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Economie: La religion comme moteur du travail Par Pape Sadio THIAM

La défaite des idéologies politiques, l’impasse des doctrines économiques et sociales, la vanité absolue de la techno-science face à l’étendue de l’angoisse humaine sont aujourd’hui reconnues de tous. Jamais le génie humain n’a autant accumulé de progrès, de richesses et de connaissances dans tous les domaines, mais jamais l’homme ne s’est senti aussi étranger dans son propre monde.

La coupure entre le Nord et le Sud s’amplifie et forme un gouffre infranchissable, les inégalités sociales et économiques à l’intérieur des sociétés développées demeurent une aporie. Les complaintes et la clameur d’une jeunesse désemparée parce que laissée dans le wagon du désespoir et du désœuvrement sont partout perceptibles. Partout dans le monde, les modèles économiques ont échoué et la crise multiforme dans laquelle l’humanité se noie est très profonde.

Dans un tel univers, les visions économiques et les prévisions politiques qui prétendent les mettre en œuvre rivalisent en pessimisme. La finance mondiale, à travers les abus d’un système bancaire dépourvu de moralité et de cohérence économique, a plus que jamais besoin d’être régulée. Tout le monde en convient :  le capitalisme financier est non seulement inhumain, mais il est aussi dépourvu de toute forme de pérennité économique et sociale.

Malheureusement, face à ce constat, les uns et les autres semblent désarmés et complètement passifs ou résignés. Pourtant, la civilisation musulmane, en général, et celle mouride en particulier, disposent de mécanismes latents ou manifestes et de mœurs économiques capables de montrer l’alternative.

On sait en effet que la grande victime du capitalisme financier et plus précisément de l’économie boursière, c’est le travail qui se trouve être paradoxalement la source réelle de toute richesse. Les manipulations boursières portent un énorme préjudice à l’industrie et même au secteur agricole, car beaucoup de banqueroutes de firmes industrielles et de certains secteurs de l’agriculture sont en fin de compte dues aux fluctuations artificielles des valeurs boursières.

C’est que l’économie boursière est un véritable château de cartes : son affaissement est toujours brutal et sans possibilité de sauvetage parce qu’elle est abstraite, voire illusoire. Les bricolages successifs qui ont donné l’illusion de sauver l’économie occidentale en déroute ne sont, sous ce rapport, que des colmatages destinés à différer l’échec ou à calfeutrer l’aporie. La seule issue viable et porteuse de lendemains meilleurs est un retour sans délai à l’économie réelle en faisant du travail la source et la locomotive du développement économique. Un tel retour consistera à revaloriser le travail et à en faire le levier principal qui assure le rythme de la société.

C’est précisément à un tel retour qu’opère le Mouridisme : les rapports sociaux qui structurent cette communauté, la hiérarchie religieuse qui la régule, la formation spirituelle et pratique qui en découle, sont tous fondés sur le travail.

Tous les chefs d’État ont lancé sans grand succès, cette mobilisation du pays pour le travail et les comportements civique, de Senghor à Macky Sall, comme mentionné en page 3

Les comportements et les attitudes civiques favorables au développement économique et social peuvent être transcrits en règle normatives claires et précises du genre, chez les Mourides. On l’a dit et répété : le travail est ici élevé au rang de culte, car c’est le seul moyen par lequel l’homme est apte à accomplir sa mission.

Si la prière, au sens rituel du terme, était la seule raison pour laquelle Dieu a envoyé sur terre, la qualité de représentant de Dieu échapperait d’office à l’homme. Pour prier, l’homme n’avait pas besoin de venir au monde : il y est pour accomplir son destin et s’accomplir en tant qu’esprit. Dans ce sens, on doit comprendre l’histoire de l’humanité comme un processus de réalisation de la providence divine : l’homme doit devenir ce qu’il est par le travail et en devenant homme, il révèle la miséricorde divine par son épanouissement en tant qu’être créé à l’image de Dieu.

Le fait que le travail soit élevé au rang de culte dans la communauté mouride n’est donc pas fortuit : il a des justifications aussi bien dans le domaine religieux que dans celui économique. De toute façon, le bon musulman doit savoir que pauvreté et la misère sont de véritables poisons pour la foi. Et conformément à la tradition prophétique, le musulman doit éviter de donner l’impression du misérabilisme. Aussi un bon mouride doit-il, jusque dans son apparence physique, donner l’image d’un homme respectable et plein d’espoir pour la vie. Sans cet optimisme motivant, le fidèle est à la merci de la moindre contrariété et son appartenance à la communauté n’est plus pour celle-ci qu’un fardeau ou une ternissure. Un bon Mouride, comme tout vrai musulman, doit au contraire travailler à envoyer à l’humanité l’image réelle d’un homme qui fait la fierté de la Oumah islamique.

Voilà pourquoi, dans la communauté mouride, le travail est surévalué : il y a, pour un musulman, plus de dignité dans le fait d’assister que d’être assisté.  La foi est rarement indemne lorsqu’elle est portée par un homme en proie permanente aux vicissitudes de la vie quotidienne. C’est pourquoi dans son lieu de commerce, dans son bureau ou dans l’usine, le Mouride ne faiblit jamais lorsqu’il s’agit d’être performant et persévérant dans la production de richesses.

Ceux qui ont l’habitude d’écouter les sermons des différents khalifes à l’occasion du Magal de Touba savent qu’ils sont destinés à raffermir la foi et à motiver les fidèles à l’attachement au travail. Le fait même de cultiver la serviabilité et la générosité du fidèle à l’endroit de son guide obéit à un souci d’en faire un vecteur de développement intarissable et infatigable. Le modèle totémique de ce disciple est justement la figure de Cheikh Ibrahima Fall : grâce à sa dévotion, il a permis d’ancrer facilement dans la conscience des fidèles le principe du travail comme acte de dévotion et comme ciment de la communauté.

L’islam est un tout, on ne peut pas séparer la partie cultuelle de celle économique et sociale : c’est ce que le cheikh a permis d’illustrer en fondant une communauté dont l’un des fondements est le travail. En faisant du bien-être de la communauté mouride une motivation suprême, le disciple est désormais entré dans une dynamique d’enrichissement qui dépasse largement la sphère de sa propre individualité. L’honneur, l’éclat et gloire de la communauté mouride en particulier et de la Oumah islamique en général, doivent toujours être des points de mire pour le fidèle. Nul n’a encore sondé les impacts psychologiques et économiques d’une telle motivation par la foi, mais il n’y a pas de doute qu’ils sont réels et impressionnants. Une économie religieuse ou confrérique diront les profanes face à l’essor commercial, économique et financier de la communauté mouride au Sénégal et partout ailleurs. Les Mourides sont partout des acteurs économiques performants et prémunis des abus d’une accumulation effrénée et inique. On les a vus d’abord balbutier et exceller dans la débrouillardise, ensuite dans l’entreprenariat informel, puis arpenter allègrement les sentiers les plus pointus de l’industrie et de la finance.