Dossier-La Révolution du 4 août au Burkina Faso
La Révolution du 4 Août et l’arrivée de Sankara à la tête du Faso
II-Un coup d’Etat, mais pas que
Par Ibrahima DIENG,
Historien,
Chroniqueur Radio Oxyjeunes, Pikine
III-Le caractère révolutionnaire du coup d’Etat du 4 août 1983
L’arrivée au pouvoir du CNR s’est effectuée sur le mode du coup d’Etat ; mais ce serait en réduire la portée que se l’envisager sous ce seul aspect.
Il s’agit d’une part, de la participation de la population (et non pas uniquement des syndicats) ; d’autre part, de l’action conjointe de l’armée (c’est-à-dire la faction Sankariste) et des partis politiques « révolutionnaires ».
La participation populaire
Elle est perceptible à deux moments : entre le 17 mai et 4 août 1983 et après le 4 août.
Des comités clandestins de civils étaient mis en place en prévision du retour de Sankara. Ils sont parallèlement actifs dans la nuit du 3 au 4 août 1983, parvenant même à s’emparer du Centre de Télécommunication. Il semblerait aussi que du 17 mai au 4 août 1983, des civils ouagalais se rendaient à Pô pour y recevoir un entraînement militaire organisé par les commandos du Capitaine Compaoré. Après le 4 août 1983, le soutien d’une grande partie de la population civile se fait plus évident encore.
L’action des partis politiques révolutionnaires
Ce second aspect qui est à souligner est relatif au phénomène d’union de la gauche autour de l’Armée. Ce processus est sans doute le plus important et essentiel à la compréhension de la Révolution Burkinabé. Le regroupement en question sera engendré par l’éviction de Sankara. Cette élimination signifiait en fait celle de l’ensemble des progressistes du Conseil de Salut public et du gouvernement ; et donc l’abandon de la seule expérience politique de gauche qu’ait connue le Burkina depuis son indépendance.
Par ailleurs, d’une manière moins anecdotique, la nouvelle devise du pays, « La Patrie ou la Mort, nous vaincrons » fait référence à une lutte de libération nationale. Elle recouvre l’idée de combat (« nous vaincrons ») pour la libération du pays (« la Patrie »).
Les Comités de Défense de la Révolution (CDR)
Il est stipulé dans le préambule de ses Statuts : “L’avènement de la Révolution du 4 août 1983 couronnant le grand mouvement de résistance populaire déclenché en réaction contre le complot impérialiste du 17 mai 1983 est « incontestablement la consécration et l’aboutissement conséquents des luttes du peuple Voltaïque contre la domination et l’exploitation néo-coloniale contre l’assujettissement de notre pays, pour l’indépendance, la liberté, la dignité et le progrès de
notre peuple ».
Loin d’être un mouvement spontané des masses, la Révolution d’août incarne tout simplement la poursuite et le développement à un niveau supérieur de l’ensemble des grandes luttes populaires dont les jalons significatifs ont pour noms le soulèvement populaire du 3 janvier 1966, les luttes des travailleurs de décembre 1975, de mai 1979, de novembre 1980…Chacune de ces étapes de la lutte de notre peuple a contribué à exacerber les contradictions de classe au sein de la société voltaïque.
La Révolution d’août, tirant les leçons des luttes passées canalisant les aspirations populaires longtemps détournées voire étouffées, se veut la solution des contradictions sociales de l’étape actuelle de la lutte.
La Révolution d’août, ainsi que le définit le Discours d’Orientation du 02 Octobre 1983, est une Révolution démocratique et populaire (R.D.P.). En effet, elle est démocratique, parce qu’elle vise à liquider la domination et l’exploitation impérialiste, à épurer la campagne de toutes les entraves sociales, économiques qui la maintiennent dans un état d’arriération ; elle est populaire parce qu’elle est l’œuvre des masses elles-mêmes mobilisées conséquemment autour de mots d’ordre démocratiques et révolutionnaires qui traduisent dans les faits leurs intérêts irréductiblement opposés à ceux des classes réactionnaires alliées à l’impérialisme international.
Ces deux caractéristiques de la Révolution d’août dictent au peuple la prise en main de sa destinée, l’édification par lui-même d’un Etat de démocratie populaire.
Atteindre de tels objectifs implique que le peuple conçoive, dirige et contrôle la vie nationale tant sur le plan politique, économique que social ; de même qu’il exige un cadre organisationnel et des moyens. Ces moyens sont les Comités de Défense de la Révolution (C.D.R.). Les Comités de Défense de la Révolution (C.D.R.) qui sont une émanation du Conseil national de la Révolution (C.N.R.) constituent l’organisation authentique du peuple dans l’exercice du pouvoir révolutionnaire.
Les CDR sont l’instrument que le peuple s’est forgé pour la maîtrise souveraine de son destin. Ils ne sont pas un parti. Ils sont un mouvement de masse auquel adhère le peuple sur la base de la plate-forme anti-impérialiste dégagée par le Discours d’Orientation du 2 octobre 1983. L’adhésion méconnaît l’appartenance à un clan, à une région, à une religion donnée. Ainsi que l’indique leur dénomination, les C.D.R. ont pour mission de défendre la Révolution Démocratique et Populaire (R.D.P.). Défendre, ici, signifie sauvegarder les acquis, garantir la continuité, œuvrer en vue d’atteindre les objectifs visés sur tous les plans.
