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Trois figures marquantes de la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales: Valdiodio Ndiaye, Abdoulaye Ly, Assane Seck El Hadji Ibrahima Ndao

El Hadji Ibrahima Ndao est un historien et homme politique : au sein du Parti socialiste, il a joué un grand rôle dans les années de braise au Sénégal ; il est également l’auteur du livre intitulé « Sénégal, Histoire des conquêtes démocratiques ».

La présente étude est sa contribution à un ouvrage collectif dont elle est la principale épine dorsale : Les évolutions politiques de Valdiodio, d’Abdoulaye Ly et d’Assane Seck dans la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales au Sénégal jusqu’à la crise de décembre 1962.

IX-Naissance de la Fédération du Mali

Malgré le triomphe des thèses fédéralistes du RDA, les dirigeants sénégalais ne s’avouèrent pas vaincus et tentèrent, par une approche en trois étapes, de regrouper les Etats d’Afrique de l’Ouest à partir d’un regroupement des partis politiques.

C’est ainsi qu’à l’initiative de Me Gabriel d’Arboussier, président du Grand Conseil de l’AOF, une conférence fut convoquée à Bamako, les 29 et 30 Décembre 1958. Elle regroupait environ 150 délégués représentant le Sénégal, le Soudan, le Dahomey (Bénin actuel) et la Haute Volta (Burkina Faso actuel). Les délégués adoptèrent une résolution affirmant leur volonté « de former entre les Etats d’Afrique occidentale membres de la Communauté une fédération primaire ».

Seconde étape : du 14 au 17 Janvier 1959, se déroula à Dakar, au siège du Grand Conseil, une réunion de l’Assemblée Constituante Fédérale, composée de 44 délégués (10 délégués + le président de l’Assemblée constituante par délégation), des 4 Etats, qui adopta à l’unanimité le projet de Constitution fédérale créant la Fédération du Mali et décida de rester en fonction jusqu’à l’élection de l’Assemblée Législative Fédérale. La création de cette fédération primaire allait dans le sens de la concrétisation de l’idée d’une conquête collective de l’indépendance.

Troisième et dernière étape, le projet de Constitution fut adopté le 21 janvier 1959 par l’Assemblée législative du Soudan, le 22 janvier 1959 l’Assemblée législative du Sénégal et le 28 janvier 1959 par l’Assemblée législative de la Haute-Volta. Le projet de Constitution fut rejeté par le Dahomey après le départ le 1er février 1959 de Souroumigan Apithy du Parti Progressiste Dahoméen (section locale du PRA) suivi de la démission collective de 35 députés et de la création du Parti Républicain du Dahomey.

Le retrait de la Haute-Volta s’est effectué sous la pression du Moro Naba (chef traditionnel des Mossi) et de Houphouët Boigny suivi de l’adoption du projet de constitution dont l’article premier rejetait la fédération primaire par l’Assemblée constituante le 28 février 1959 et confirmé par le Référendum constitutionnel du 15 mars 1959. Alors que la même Assemblée avait adopté le 28 janvier 1959 le Projet de Constitution de la Fédération du Mali.

Dans la foulée, Modibo Keïta est élu à la séance du 8 Janvier 1959 au poste de président du Grand Conseil succédant ainsi à Gabriel d’Arboussier. Il sera le dernier président de cette institution.

Enfin, évènement majeur, la tenue à Saint-Louis du sixième Conseil Exécutif de la Communauté française, programmée pour le 12 décembre 1959.

La position officielle de la Fédération du Mali y était attendue.

Il faut dire que la situation de l’UPS en cette fin de l’année 1959, face aux attaques venant de toutes les oppositions, la violence et l’autoritarisme ne donnant rien, commença à naître dans l’esprit des dirigeants et de nombreux cadres qui avaient soutenu le « Oui » au Référendum du 28 septembre 1958, l’idée d’accélérer la marche vers l’indépendance, d’autant plus qu’au plan économique une ouverture plus large sur le monde paraissait plus rentable en matière de coopération internationale. La prospérité dont semblait jouir le prestigieux Ghana de Nkrumah n’était pas pour rien dans ce raisonnement, que l’avenir ne démentira pas.

