Dossier : La Révolution du 4 août en Haute-Volta
La Révolution du 4 Août et l’arrivée de Sankara à la tête du Faso
I-Des coups d’Etat à la Révolution des Capitaines
Par Ibrahima DIENG,
Historien,
Chroniqueur Radio Oxyjeunes, Pikine
A l’occasion du quarante-unième anniversaire de la Révoltion des capitaines en Haute-Volta, Ibrahima Dieng de Radio OxyJeunes revient dans une série d’articles sur les grands moments de l’actuel pays des Hommes intègres.
La vie politique de la Haute Volta a été marquée par plusieurs coups d’Etat militaires. Le premier, en 1966 porta le Lieutenant-Colonel Sangoulé Lamizana -ci-contre-à la tête de l’Etat pour une durée de quatorze ans (1966–1980).
Il mit en œuvre un programme d’austérité économique mais, malgré plusieurs Constitutions et la restauration du régime parlementaire, le pouvoir resta entre les mains de l’Armée.
En 1980, Lamizana est renversé par le Colonel Saye Zerbo (1980
– 07 Novembre 1982) qui sera lui, destitué par le Commandant Jean Baptiste Ouédraogo (1982–1983) ; mais le 4 Août 1983, le Capitaine Thomas Sankara et un groupe de jeunes officiers s’emparent du pouvoir à Ouaga.
Une nouvelle ère commence pour la Haute Volta qui, le 04 août 1984 adopta le nom de Burkina Faso (le pays des Hommes intègres).
Ces officiers avaient pour objectifs de transformer radicalement la société, de lutter contre le gaspillage et la corruption et de confier le pouvoir aux populations.
I – La marche vers la Révolution du 4 août 1983
Dans un premier temps, l’influence de la droite est manifeste. Le président Ouédraogo annonce que le CSP procédera à une réorganisation de l’Armée et de l’appareil de l’Etat, avant d’entamer le cheminement vers une vie constitutionnelle normale. Mais en même temps, l’influence des progressistes est sensible grâce à une série de mesures : la suspension de la Confédération syndicale voltaïque (CSV) est déclarée caduque ; les libertés syndicales et les libertés de la presse sont restaurées. De plus en plus, le courant « Sankariste », fort du soutien des syndicats (surtout de la CSV) et des partis d’extrême-gauche, va prendre davantage de poids dans la coalition.
C’est dans cette optique qu’il faut prendre en compte la nomination de Thomas Sankara au poste de Premier ministre. Petite anecdote : le jour de sa prise de fonction, il se rend à son poste à bicyclette.
Un tel poste, se concilie mal avec une structure gouvernementale militaire, d’une part parce que le président et le Premier ùinistre relèvent tous deux de l’autorité du CSP, d’autre part, parce que l’évidence de cette fonction ne s’impose pas dans le cadre d’un régime qui se veut temporaire et préparatoire à un retour des civils.
En conséquence de ce bicéphalisme, les antagonismes du CSP vont se révéler au grand jour. Le 10 Janvier 1983 dans son discours d’investiture, Thomas Sankara laisse entendre qu’il ne fera pas de la figuration dans ce gouvernement. Dans son discours fort bref, le mot peuple revient plus de cinquante fois : « Mon inspiration, je la tirerai du peuple, ma force, je la tirerai du peuple ».
Le 17 mai 1983, Thomas Sankara est évincé du pouvoir et emprisonné à Ouahigouya aux confins Nord-Ouest de la Haute Volta. Alors, les militaires de la « tendance Sankariste » membres du CSP sont à leur tour exclus et emprisonnés ; sauf Blaise Compaoré qui parvient à s’échapper et rejoint à Pô ses commandos qui lui sont restés fidèles. Le gouvernement est dissout et un autre est formé duquel les ministres sympathisants de Sankara sont exclus.
Le premier obstacle auquel va se heurter le Conseil de Salut Public – Nouvelle formule (CSP 2) est la violente manifestation des élèves et étudiants de Ouaga le 20 Mai 1983 pour exiger la libération du Capitaine Sankara.
Au sein de l’armée, le CSP 2 ne bénéficiait plus d’un soutien inconditionnel. Si les progressistes représentaient une minorité parmi les officiers, ils bénéficient toutefois d’une solide base parmi les hommes de rang. De très larges secteurs de l’Armée (dont les commandos de Pô) vont marquer leur opposition au Conseil de Salut public nouvelle formule.
Le 03 août 1983, Jean Baptiste Ouédraogo est contraint d’annoncer qu’il va libérer les prisonniers.
II – La prise du pouvoir par les Révolutionnaires
Le Premier août 1983, Ouagadougou est « aveugle » et « muette » : panne générale d’électricité et de téléphone. Mais on colle tout cela sur le compte des orages. Erreur : c’est une répétition générale pour la révolution.
