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Énième coup de Macky Sall ou premier faux pas de Sonko ? Chérifa Sadany SOW

Le leader de Pastef se méfie-t-il de tout affaitage* ?

Avec sa plus simple expression, Ousmane Sonko réfute toute accusation portée sur son « dos ». Il n’a pas massé ses mots lorsque dans son point de presse, il accuse l’Etat d’être à la tête de ce complot dans lequel il est accusé de viol. Ce tiraillement porte à croire que le combat n’est pas terminé ni perdu… mais pour lequel des deux camps ? 

Analyste politique, Megueye Sèye, doctorant chercheur au centre Études des relations internationales et stratégiques de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD), apporte son point de vue sur la situation en répondant aux questions ci-dessous.

Quel est votre avis sur la situation actuelle de Ousmane Sonko ?

Nous sommes dans une situation un peu confuse depuis que Adji Sarr dit avoir été violé par Ousmane Sonko, ce qu’il réfute d’ailleurs complètement. Dans un Etat de droit, je pense que ce qu’il y avait lieu à faire, c’est de prendre la plainte, mener les enquêtes préliminaires. Ousmane Sonko n’est pas n’importe qui au Sénégal puisque c’est un débuté de la république.  Il y a des procédures qui sont là pour convoquer un député de la République ; mais à mon sens, la façon dont les affaires évoluent maintenant, la tournure que ça prend démontre très sincèrement qu’il y a des volontés aujourd’hui manifestes, de nuire à la personne de Ousmane Sonko.

Son statut de leader de l’opposition lui permet-il de se rendre à un salon de massage sans effectivement surveiller ses arrières ?

Beaucoup de Sénégalais disent qu’il ne devait pas se rendre à ce salon de massage mais y a de ces bassesses auxquelles on ne peut pas s’attendre. On ne peut pas penser que certaines personnes iraient jusqu’à puiser de l’état de santé de la personne, car ce n’est pas quelque chose de nouveau. Ousmane Sonko dit avoir commencé cette thérapie depuis 2007 et vous savez la thérapie combien ça coûte si vous voulez déplacer une personne pour venir chez vous, et donc moi je pense que c’est comme une personne qui demande à son épouse de ne pas aller voir un gynéco alors que sa santé en dépend. Ce qui fait que donc je suis tout à fait d’accord qu’il aille dans ce centre pour se soigner. Du moment où ses épouses, les parents proches étaient au courant de la situation. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui on ne devrait pas lui donner la possibilité, peu importent son statut et son rang parce que les gens se focalisent sur le fait qu’il est un homme politique ; mais tout compte fait, Ousmane Sonko reste un citoyen sénégalais et il n’a pas de revenus qui lui permettraient de se payer certaines faveurs. Donc prenant en compte tous ces éléments, je pourrais lui accorder cette excuse et surtout qu’il a pris le soin de passer les visites qu’il faut pour voir s’il y a des caméras mais également de demander si la femme a des papiers nécessaires, je pense que ceci étant fait, je ne pourrais lui reprocher le fait d’avoir fréquenté ce salon.

Pensez-vous qu’il a, lors de son point de presse du 7 février, bien fait d’accuser l’État de vouloir comploter contre lui ?

Vous savez aujourd’hui les gens ont pris l’habitude. Quand il y a une affaire de cette envergure, vous voyez que tous les moyens qui sont déployés pour régler l’affaire ; on ne peut reprocher cela à l’autorité parce que c’est le dépositaire de l’ordre. Aujourd’hui, voyant ce qui s’est passé juste dans les rues de Dakar et en France, donc partant de toutes ces considérations, nous pouvons dire qu’effectivement il avait raison de le dire  parce que vous vous rendez compte si vous vous rappelez bien, l’actuel ministre de l’Intérieur était là au moment où on avait soulevé le problème avec Karim Wade à l’époque  comme agent judiciaire de l’État ;  quand il s’est agi du problème de Khalifa Sall, il était là et vu les moyens qui sont aujourd’hui déployés pour convoquer un député de la République, nous  pouvons dire que effectivement Sonko a raison de dire que c’est l’État qui est derrière tout cela. Toutefois, maintenant comme j’ai l’habitude de le dire, il est toujours bon d’être certain de ce que l’on avance avant de tenir de tels propos.

En quoi le bénéfice du doute accordé par la population sénégalaise à Ousmane Sonko représente-t-il pour lui un avantage et un inconvénient ?

Tout cela n’est qu’une suite logique depuis le début, et rien qu’en focalisant sur le post qu’il avait fait sur Facebook, vous voyez bien la liste non exhaustive des énumérations qu’il avait faites sur les accusations qui ont été mises sur son dos depuis sa radiation dans la fonction publique jusqu’à maintenant ;   donc à force de dire que Sonko a fait ceci ou cela et qu’il y a jamais eu de preuve ;  la dernière c’était l’affaire avec le magistrat Cheikh Issa Sall et puisque jusqu’à présent il y a eu aucune preuve qui a été apportée par rapport à cela, aujourd’hui on pourrait dire que donc c’est justement sur la base de ces allégations qui n’ont  jusque-là pas été démontrées que la population suit Ousmane Sonko dans ce combat-là pour lui accorder le  bénéfice du doute.

Ça peut être un avantage.  Pourquoi ? Parce que, politiquement, nous savons que si vous avez la possibilité de bénéficier de la population, de son accord, de son soutien en pareille situation, il est clairement dit que les Sénégalais vous gardent dans leur cœur et donc c’est un avantage puisque nous sommes à quelques encablures des élections locales puis présidentielle à l’horizon 2024.

Mais, le risque est gros si aujourd’hui s’il est démontré que les accusations de la fille s’avèrent fondées, Ousmane Sonko risque gros ; je ne parlerai même pas de la prison mais également de la déception que tous les Sénégalais auraient à l’encontre de sa personnalité, ce qui risque de faire fondre le Pastef.

Qu’avez-vous à dire à l’Etat qui est aussi accusé d’avoir organisé un complot ?

Je vais me limiter au principe qui gouverne un état de droit. Vous savez, en tant que juriste, nous sommes formés pour respecter la règle de droit. Je ne parlerai pas de la séparation de droit, mais dans un État de droit, il faudrait que les moyens que nous déployons pour tel ou tel autre personne soit les mêmes pour les autres. Mais au moment actuel, ce que nous voyons, c’est qu’à chaque fois qu’il s’agit en fait d’un opposant, les moyens que nous mettons sur l’affaire n’est pas la même chose que nous mettons pour les autres. Il ne faudrait pas que nous soyons comme on dit dans un pays où on fait le « Coumba am Ndèye et Coumba amoul Ndèye » mais il faudrait tout simplement que nous soyons tous égaux comme le précise le préambule de la Constitution et que ce préambule tire sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme donc il faudrait que tous les citoyens également soient égaux devant la loi. C’est un droit et il faudrait que ce principe soit appliqué ici au Sénégal, ça sera même un avantage pour le gouvernement.

 

*Affaitage : Dressage d’oiseaux de proie pour la chasse, en particulier des faucons. (Dictionnaire français)