JEAN ET SON FILS FRANÇOIS COLLIN Commis de l’Etat de père en fils
C’est, à chaque fois, à la faveur de la présentation du rapport de l’Inspection générale d’Etat au président de la République que son visage apparaît aux Sénégalais. De son vrai nom François Lat Collin, ce fils de haut fonctionnaire a quasiment suivi les traces de son père qui, toute sa vie durant a servi l’administration. Le défunt Jean Collin a été un fidèle serviteur de «La coloniale» d’abord, au Cameroun dès 1946 avant d’atterrir au Sénégal en 1948. Jean Collin restera jusqu’à sa mort un serviteur dévoué de l’Etat, un homme aux multiples visages mais d’une efficacité redoutable.
Son fils, François Collin, fonctionnaire dévoué comme lui, est devenu, en tant qu’Inspecteur d’Etat, Vérificateur général de la République du Sénégal depuis juillet 2013, date de sa nomination. Mais, auparavant il a occupé de nombreux postes dans l’administration avant de devenir le très respecté chef de l’IGE qui n’apparaît au public que lors de l’événement cité plus haut, c’est-à-dire la présentation officielle du rapport général de ces contrôleurs de la conformité des actes de l’administration à leur seul chef, le président de la République. S’il est mis sur le devant de la scène aujourd’hui, ce n’est pas de son plein gré. Très discret, effacé pour être plus précis, personne ne l’a jamais vu dans un endroit public. Il ne fréquente ni bar, ni restaurant, encore moins n’apparaît-il dans les soirées mondaines où se bousculent les VIP de la République si prompts à se pavaner et à parader devant les flashes et les caméras. C’est donc seulement à ces occasions solennelles qu’il n’apparaît que contre sa volonté mais, face au devoir il ne peut s’éclipser comme à son habitude. Aujourd’hui son nom est sur toute les lèvres car le rapport que ses services viennent de présenter au chef de l’Etat est bouleversant. Il met à nu toutes les imperfections de l’administration de notre pays, les faits délictuels des hauts fonctionnaires chargés de gérer les deniers publics en «bons pères de familles», leurs magouilles, leurs détournements, leur enrichissement sans cause ou encore leur népotisme. François Collin a rappelé à tous les Sénégalais que notre administration souffre de maux multiples qui se résument à des actes de détournements, des recrutements illégaux d’affidés et autres joyeusetés que l’on peut appeler simplement mal gouvernance chronique. Cet homme n’aurait sans doute pas souhaité être ainsi mis au-devant de la scène pour n’avoir fait que son travail, mais il aura eu le mérite de mettre à jour les agissements délictueux de fonctionnaires sans scrupules qui, à tout le moins méritent des sanctions administratives et… judiciaires dans certains cas.
Collin fils est né à Dakar le 5 Septembre 1957. Il est titulaire d’un D.E.A en Droit public (option relations internationales) obtenu à l’Université Cheikh Anta Diop en 1985 avant de soutenir avec succès une thèse de doctorat d’Etat en Droit public en 1990 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar qui portait sur le thème «Recherche sur la nature juridique du système politique sénégalais». Il est également titulaire d’un master en Finances et Gestion publiques obtenu dans un Institut supérieur privé de Finances de Dakar depuis novembre 2004.
François Collin est donc un monsieur qui sait ce qu’il fait et de quoi il parle. Car, l’administration sénégalaise, ça le connaît !
Depuis 1986, en effet, il a occupé différents postes importants au sein de l’administration. Son CV est long comme un fleuve sans fin : Adjoint au chef de Division de la Division des Conventions et Accords internationaux au ministère des Affaires étrangères de juillet 1987 à avril 1988, il a assuré, toujours au sein de ce Ministère, l’intérim du Chef de la Division des Conventions et Accords internationaux. Pendant une courte période (avril 1988 à octobre 1988), il a été Conseiller technique auprès du ministère du tourisme. Puis, d’octobre 1988 à mars 1990, il a été nommé au Ministère du Tourisme comme Directeur de Cabinet par intérim. Et, cumulativement à ses fonctions au ministère du Tourisme, il est nommé Conseiller en service extraordinaire auprès de l’Assemblée générale consultative, à la Cour Suprême, puis au Conseil d’Etat.
C’est au cours de cette période qu’il réussit au concours direct pour l’accès dans le Corps des Inspecteurs généraux d’Etat où il servira jusqu’en mars 1995.
De Mars 1995 à juin 1999, il fut Secrétaire Général Adjoint des Services présidentiels. Cumulativement à ses fonctions, il a été nommé liquidateur de la Caisse de Péréquation et de Stabilisation des prix, de février 1996 à juillet 1998. De juin 1999 à avril 2002 il est nommé Directeur général de la Société nationale de Recouvrement. Et, depuis avril 2002, il a exercé au sein de cette institution la fonction de Vérificateur général adjoint à partir de février 2009 avant de se voir bombarder Vérificateur général du Sénégal en 2013.