Ainsi, le contexte de ce coup d’Etat est donc le climat de quasi-guerre dans lequel se trouve la Haute-Volta. L’initiative en revient à Blaise Compaoré, Commandant de la Garnison de Pô. Il réquisitionne des véhicules, et à la tête de 250 hommes, marche sur Ouaga dans la nuit du 3 au 4 août 1983, libère Sankara et les autres détenus.
Le gouvernement de Jean Baptiste Oouédraogo est renversé. Le Conseil national de la Révolution (CNR) prend le pouvoir et se compose tout au début ainsi qu’il suit :
Président du CNR, Chef de l’Etat : Capitaine Thomas Sankara
Ministre de la Justice : Capitaine Blaise Compaoré
Ministre de la Défense : Médecin-commandant Jean Baptiste Lingani
Ministre de la Promotion économique : Capitaine Henri Zongo
Commandant du Bataillon Aéroporté de Koudougou : Capitaine Boukary Kaboré dit « le Lion de Bulkiemdé ».
A la prise du pouvoir par le CNR le 4 août1983, le Capitaine Thomas Sankara fait cette adresse à Nation :
« Peuple de Haute-Volta !
Aujourd’hui encore, les soldats, sous-officiers et officiers de l’Armée nationale et des forces para-militaires se sont vus obligés d’intervenir dans la conduite des affaires de l’Etat pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté et à notre peuple sa dignité.
En effet, ces objectifs patriotiques et progressistes qui ont justifié l’avènement du Conseil du salut du peuple (CSP) le 7 novembre 1982, ont été trahis le 17 mai 1983, soit seulement six mois après, par des individus farouchement hostiles aux intérêts du peuple voltaïque et à ses aspirations à la démocratie et à la liberté.
Ces individus, vous les connaissez, car ils se sont frauduleusement introduits dans l’Histoire de notre peuple ; ils s’y sont tristement illustrés, d’abord par leur politique à double face, ensuite, par leur alliance ouverte avec toutes les forces conservatrices réactionnaires qui ne savent rien faire d’autre que de servir les intérêts des ennemis du peuple, les intérêts de la domination étrangère, et du néo-colonialisme.
Aujourd’hui, 4 août 1983, les soldats, sous-officiers et officiers de toutes les armes et de toutes les unités, dans un élan patriotique, ont décidé de balayer le régime impopulaire, le régime de soumission et d’aplatissement mis en place depuis le 17 mai 1983 par le Médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo sous la houlette du Colonel Gabriel Somé Yoryan et de ses hommes de main.
Aujourd’hui, 4 août 1983, des soldats, sous-officiers et officiers patriotes et progressistes ont ainsi lavé l’honneur de notre peuple et de son armée et leur ont rendu leur dignité, leur permettant de retrouver le respect et la considération que chacun, en Haute-Volta comme à l’étranger leur portait du 7 novembre 1982 au 17 mai 1983.
Pour réaliser ces objectifs d’honneur, de dignité, d’indépendance véritable et de progrès pour la Haute-Volta et pour son peuple, le mouvement actuel des Forces armées voltaïques, tirant les leçons des amères expériences du CSP, a constitué ce jour, 4 août 1983, le Conseil national de la Révolution (CNR) qui assume désormais le pouvoir d’État, en même temps qu’il met fin au fantomatique régime du CSP du Médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo qui l’avait du reste arbitrairement dissous.
Peuple de Haute-Volta,
Le Conseil national de la Révolution appelle chaque Voltaïque, homme ou femme, jeune ou vieux à se mobiliser dans la vigilance pour lui apporter son soutien actif.
Le Conseil national de la Révolution invite le peuple voltaïque à constituer partout des Comités de défense de la révolution (CDR) pour participer à la grande lutte patriotique du CNR et pour empêcher les ennemis intérieurs et extérieurs de nuire à notre peuple. Il va sans dire que les partis politiques sont dissous.
Sur le plan international, le Conseil national de la Révolution proclame son engagement à respecter les accords qui lient notre pays aux autres États. Il maintient également l’adhésion de notre pays aux organisations régionales, continentales et internationales.
Le Conseil national de la Révolution n’est dirigé contre aucun pays, aucun État ou peuple. Il proclame sa solidarité avec tous les peuples, sa volonté de vivre en paix et en bonne amitié avec tous les pays et notamment avec tous les pays voisins de la Haute-Volta.
La raison fondamentale et l’objectif du Conseil national de la Révolution, c’est la défense des intérêts du peuple voltaïque, la réalisation de ses profondes aspirations à la liberté, à l’indépendance véritable et au progrès économique et social.
Peuple de Haute-Volta !
Tous en avant avec le Conseil national de la Révolution pour le grand combat patriotique, pour l’avenir radieux de notre pays.
Vive le peuple voltaïque !
Vive le Conseil National de la Révolution. »
La Patrie ou la Mort, nous vaincrons !
Stop.
C’est le début de ce qu’on va appeler « l’ère des Capitaines » à Ouagadougou ou la première Révolution au Burkina Faso.
Suivra
Demain :
La caractère révolutionnaire de la Révolution du 3 août