La position de la Fédération du Mali au regard de l’indépendance était déjà esquissée lors de la ratification du traité par l’Assemblée Législative et Constituante du Sénégal, le 17 janvier 1959. En effet, au cours des débats, auxquels assistait un député du PRA-Sénégal, à l’objection de celui-ci, sur la fragilité originelle qui frapperait la Fédération à deux Etats non indépendants, il lui fut rétorqué qu’il ne s’agissait que d’une déclaration destinée à « couper l’herbe sous les pieds » de l’opposition, l’idée n’en fit pas moins son chemin.

Lors de sa session des 23 et 24 Septembre 1959, le Comité Directeur du PFA arrête les modalités d’accession de la Fédération du Mali à l’indépendance, dans sa résolution finale en ces termes : « En vue d’aboutir dans les moindres délais et conformément à la Constitution de la Communauté, à l’indépendance du Mali dans le cadre d’une association confédérale avec la France, il convient d’entamer des négociations en vue du transfert des compétences communes aux Etats constituant la Fédération du Mali, conformément à l’article 78 de la Constitution » du 4 Octobre 1958. (Le Monde du 26 Septembre 1959).

Le 28 Septembre 1959, les autorités du Mali informaient officiellement le général de Gaulle, président de la Communauté, de leur désir d’accéder à l’indépendance au sein de la « Communauté rénovée », selon la procédure de transfert des compétences fixée à l’article 78, « procédure qui allait aboutir à un relâchement des liens communautaires, sans arriver à la rupture de ces liens comme c’eut été le cas dans le cas d’une indépendance-sécession ».(Guédel Ndiaye in L’échec de la Fédération du Mali).

Le 26 Novembre 1959, Modibo Keïta, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor remirent au général de Gaulle, président de la Communauté, un document dans lequel ils définissaient les rapports qu’ils souhaitaient voir s’établir entre la Fédération du Mali et la France.

Donc, à l’occasion du sixième et dernier Conseil Exécutif de Saint-Louis, tenu les 11 et 12 décembre 1959, la Fédération du Mali ne put que confirmer son intention d’aller à l’indépendance dans l’amitié avec la France. Le général de Gaulle informa officiellement le Conseil de la demande d’accession à l’indépendance présentée par le Sénégal et le Soudan groupés au sein de la Fédération du Mali.

En effet, lors de la sixième (et dernière) session du Conseil Exécutif de la Communauté tenue à Saint-Louis, les 11 et 12 Décembre 1959, « le général de Gaulle portait officiellement à la connaissance des membres du Conseil exécutif, la demande d’accession à l’indépendance présentée par la République du Sénégal et la République soudanaise, groupées au sein de la Fédération du Mali et tendant à l’ouverture de négociations avec la République française pour obtenir l’indépendance par transfert de compétences et signer parallèlement des accords de coopération tout en demeurant au sein de la Communauté dont les institutions pourraient , le cas échéant, être adaptées en conséquence. Le général de Gaulle a indiqué que le Conseil exécutif étant maintenant informé, la République française fera connaître officiellement son accord sur l’ouverture des négociations. » (Le Monde du 15 Décembre 1959).

Le 14 décembre 1959, devant l’Assemblée fédérale du Mali réunie à Dakar, de Gaulle se prononça en faveur de l’évolution de la Fédération du Mali vers l’indépendance et donna son accord sur l’ouverture des négociations.

A la suite de la décision du président de la Communauté de donner satisfaction à la revendication d’indépendance de la Fédération du Mali, les négociations franco-maliennes s’ouvraient à Paris le 18 Janvier 1960. Elles aboutirent à la signature des Actes d’indépendance pour chacun des Etats fédérés, par transfert de toutes les compétences de la Communauté au Sénégal et au Soudan, le 4 avril 1960 et le 20 juin 1960 pour la Fédération du Mali, ainsi qu’au paraphe d’accords de coopération.

La voie des indépendances est ouverte. Le 9 Juin 1960, à Paris, l’Assemblée nationale ratifie les accords passés avec la Fédération du Mali et Madagascar. Elle sera suivie par le Sénat le 16 Juin. Le 10 Juin 1960, après celle du Soudan le 8 Juin, l’Assemblée législative du Sénégal approuve l’accord de transfert des compétences et adopte un projet de loi portant transfert à la Fédération du Mali des compétences dévolues aux Républiques du Sénégal et du Soudan.

