Agro-business : complément alimentaire souverain
Souveraineté alimentaire et agro-business
Un bon complément
L’agro-business n’occupe pas tant la place qu’on croit dans la gestion des terres arables au Sénégal ; il participe même à la souveraineté alimentaire sous plusieurs aspects.
Avec ses 45.000 ha, le groupe Serigne Cheikh Saliou est le premier producteur d’arachide et de mil du Sénégal ; les 10.000 ha de Sénéginda ont permis cette année l’autosuffisance en pomme de terre ; Louga pleure et se plaint d’une surproduction d’oignon de la zone horticole de Lompoul ; aucun groupe d’industriels ou de commerçants n’investit dans la canne à sucre, se contentant de produits de substitution, malgré un demi-siècle de complaintes contre la Compagnie sucrière sénégalaise et un gap de près de 30% à combler chaque année, surtout avec le pic de la forte demande à la veille du Ramadan ; enfin, toujours au nord, les 3.500 hectares de la Chl de Ross Béthio représentent peu devant les 8.000 hectares de Tahirou Sarr non hypothécables à cause des villages culturellement inaliénables qu’ils englobent.
Quid alors des entreprises de l’agro-business suspectées de ravir la vedette aux populations locales ?
La cartographie des intervenants et les surfaces réelles occupées seraient du trompe-l’œil, selon les experts consultés par Le Devoir : le spectaculaire des bras de fer entre populations locales et industriels impose une solidarité nationale bien loin de la réalité de terres souvent laissées à l’abandon faute de moyens matériels et humains. Benoîtement, on se contente de caresser les terres à perte de vue en refusant toute tentative d’appropriation, surtout étrangère.
« Cette fiche statistique est édifiante quant à l’efficience de l’agro-business, en comparaison avec l’agriculture traditionnelle », soutient Mbagnick Diop, notre spécialiste en agro, même si un ancien ministre de l’Agriculture se veut plus prudent : « Si vous faites vos investigations, vous vous rendrez compte que sur beaucoup de terrains, il n’y a rien ».
Il y a mieux : beaucoup de projets ont été abandonnés et les terres préalablement allouées retournées en jachère. Par l’exemple : dans le cadre de l’Organisation pour la mise en Valeur du fleuve Sénégal, le Sénégal s’était engagé pour un quota d’eau pour irriguer 145.000 ha de la zone de crète ; à l’époque des prélèvements prévus dans l’aménagement de la rive gauche –Css, Revitalisation des vallées fossiles, Keur Momar Sarr III–, seuls 45.000 hectares avaient été emblavés et les prévisions les plus optimistes renvoyaient vers 90.000 ha pour l’An 2000. Beaucoup de parcelles sont remises aujourd’hui à la nature.
Autre exemple ? Les 8.000 ha de terres acquis par Tahirou Sarr “par vente normale” sont aujourd’hui “pas hypothécables” à cause des villages et autres lieux de culte et de dévotion maintenus par l’acquéreur en l’état.
Enfin, si Ndengler est entré dans la légende, c’est aussi parce que Oumé et ses poussins s’y sont présentés pour donner de la valeur à des terres encore exploitées à l’hilaire, à la houe et à la daba, par traction humaine et animale.
Le dragage du fleuve pour le rendre navigable de Saint-Louis à Podor avait abaissé le niveau du fleuve et mis fin aux écoulements sur la basse vallée. Le souci de préservation de la plus importante réserve d’eau douce avait conduit à l’érection de la digue de Keur Momar Sarr, accentuant l’isolement de l’arrière-pays et les risques au saumure : Diourbel perdait son importante zone de maraîchage et l’agriculteur de la vallée du Sine se transforme en vendeur de sel. L’agrobusiness permet peut-être de sauver certaines terres laissées à l’abandon et leur salinité.
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Les terres arables au Sénégal sont estimées à 3,4 Mha dont 2,5 Mha sont emblavés en moyenne par an. Une surface de 0,07Mha est en culture permanente et les forêts couvrent 8,4Mha (FAO, 2012).
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L’ingénieur en aéronautique versé dans la climatologie et l’environnement qu’est Babacar Sedikh Diagne avance que « l’agriculture mériterait une plus grande attention de la part des autorités. Les grands ensembles agricoles n’améliorent pas nécessairement le sort des paysans. Au contraire, ils sont peu ou pas compatibles avec une saine écologie, notamment la préservation de la nature.
L’accaparement des terres par de puissants opérateurs et qui réduirait les paysans à de simples ouvriers agricoles n’est pas acceptable aux plans économique, moral et culturel ».
L’ancien ministre de l’Agriculture Aly Ngouille Ndiaye recyclé gentleman farmer —ci-contre–prône la prudence : « Il se dit beaucoup de choses sur l’agrobusiness qui ne sont pas avérées ».
Il conseille de documenter les surfaces occupées par l’agro-business et leur apport dans la lutte pour la sécurité alimentaire. Il anticipe sur la réflexion en suggérant Filfili ou ce qui en reste, Sénégindia et l’autosuffisance en pomme de terre cette année, la Css, la Chl de Ross Béthio et surtout le groupe Serigne Cheikh Saliou dans la production d’arachide et de mil.
Le ministre Aly Ngouille Ndiaye anticipe sur les surfaces à confronter avec les terres arables et la surface utile emblavée pour les besoins de la politique agricole.
Mbagnick Diop s’accorde un délai jusqu’au 25 mai pour éplucher le tableau et approfondir les données comparatives auprès des Directeurs régionaux de Développement rural-DRDR. Pour lui en effet, « Ce dossier est passionnant et pourrait susciter une réaction politique ».
Pathé MBODJE