Qui, mieux que ce haut fonctionnaire qui a blanchi sous le harnais peut déchiffrer les tares de notre administration ? Cela ne lui vaudra sans doute pas que des amitiés mais, pour ce fils de fonctionnaire le devoir passe avant la gloire, n’en déplaise aux ministres et autres Directeurs généraux qu’il épingle sans discontinuer depuis qu’il est dans la place.
Le père Jean comme modèle
Quant à son père, le fameux Jean Collin que les jeunes générations ne connaissent que très peu, il s’est illustré dans l’administration sénégalaise de manière controversée. Pour les uns, ce n’était qu’un fonctionnaire colonial qui «surveillait» l’administration sénégalaise pour le compte de la France qui n’a accordé l’indépendance à notre pays que du bout des lèvres. Une version populaire le présentait comme une sorte de super espion de la France qui rendait compte quotidiennement des faits et gestes de nos hommes politiques, à commencer par le président de la République lui-même.
Il est né à Paris le 19 septembre 1924 et il a été formé à l’École nationale de la France d’outre-mer et à l’École des langues orientales. Il arrive au Sénégal en 1948 et, au début des années ‘50 il est nommé à la tête du service d’information et de Radio Sénégal, avant d’intégrer le gouvernement de Mamadou Dia comme chef de cabinet de celui-ci. En 1958, il fera partie du camp de ceux qui ont voté «non» au referendum proposé par le général de Gaulle en faveur de la création d’une union française, autant dire qu’avec les porteurs de pancartes comme feu Mbaye Jacques Diop, il était favorable à l’indépendance immédiate du Sénégal.
C’est ainsi qu’il devient successivement gouverneur de la région du Cap-Vert, secrétaire-général du gouvernement et, de 1962 à 1964, secrétaire général de la présidence.
Sa carrière prend une nouvelle dimension lorsque le 8 février 1964 le président Senghor, qui vient de supprimer le poste de Président du Conseil de gouvernement à la suite de son différend avec Mamadou Dia, le nomme ministre des Finances en remplacement de Daniel Cabou.
Collin conserve cette fonction jusqu’en avril 1971, date à laquelle on lui confie un autre poste de premier plan, celui de ministre de l’Intérieur.
Seul ministre d’État du gouvernement et numéro deux du Parti socialiste, Jean Collin est de plus en plus contesté à la fin des années 1980, d’une part par l’opposition qui le qualifie tantôt de « crypto-communiste », tantôt de « gouverneur colonial », mais également à l’intérieur de son propre parti. À l’occasion de l’important remaniement ministériel du 27 mars 1990 qui réduit le nombre de membres du gouvernement de 27 à 21, Abdou Diouf se sépare de Jean Collin et le remplace par André Sonko. Ce départ inattendu est accueilli avec satisfaction par une bonne partie de l’élite politique sénégalaise à qui son influence déplaisait fortement.
Collin est également démis de ses fonctions de secrétaire chargé de la vie politique du Parti socialiste et de président du comité chargé de préparer le congrès du parti prévu au mois de juin de la même année. C’est Abdoul Aziz Ndaw, président de l’Assemblée nationale, qui lui succède à ces deux postes. À cette époque son fils, François Collin, était directeur de cabinet du ministre du Tourisme.
Il est mort le 18 octobre 1993 à Bayeux, en France, à l’âge de 69 ans, des suites d’une longue maladie. Selon sa dernière volonté, il est inhumé au Sénégal, à Ndiaffate, à quelques encablures de Kaolack d’où était originaire son épouse Marianne.
Pour nombre de Sénégalais, c’est le rapprochement envisagé entre le président Abdou Diouf et son rival politique Abdoulaye Wade qui a eu raison de la carrière étatique de Jean Collin. En effet, depuis plusieurs années l’homme faisait l’objet de vives attaques de la part de Wade, avec l’aide très précieuse de son ancien numéro 2, Ousmane Ngom qui ne cessait de fusiller le ministre d’Etat Jean Collin dans les colonnes de l’organe central du Pds, Le Démocrate d’abord, avant de l’abattre définitivement par des articles incendiaires qui paraissaient depuis février 1988 dans le journal Sopi. Une version populaire l’a dépeint comme étant le commanditaire de l’assassinat de deux commissaires de police morts dans des circonstances non encore élucidées
Toujours est-il que Jean Collin aura été un fonctionnaire consciencieux, rusé en diable et soucieux du moindre détail. Son fils ne pouvait échapper à ce destin de fonctionnaire flegmatique tourné vers le devoir, rien que le devoir.
Mohamed Bachir Diop