La Fédération du Mali accède à l’indépendance le 20 Juin 1960, à zéro heure, par le vote à l’unanimité de la loi d’indépendance par l’Assemblée fédérale du Mali réunie à Dakar. Il revenait à Léopold Sédar Senghor, président de l’Assemblée fédérale de lire la déclaration d’indépendance de la Fédération du Mali.

La France signe avec les Etats devenus indépendants des accords particuliers de coopération. Elle signe, le 22 Juin 1960, à Paris, avec la Fédération du Mali les accords bilatéraux de coopération et les deux conventions multilatérales paraphées le 4 Avril 1960. Ces accords sont approuvés le 1er Juillet 1960 par une loi malienne et le 11 par le Parlement français. La France est désormais représentée dans chacun des Etats par un Haut représentant ayant rang d’ambassadeur. Les Etats ont chacun, en France, un ambassadeur.

L’accession de la Fédération du Mali à l’indépendance provoqua une réaction en chaîne des autres Républiques de la Communauté. En quelques mois, tous les Etats-membres de la Communauté devenaient indépendants à leur tour.

Cette « première » fut, pour les Etats autonomes qui avaient soutenu le « Oui » à la Communauté, au Référendum du 28 septembre 1958, un signal fort qui produisit des effets presque immédiats : toutes les anciennes colonies de l’ex-AOF, en dehors de la Guinée indépendante depuis le 2 octobre 1958, prirent leur indépendance avant la fin de l’année 1960, dans l’ordre chronologique suivant :

Soudan français et Sénégal : 4 avril et 20 juin 1960 pour la Fédération du Mali ;
Togo : 27 avril 1960 ;
Dahomey (Bénin actuel) : 1er août 1960 ;
Niger : 3 août 1960 ;
Haute – Volta (Burkina Faso actuel) : 5 août 1960 ;
Côte d’Ivoire : 7 août 1960 ;
Mauritanie : 28 novembre 1960.

On peut aussi rappeler ici que 1960 a également enregistré l’indépendance de 5 Etats autonomes de l’ex-AEF (Cameroun, Centre Afrique, Congo Brazza, Gabon, Tchad) et Madagascar.

Si on met tous ces pays africains ensemble dans l’ordre chronologique de leur indépendance, on s’aperçoit qu’à part le Cameroun qui était sous mandat des Nations Unies et qui a suivi une procédure particulière pour accéder à l’indépendance le 1er janvier 1960, Soudan français et Sénégal ont été les premiers Etats autonomes à accéder à l’indépendance.

On a ainsi :

Soudan français et Sénégal : 4 avril 1960 et 20 juin 1960 pour la Fédération ;
Togo : 27 avril 1960 ;
Madagascar : 26 juin 1960 ;
Dahomey (Bénin actuel) : 1er août 1960 ;
Niger : 3 août 1960 ;
Haute Volta (Burkina Faso actuel) : 5 août 1960 ;
Côte d’Ivoire : 7 août 1960 ;
Tchad : 11 août 1960 ;
Oubangui Chari (Centre Afrique actuelle) : 13 août 1960 ;
Congo : 15 août 1960 ;
Gabon : 15 août 1960.

Qui l’eut cru au regard du « Oui » massif au Référendum du 28 septembre 1958 ?

La balkanisation que préfigurait la Loi Cadre fut ainsi réalisée, mais les indépendances acquises ouvraient les portes à des regroupements régionaux, économiquement et politiquement plus viables.

La Fédération du Mali sollicitait son admission aux Nations Unies. « Le 28 Juillet 1960, le Conseil de Sécurité adoptait à l’unanimité un projet de résolution, déposé conjointement par la France et la Tunisie, en vue de recommander à l’Assemblée Générale l’admission de la Fédération du Mali. » (Guédel Ndiaye, ibidem).

Le premier congrès de l’UPS, après l’indépendance, se tint le 2 Juillet 1960 à Saint-Louis.

