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Émigration clandestine – Témoignage: « J’ai fait trois tentatives» Propos recueillis par Khadidiatou GUEYE Fall

Armé de son courage et de son rêve inébranlable, cet homme âgé de la quarantaine, répondant au nom de Malick Samb, (nom d’emprunt) raconte ses aventures en mer. Il s’est jeté trois fois sur les bateaux pour rejoindre l’Europe. Mais ces tentatives étaient vaines. C’est en passant par la voie réglementaire qu’il est accueilli en Argentine. Joint au téléphone par le biais de son amie, ce marchand ambulant reste traumatisé par les mystères de la mer qu’il raconte, telle cette branche d’arbre tombée du ciel en plein océan.

« Je me nomme Malick Samb. J’ai 41 ans. Moi, j’ai toujours voulu aller à l’étranger. C’était mon plus grand rêve. Soutenir mes parents a toujours été ma préoccupation. Je n’ai jamais fait l’école française, par contre j’ai appris l’arabe et le Coran. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de créer mon Daara (école coranique) avec mon petit-frère.

Après quelque temps, j’ai pris la décision de laisser l’école coranique avec mon frère pour embarquer vers l’étranger. Je gagnais certes avec l’école coranique qui était devenue au fil du temps un internat. C’était aussi de mes ambitions de faire de l’internat une grande école renommée. J’ai économisé une grande somme pour mon premier voyage en bateau clandestin. Cette première émigration clandestine était un échec. On s’est perdu en mer et c’est après deux jours qu’on s’est retrouvé sur les côtes de Yarakh (Hann).

Mais cela ne m’a pas désespéré. J’ai encore épargné une somme importante pour embarquer dans les bateaux une deuxième fois. Ce deuxième voyage pour une émigration clandestine vers l’Espagne a encore raté. Je reviens sans perdre espoir. Mais j’en garde des souvenirs atroces. Des personnes étaient mortes de famine dans le bateau. La solution n’était pas de les enterrer puisqu’on était entouré d’eau. On les jetait dans la mer à la merci des gros poissons. La faim était notre principal souci. Il nous arrivait de manger des poissons crus avec du sel. C’était traumatisant.

On voyait du tout sur le bateau. Je rends grâce à Dieu d’avoir maîtrisé le coran. Car il y a certaines choses qui parfois semblent inhumaines et il faut être posé et procéder méthodiquement pour y échapper. Des images inoubliables. Je demandais à mes compagnons de bateau de réciter telle ou telle sourate pour se protéger. Soutenu par mon frère et ma mère, j’ai retrouvé mes esprits petit à petit. En catimini, je préparais mon ultime et dernière tentative, motivé par un ami qui était arrivé à destination.

Ce dernier, après quelques années, commençait à envoyer de l’argent à ses parents. Et je ne pouvais rester de marbre. Je programmais mon dernier voyage en cachette. La somme réunie, je préparais mon troisième et dernier voyage. Cette fois-ci, c’était la bonne pour moi mais avec beaucoup de mystères. On a fait plusieurs jours dans la mer. Un jour, une branche d’arbre nous tombe dessus d’un seul coup. Paniqué, tout le monde se préparait à sauter en mer. Je leur demandais de garder leur calme. On louait les noms d’Allah sans cesse. Sur le champ, je ne me rendais pas compte que mon oreille gauche saignait. Il a fallu qu’on jette la branche dans la mer quelque temps après pour m’en rendre compte. Je ne sais par comment et quoi j’ai été blessé. Un compagnon m’a aidé en mettant du sel sur la plaie afin d’arrêter le sang.

C’était en 2006, l’année où l’émigration a connu une recrudescence considérable. Malheureusement, arrivés au large des côtes espagnoles, on a été capturés puis refoulés au Sénégal. C’était incroyable. J’étais sur les côtes de l’Europe et je me retrouvais rapatrié. Mes trois tentatives ont été un véritable échec. Ma mère qui était ma source de motivation s’éloignait de moi. Je lui ai tenu tête pour mes trois voyages clandestins. Je commençais alors à me demander si ça valait la peine de faire souffrir ma mère pour une émigration clandestine de tous les dangers.

Après mûres réflexions, je me lance dans les procédures légales pour voyager. Et Dieu merci cela a abouti. Mon premier voyage je l’ai fait en Argentine. Je me pavanais dans les rues en tant que marchand ambulant. Et j’y gagne bien ma vie. J’ai réalisé mon rêve : voyager en Europe et soutenir ma famille, surtout ma mère. Actuellement, je rends grâce à Allah. Je voyage au Brésil, en Espagne, je ne me plains vraiment pas.

Parfois c’est difficile de raconter mes voyages échoués. Heureusement, je suis passé par la voie légale et je ne crains pas le rapatriement. Ces temps-ci, les jeunes ont pris la mouvance de l’émigration clandestine. Je ne leur demande pas de ne pas réaliser leur rêve, mais de le réaliser légalement. Les bateaux mènent à la mort. Mieux vaut rester au pays et se réveiller avec 100 Fr dans la poche que d’embarquer dans les bateaux du désespoir. L’Etat doit également motiver les jeunes à mourir pour leur patrie. Mais un pays sans emploi ne peut que se retrouver avec des centaines de jeunes en mer. Que les gouvernants prennent leurs responsabilités : si un jeune n’arrive pas à satisfaire les besoins familiaux alors qu’il en est le seul soutien, le marché du travail presque inexistant, on ne peut qu’embarquer dans les bateaux. Donnons espoir aux jeunes sénégalais et le Sénégal émergera. »