Ousmane Sonko aussi. L’opposition et une partie de l’opinion lui prêtent d’avoir usé de ses positions de pouvoir pour éliminer des adversaires politiques, faire le vide autour de lui, de sorte à ne pas avoir de concurrent gênant. Ceci n’agrandit pas la démocratie sénégalaise, ni son président de la République. Cette opposition, pourtant, mérite considération et respect puisqu’elle est la voix de 41,80 % des électeurs sénégalais qui lui ont accordé leur confiance : réduire à néant ces voix populaires, c’est s’ériger contre la démocratie participative, l’expression plurielle.

Karim Wade et Khalifa Sall ne retrouveront pas de sitôt leurs droits civiques, à six mois des élections communales et départementales. Il est une prérogative exclusive du chef de l’État de pouvoir amnistier les deux condamnés. Le fera-t-il si les deux se font distinguer par leur mollesse dans leur combat, leur jeu trouble dans les intrigues et murmures des couloirs du palais ? Ils n’ont rien fait de concret, de tangible, ces deux principaux opposants et leur parti et mouvement, pour agiter l’opinion, médiatiser leur isolement du champ politique. Au contraire, ils ont opté s’emmurer dans leur silence, avec le choix libre de discuter, seuls, avec le palais, sans engager l’opposition.

Le Parti démocratique sénégalais (PDS) ne fait montre d’aucun signe de malaise quant à la gouvernance mackyste et s’il s’arc-boute dans la posture d’exiger la révision du procès de Karim Wade, sûr que celui-ci va rater tous les trains des opportunités politiques, d’ici 2024.

Sans aucune pression, nullement ébranlé, le président a toute la latitude de se concentrer sur ce qui est aujourd’hui capital pour lui : rendre acceptable aux jeunes et à l’opinion sa 3ème candidature. A quoi bon donc s’encombrer du sort d’un Karim Wade ou de celui de Khalifa Sall, si ceux-ci ne font aucun effort pour leur propre personne, laissant ce qui leur reste encore de militants essayer sans conviction de faire le boulot à leur place ?

Khalifa Ababacar Sall a toujours gardé le silence depuis sa grâce présidentielle obtenue dans des conditions encore assez floues. Sa conférence de presse, à sa sortie de prison, a laissé dubitatifs ses militants, suite à sa brève déclaration : les Sénégalais attendaient de lui un discours énergique sonnant la mobilisation et la radicalisation de And Doolel Khalifa dans le camp de l’opposition. Taxawu Sénégal a perdu de sa verve, laissant tout le boulevard de la mobilisation et de la communication au Pastef, au M2D et au soldat Barthememy Diaz ; ainsi, le Pastef, le M2D, le bataillon inconnu des jeunes de la rue continuent de tenir le haut du pavé.

Et, fort de ses 15 % à l’élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko, arrivé 3ème derrière Idrissa Seck, est devenu, de fait, chef de l’opposition, suite à la reddition de celui-ci. Le statut de chef de l’opposition agité en épouvantail, un temps par le chef de l’État, fut plié et rangé aux oubliettes. Macky Sall ne commettra certainement pas l’imprudence de confier ce poste très stratégique à son adversaire le plus radical, le plus pugnace. Au contraire.

Circonstances atténuantes pour Sonko

Aussi, le dossier Adji Sarr-Ousmane Sonko entre les mains de la justice pour viols répétitifs aggravés par des menaces de deux armes à feu est en train de se perdre dans des requalifications juridiques des faits qui permettront certainement au leader de Pastef, si le Droit est dit, de bénéficier de circonstances atténuantes et de conserver ainsi ses droits civiques. Il serait toutefois très tôt de crier à la victoire, tant que l’épée de Damoclès continue de planer sur sa tête. Les subtilités du Droit pouvant toujours réserver d’énormes surprises à l’inculpé.

Les soulèvements insurrectionnels du début du mois de mars ainsi que la mort d’une douzaine de jeunes, les risques de regain de la violence font que le pouvoir surveille Ousmane Sonko et ses résistants comme du lait sur le feu.

Rien ne sera de trop pour le régime pour freiner l’inclination des jeunes à manifester, à dénoncer par des batailles médiatiques organisées où ils sont plus prépondérants que la Task- Force républicaine, forte de ses 30 commandos, qui peine encore à trouver ses repères, depuis sa mise sur pied.

Comme ses prédécesseurs, chefs d’État sénégalais, le président de la République doit pouvoir lire le message que lui envoie le peuple sénégalais et faire le choix personnel au moment opportun. Comme le dit l’adage, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Le Sénégal est-il en train d’entrer dans une zone de turbulence, la menace terroriste agitée, les réseaux djihadistes annoncés dans nos murs, la guerre contre les LGBT déclarée sous forme de vendetta, de chasse à courre aux homos, ignorant tout de la puissance de feu de ce lobby international, de ses ramifications et implications. Un secteur estudiantin en pleine ébullition avec 45 grévistes renvoyés, des militaires invalides dans la rue, protestant contre leur hiérarchie, des hausses considérables des denrées de première nécessité, le récurrent phénomène des inondations, à l’heure où l’opposition et le pouvoir sont à couteaux tirés sur les échéances électorales dont leur programmation, leur déroulement sont sujets à toutes les controverses, la probabilité du 3ème mandat réintroduit dans le débat national ; tous les ingrédients nécessaires à un cocktail explosif sont déjà présents. Comme on dit, une étincelle peut embraser toute la plaine.

La classe politique a besoin de plus de sagesse, de discernement, de se ressaisir pour faire la part des choses.

Comme Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, jouer la modération, la pondération, si c’est nécessaire, pour éviter le Sénégal de s’embraser.

Les sirènes du démon cultivent la haine et la suspicion entre les citoyens. Quand le pays se déstabilise, c’est le Sénégal de tous qui perd son pétrole, son gaz, ses multiples richesses pour rejoindre les pays maudits par leurs ressources.