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Haïti : C’est le moment ou jamais

Haïti

Avant qu’il ne soit trop tard
par Adama DIENG (*)
21 mars 2024
Le 1er janvier 1804, date qui devait marquer l’épilogue d’une révolution épique et historique contre
les autorités coloniales françaises, Haïti proclamait son indépendance sous la houlette de Jean-Jacques
Dessalines.

Anciennement Saint-Domingue, « Haïti », le « pays des montagnes » en langue taïno, devient ainsi la première nation noire indépendante de l’hémisphère occidental, et bien plus tard, membre fondateur des Nations-Unies, de l’Organisation des États américains, de l’Association des États de la Caraïbe et de l’Organisation internationale de la Francophonie.219 ans plus tard, le 1er janvier 2023 exactement, une tribune intitulée « Prise en otage, Haïti se

219 ans plus tard, le 1er janvier 2023 exactement, une tribune intitulée « Prise en otage, Haïti se 219 ans plus tard, le 1er janvier 2023 exactement, une tribune intitulée « Prise en otage, Haïti se meurt. Agissons maintenant » que j’avais initiée a été publiée. Je remercie sincèrement les personnalités éminentes des cinq continents qui ont cosigné cette tribune, parmi lesquelles des chefs d’État actuels et anciens, le président de la Commission de l’Union africaine et des intellectuels de renom.
Plus d’un an après la publication de la tribune, on se demande si le cri du cœur que nous avons lancé a été clairement entendu. En effet, depuis lors, la situation en Haïti s’est profondément détériorée et est devenue encore plus désespérée. Néanmoins, reconnaissance, appréciation et encouragement doivent être offerts à toutes les entités et personnalités, telles que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres et le gouvernement de la République du Kenya, sous la direction du président William Ruto, qui se sont depuis lors engagées à poursuivre leurs efforts à soutenir le peuple haïtien dans ses moments les plus difficiles où il en a besoin.