Ainsi les C.D.R. doivent participer activement :
– à la construction socio-économique du pays, et à son épanouissement culturel ;
– au maintien de la sécurité et de la défense militaire du Pays ;
– à la formation politique et idéologique du peuple ; ce qui présuppose que les C.D.R. se constituent en creusets permanents de formation, de diffusion des idées révolutionnaires ;
– à la destruction de toutes les entraves au développement économique et social, notamment la destruction des entraves à l’émancipation de la femme et la solution des problèmes du monde paysan.
Mais toute organisation, si elle entend être opérationnelle, doit se fonder sur une discipline interne. Les C.D.R. fonctionnent sur le principe du centralisme démocratique.
Le présent statut vise à doter les C.D.R. d’un instrument de régulation de leur fonctionnement, afin de faciliter leur montée impérieuse à l’assaut de tous les bastions de la réaction, de leur permettre de jouer efficacement leur rôle historique dans le processus irréversible que le peuple voltaïque vient d’engager et qui nécessite esprit de suite, de discipline, de détermination, de sacrifice, d’abnégation.
LA PATRIE OU LA MORT, NOUS VAINCRONS !
Le Discours d’Orientation Politique (DOP)
Il s’agit du Discours Programme du CNR prononcé le 2 octobre 1984 par le nouvel homme fort du Faso. C’est une adresse connue sous le nom de Discours d’Orientation politique (DOP) faite aux masses populaires voltaïques dans laquelle Thomas Sankara a décliné les lignes directrices du CNR en matière de vision pour le Burkina Faso.
Pendant près de 2 heures, les Voltaïques de l’époque sont restés scotchés à leur transistor à l’écoute du leader du CNR (Conseil National de la Révolution), arrivé au pouvoir 2 mois plus tôt et qui avait annoncé une révolution. A l’image de toutes les révolutions du monde, une orientation s’imposait.
Cela, les hommes du 4 août 1983 en étaient conscients. C’est ainsi que pour se conformer à la tradition des régimes révolutionnaires, Sankara et ses camarades ont sous-tendu leur action par un document qui avait valeur de programme et de repère. On pouvait alors voir aux côtés du « Livre vert » de Kadhafi, du « Livre rouge » de Mao Zedong, du « Manifeste du Parti Communiste » de Karl Max et Engels et des travaux de Lénine, le Discours d’Orientation Politique (DOP) du Burkina Faso révolutionnaire.
« Le triomphe de la Révolution d’août n’est pas seulement le résultat du coup de force révolutionnaire imposé à l’alliance sacro-sainte réactionnaire du 17 mai 1983. Il est l’aboutissement de la lutte du peuple voltaïque sur ses ennemis de toujours. C’est une victoire sur l’impérialisme international et ses alliés nationaux. Une victoire sur les forces rétrogrades obscurantistes et ténébreuses », a déclaré l’ancien commando de Pô devenu plus tard président, lequel faisait référence à son arrestation le 17 mai 1983 quand il était encore Premier ministre. Une arrestation attribuée à l’ancienne métropole et qui a suscité une vague d’indignation à travers tout le pays.
Dans le DOP, le Capitaine Sankara exhorte ses concitoyens au travail et à compter sur leurs propres forces d’abord, à combattre le néocolonialisme et la bourgeoisie locale. Il y dénonce en outre la domination des hommes sur les femmes, les dérives des chefs traditionnels, qualifiés de féodaux…
« Tous les régimes politiques qui se sont succédé jusqu’alors se sont évertués à instaurer un ensemble de mesures pour une meilleure gestion de la société néocoloniale. Les changements opérés par ces divers régimes se résumaient à la mise en place de nouvelles équipes dans la continuité du pouvoir néocolonial. Aucun de ces régimes ne voulait et ne pouvait entreprendre une remise en cause des fondements socio-économiques de la société voltaïque. C’est la raison pour laquelle ils ont tous échoué », a déclaré le père de la Révolution d’août.
Dans son discours, il a annoncé une série de réformes et de chantiers avant de conclure, en bon membre de l’Internationale révolutionnaire, en promettant un soutien aux pays de la ligne de front en ces termes : «Notre solidarité et notre soutien militants iront à l’endroit des mouvements de libération nationale qui combattent pour l’indépendance de leur pays et la libération de leurs peuples. Ce soutien s’adresse particulièrement au peuple de Namibie, sous la direction de la SWAPO, au peuple sahraoui, dans sa lutte pour le recouvrement de son territoire national, au peuple palestinien pour ses droits nationaux. »
Au total, quarante ans après, sous les mêmes cieux, le discours politique a changé. La majorité des partis politiques n’entendent mobiliser les militants ni sur la base des idées ni sur celle des idéaux. Selon Lianhoué Himotep Bayala, cela est dû à un manque de courage et à une question d’ego de certains acteurs politiques. « Au Rwanda, dont tout le monde chante les prouesses économiques ces dernières années, le président est train d’appliquer le DOP. Il l’a lui-même avoué plusieurs fois », affirme cet activiste de la société civile.
D’août 1983 à octobre 1987, le Burkina Faso a expérimenté un régime révolutionnaire. S’il est indéniable que cette période d’exception n’est pas exempte de critiques, elle peut néanmoins comporter des réponses aux préoccupations auxquelles le pays des hommes intègres est confronté de nos jours.