L’éclatement de la Fédération du Mali

Malgré ses succès au plan de ses objectifs programmés, la Fédération du Mali devait être de courte durée. De profondes divergences personnelles, idéologiques et structurelles entre les Etats et leurs dirigeants ont été à l’origine de l’échec de la Fédération du Mali.

C’est au cours de la conférence politique malienne, qui s’est tenue du 14 au 16 Avril 1960 à Dakar, que des divergences sur la structure de la Fédération sont apparues nettement, pour la première fois, à l’occasion des discussions sur la Constitution fédérale. Les Sénégalais désiraient faire du Mali « un Etat fédéral très souple » avec une organisation équilibrée et démocratique séparant les personnes et les attributions de chef d’Etat et de gouvernement. Les Soudanais étaient, au contraire, partisans d’une Fédération forte, avec concentration de l’essentiel des pouvoirs entre les mains d’un seul homme.

Une nouvelle conférence politique eut lieu à Bamako, les 21 et 22 Mai 1960, au cours de laquelle fut adopté un avant-projet de réforme constitutionnelle. Les divergences entre Sénégalais et Soudanais, au plan idéologique, tiennent au fait que les seconds sont pour des méthodes plus totalitaires, tandis que les Sénégalais sont pour des méthodes plus libérales. Mais la goutte d’eau qui fit déborder le vase fut sans conteste l’hostilité des Soudanais à l’élection de Senghor à la présidence de la Fédération du Mali.

Le 19 Août 1960, en fin d’après-midi, Modibo Keïta réunit en séance extraordinaire le gouvernement fédéral malien au Palais du Gouvernement fédéral à Dakar, sous sa présidence. Des huit ministres fédéraux, étaient présents à cette réunion les quatre ministres soudanais et un ministre sénégalais, Me Boubacar Guèye (ministre de la Justice). Mamadou Dia (vice-président de la Fédération, chargé de la Défense et de la Sécurité extérieure) et Me Doudou Thiam (ministre des Finances des Affaires économiques et du Plan), bien que régulièrement avisés ne déférèrent pas à la convocation.  Quant à Abdoulaye Fofana (ministre de l’Education et de la Santé), il se serait rendu dans un premier temps à ce conseil mais se serait ravisé. Chose sûre en tout cas, il ne siégea point.

Modibo Keïta ouvrit la séance en déclarant que l’existence du Mali était en péril et que certains de ses dirigeants nourrissaient le noir dessein de mettre à profit les élections présidentielles pour créer un état de tension dont ils tireraient prétexte pour mettre en cause l’intégrité territoriale de la Fédération. Pour faire échec à ces « apprentis sorciers », le conseil des ministres qui, bien que restreint, avait atteint le quorum, prit deux décrets d’une extrême gravité.

Le premier retirait à Mamadou Dia ses attributions de ministre chargé de la Défense et de la Sécurité Extérieure du Mali et les confiait au Président du Gouvernement Fédéral. Le deuxième proclamait l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire de la Fédération.

Avant de lever la séance, Modibo Keïta convoque le Haut-Représentant de la France à Dakar, Mr Hettier de Boislambert, pour l’informer des mesures qu’il venait de prendre et pour lui demander ce qu’allait être la position de la France face au conflit surgi entre les deux composantes de la Fédération. Mr Hettier de Boislambert déclara qu’il s’agissait là de problèmes intérieurs au Mali donc de problèmes dans lesquels la France n’avait pas à s’immiscer.

Modibo Keïta convoqua ensuite le colonel Abdoulaye Soumaré, chef d’Etat-Major de l’armée malienne et lui donna l’ordre de prendre « les mesures de sécurité exigées par les circonstances, notamment la couverture des principaux bâtiments publics de Dakar ainsi que l’émetteur de Radio-Mali à Rufisque ».

A 22 h 15, dans une allocution radiodiffusée, Modibo Keïta s’exprima en ces termes : « Maliens, vous avez en mémoire le serment solennel du 17 Janvier 1959 prêté par les constituants. Par-delà ce serment que nous nous sommes librement donné et que nous avons réédité en Juin dernier, il est fait obligation au gouvernement de maintenir l’intégrité du territoire national. Ce serment, nous le tiendrons envers et contre tous. Vive le Mali ! ».

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