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La Ligne du Devoir

De la politique politicienne… Par El Hadj Ibrahima Ndaw malima_sn@yahoo.fr

I-La rationalité de Senghor

Quand nous récitions, ceux de ma génération, ‘’…nos ancêtres les Gaulois…’’, nous étions bien loin de nous douter que c’était là une forme d’assimilation aussi pernicieuse que dangereuse. Tout avait alors été fait pour pérenniser cette situation ; aussi bien dans l’enseignement que dans l’administration. Tout, dans les actes posés, nous confortait dans l’idée qu’il devait en être ainsi. C’est bien après, tout au long d’une évolution cahoteuse, que le voile s’est fissuré, laissant entrevoir des perspectives autres que celles connues jusque-là : les deux dernières guerres mondiales avaient été des révélatrices pour les Africains, singulièrement pour les Africains de l’ensemble francophone.

Dans la Diaspora, partout ailleurs dans le monde, l’idée d’un monde noir désarticulé, meurtri, spolié, acculturé faisait son chemin. Et la deuxième grande guerre avait achevé de montrer les grandes faiblesses de nos parents ‘’les Gaulois’’. Une guerre que des milliers de nos parents avaient livrée contre les Allemands, à côté de la France et alliés  et durant laquelle beaucoup y ont laissé leurs vies. Cette conjonction des faits va favoriser, dans l’empire colonial français, l’émergence d’une prise de conscience entre les communautés sous tutelle.

Avec la fin de la guerre, les intellectuels africains prennent conscience qu’il est temps, pour leurs pays respectifs, de s’affranchir de la domination française. De Gaulle y souscrira, mais à sa manière, en créant un département chargé de surveiller toute cette animation en lien avec les nouveaux ‘’indépendants’’. Léopold Sédar Senghor, un intellectuel sénégalais continue d’écrire des poèmes, des notes de lecture, des articles dans les revues de la place, notamment dans celle d’Alioune Diop, ‘’L’enfant noir’’. L’intellectuel qui s’anime rencontre des personnalités du monde littéraire, échange avec eux. Les idées s’entrechoquent. Il est connu, apprécié. Il entre en politique, au moment où dans les villes, les villages, les savanes et les forêts montent des échos insolites, où reviennent souvent les termes de libération, d’indépendance ou de souveraineté nationale. Le peuple, dubitatif au début, commence à y croire, car ceux qui les prononcent sont des hommes de savoir, qui voient loin, comme les girafes dans la savane. Mais, de congrès en congrès, rien de consensuel et de définitif n’a pu résulter de ces assisses politiques. Au final, la souveraineté nationale sera ‘’octroyée’’ en ordre dispersé. Certains l’ont douloureusement vécue, d’autres l’ont payée de leur sang. L’Occident caractérise alors de ‘’Tiers monde’’ ou de ‘’pays sous-développés’’ ce conglomérat d’Etats disparates ayant la particularité de vouloir se soustraire de l’emprise des colonisateurs et pour lesquels tout est à refaire.

C’est dans ces conditions que le Sénégal est devenu indépendant. Et depuis, des élections sont organisées périodiquement, et comme de coutume à ces moments-là, le monde politique s’anime, s’échauffe, les médias sont envahis et les déclarations fusent de partout. Les interventions sont souvent très musclées, parfois volent très bas, faisant craindre à chaque fois le pire. Cependant, après chaque élection, les choses se remettent progressivement en place, l’espace politique sénégalais se stabilise quelque peu, hélas sans un apport appréciable sur le développement en général.

Le Sénégal est ainsi fait. C’est un petit pays au sous-sol pauvre naguère, mais un pays aujourd’hui potentiellement riche en ressources naturelles mais aussi en ressources humaines de qualité, tant au plan politique, économique qu’au plan religieux. L’expression plurielle, démocratique y est presque libérée, même si le bavardage, stérile et entretenu, l’emporte de temps en temps sur la pensée sérieuse et profonde. Ce verbiage intempestif porte sur tous les sujets et indique un état de fait qui, amplifié, conduit souvent à la rumeur que tout le monde déplore. Du reste, c’est dans la nature du Sénégalais d’être prolixe en paroles. En outre, le peuple sénégalais est très croyant, qui invoque Dieu, dans tous ses actes, en dépit de l’attrait que la puissance de l’argent peut exercer sur certains de ses membres ; et le besoin d’en posséder déstabilise quelque fois ces éléments, dans leur foi et leurs croyances. En effet, l’appât du gain facile, ce rapport quasi charnel entre eux et l’argent, cette tare des temps actuels, conditionne en grande partie leurs positions politiques.

En Afrique francophone, c’est reconnu, le Sénégal est un pays remarquable, par l’alternance démocratique qui rythme sa vie politique. Dans ce grand bloc qu’était l’AOF, le Sénégal avait connu très tôt le redoutable exercice du jeu démocratique qui avait émaillé son parcours politique jusqu’à l’indépendance, obtenue sans lutte sanglante avec le colonisateur, contrairement à bon nombre de pays d’Afrique ou d’ailleurs, sous occupation. Le Sénégal, c’est également l’émergence d’une redoutable force maraboutique qui perturbe quelque le jeu politique, à un niveau jamais égalé. Il faut cependant reconnaître à la religion sa place importante dans notre patrimoine culturel. Toutefois, autant les grands guides religieux se révèlent être des relais privilégiés entre le pouvoir et le citoyen, des régulateurs sociaux incontournables, autant certains, se réclamant de leur proximité avec ces guides, par leurs activités néfastes, vivent de la religion et s’impliquent dans la vie politique, de manière dégradante, pour nourrir leurs familles.

Mais le Sénégal c’est aussi, hélas, environ plus de 300 (trois cent) partis et mouvements politiques estimés à ce jour. Un véritable exploit réalisé par ce pays, pour porter l’expression et les aspirations de seize millions de concitoyens. Ainsi, l’extraordinaire excroissance de partis politiques recouvre entièrement de boursouflures ce petit corps déjà malade de ses innombrables défis économiques, sociaux et culturels. L’énorme confusion créée est loin d’être un modèle d’animation politique pour une jeune nation.

Pendant l’exercice de son pouvoir, Léopold Sédar Senghor avait institué, face à la grande agitation politique tous azimuts, dans un souci de rationalité, et pour éviter une fâcheuse cacophonie dans un pays de près de trois millions d’habitants à l’époque, un régime politique à quatre courants de pensées dominantes, dont les acteurs sont : Léopold Sédar Senghor du parti socialiste démocratique (PS), parti au pouvoir, Me Abdoulaye Wade du parti libéral (PDS) ; Me Boubacar Guèye du parti conservateur et Majhemout Diop du parti marxiste (PAI). Cela procède d’un réalisme politique. C’étaient là les différentes sensibilités idéologiques auxquelles s’identifiaient les élites intellectuelles, africaines en général et sénégalaises en particulier. Les choix étaient alors simples, claires et évitaient la déperdition des énergies dans d’interminables empoignades. Les électeurs s’y retrouvaient aisément. Du reste, dans les grandes démocraties occidentales peuplées de plusieurs dizaines de millions d’habitants, on ne trouve pas ce nombre impressionnant de formations politiques, que l’on retrouve dans notre pays.

(A suivre)

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