En octobre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé le déploiement en Haïti d’une mission multinationale dirigée par le Kenya pour tenter de rétablir l’ordre face à la spirale de la violence des gangs et à l’effondrement de l’ordre public. Cependant, ce déploiement, déjà retardé par une procédure judiciaire kenyane, pourrait être rendu plus difficile par les complications politiques et les réalités en Haïti même. Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, le Bangladesh, la Barbade, le Tchad et la Jamaïque ont officiellement notifié aux Nations-Unies leur intention de fournir du personnel à une force internationale.
La Communauté des Caraïbes (CARICOM) a déployé des efforts remarquables en faveur de la paix en Haïti. Par ailleurs, l’évolution la plus récente semble indiquer que le gouvernement du Bénin, sous la direction du président Patrice Talon, serait également prêt à engager ses forces pour contribuer à la stabilisation de ce pays caribéen si emblématique pour de nombreux pays africains. En effet, Haïti, terre plongée dans les traditions africaines, est intrinsèquement liée à l’Afrique à travers l’histoire, la culture et la spiritualité.
Pourquoi une action internationale efficace et rapide est-elle si tragiquement tardive alors qu’une population victime étouffe et qu’il existe une chance, aussi complexe soit-elle, de renverser la situation ?
L’humanité doit écouter et répondre aux cris du peuple haïtien. Le Premier ministre d’Haïti, Ariel Henry, a annoncé sa démission il y a quelques jours. La communauté internationale appelle à la mise en place d’un gouvernement de transition qui pourrait libérer le pays de la violence.
Dans un pays ruiné et débordé, dont les services de base nécessaires à l’existence de la population, notamment les hôpitaux, les écoles et les entreprises se sont effondrés, des gangs criminels contrôlent la majeure partie de la capitale tandis que les gens tentent désespérément de s’échapper et de chercher refuge dans les pays voisins ; pour un pays où l’accès à l’aéroport principal est bloqué ; son palais présidentiel et ses commissariats ont été pris d’assaut ; pour un pays dont les deux principales prisons ont été attaquées, entraînant la fuite de plus de 4.000 prisonniers ; pour un membre de la famille des nations, peut-être l’un des plus fragiles, qui saigne devant nous tous avec un risque élevé de guerre civile totale ; pour Haïti, une inertie ou une hésitation persistante équivaudrait à un crime de non-assistance. Le Conseil de transition réclamé par la communauté internationale sera, espérons-le, composé de personnalités des principaux partis politiques, du secteur privé, de la société civile et des groupes religieux. Mais aucun des dirigeants n’a de mandat légitime. Certains sont même sous les sanctions des Nations–Unies ; ils sont tous très divisés d’autres ont été inculpés de graves crimes dans leur pays et à l’étranger.
L’héroïque peuple haïtien, mille fois meurtri, trahi à maintes reprises, mérite plus et mieux, malgré la complexité de la situation actuelle. L’Alliance panafricaine pour la Transparence et l’Etat de Droit (PATROL), dont l’objectif est de favoriser la transparence et le respect de l’Etat de droit et d’agir comme moteur de développement, est prête à user de ses bons offices et à servir de canal de communication afin de faciliter le rapprochement entre les différentes parties en Haïti. Le Conseil d’administration, l’organe directeur central de notre organisation, composé de personnalités de premier plan dans les domaines de la transparence, de la justice et des réformes de l’Etat de droit, de la gouvernance et des droits de l’homme du monde entier, a confirmé que PATROL est prête à jouer un rôle de catalyseur et de conseil dans la promotion des réformes de la justice compatibles et adaptées au système judiciaire national et à la culture d’Haïti. Nous voulons être à l’écoute et disponibles pour le peuple haïtien – les Haïtiens de l’intérieur et ceux de la diaspora – et servir toutes les parties souhaitant œuvrer pour un retour de la stabilité et la restauration d’institutions de gouvernance crédibles et légitimes.
Plus spécifiquement, PATROL serait honoré de contribuer humblement à l’avenir d’Haïti en renforçant le système de justice pénale, en luttant contre l’impunité et la corruption, en améliorant le système pénitentiaire et en soutenant la sécurité et les droits de l’homme. Il est temps d’agir sans calculs politiques ou géopolitiques. À cet effet, PATROL est prête à s’engager et à travailler avec des partenaires locaux et internationaux pour faire avancer et atteindre ces objectifs.
Haïti a survécu aux profonds tourments de la traite transatlantique des esclaves. Haïti a survécu aux énormes ravages causés à la fois par la nature et par l’homme, tels que les tremblements de terre, la déforestation disproportionnée, la pauvreté abjecte et la misère, des institutions de gouvernance faibles, voire absentes, l’instabilité politique et des conditions humanitaires désastreuses, y compris une épidémie de choléra importée au pays. Haïti, une nation dotée de magnifiques auteurs, poètes, grands artistes et musiciens, a également survécu aux gangs, à la violence sexuelle et aux orgies de violence. Haïti a continué à survivre à des cauchemars récurrents. Ce à quoi ce peuple merveilleux, cette terre extraordinaire ne survivra pas, c’est le manque d’action efficace, qui serait une autre trahison aux proportions épiques.
L’humanité doit agir et agir rapidement pour soutenir le peuple haïtien pour la reconquête de son pays sur la base de la justice, de l’équité et du progrès socio-économique. Aidons sincèrement, généreusement et courageusement les Haïtiens à reprendre leur destin en main et à vivre en paix.
En effet, nous pourrions tous être coupables de ne pas avoir porté assistance à ce peuple remarquable en danger.
Pour la « Perle des Antilles », l’humanité a les moyens de faire en sorte qu’il ne s’agisse pas là d’un vœu pieux.

Adama DIENG,Président fondateur de PATROL
Ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU/Conseiller spécial pour la prévention du génocide.
Ancien Expert indépendant sur la Situation des Droits de l’Homme en Haïti.
Ancien Greffier du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
Ancien membre du conseil d’administration de l’Institut international pour la démocratie et
l’assistance électorale.