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Trois figures marquantes de la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales: Valdiodio Ndiaye, Abdoulaye Ly, Assane Seck El Hadji Ibrahima Ndao

El Hadji Ibrahima Ndao est un historien et homme politique : au sein du Parti socialiste, il a joué un grand rôle dans les années de braise au Sénégal ; il est également l’auteur du livre intitulé
« Sénégal, Histoire des conquêtes démocratiques ».

La présente étude est sa contribution à un ouvrage collectif dont elle est la principale épine dorsale : Les évolutions politiques de Valdiodio, d’Abdoulaye Ly et d’Assane Seck dans la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales au Sénégal jusqu’à la crise de décembre 1962.

VIII-La marche forcée vers l’indépendance


Cette marche forcée constitue l’épilogue de ce témoignage.

Loin d’être un échec, le 26 août 1958 fut, au contraire, l’accélérateur qui, en bousculant vigoureusement la quasi unanimité dont bénéficiait l’UPS, créa une situation nouvelle qui obligea, finalement, ceux qui venaient d’émettre un vote positif au Référendum, à réviser leur position pour s’orienter vers la conquête de l’indépendance.

Le départ des jeunes cadres pour créer le PRA-Sénégal n’est pas la seule conséquence des divergences d’option au Référendum du 28 septembre 1958. La grande centrale syndicale l’UGTAN, en ce qui concerne le Sénégal, cessa de collaborer avec le Gouvernement, beaucoup de ses dirigeants ayant adhéré au PRA-Sénégal ou au PAI. Il en fut de même pour le Conseil de la Jeunesse du Sénégal.

Ainsi, se constitua une sorte de front contre le pouvoir en place. Harcelé de toutes parts par des analyses claires lancées parmi le peuple et concluant toutes à la nécessité de disposer totalement de nous-mêmes, pour une mobilisation forte, parce que volontaire et organisée, pouvant relever tous les défis, le Gouvernement décida d’y faire face avec vigueur. Alors s’ouvrit la dernière phase, non la moins importante, de ces neuf années de marche vers l’indépendance. Cette phase mériterait un long développement qui, malheureusement dépasserait les limites de la présente contribution.

Dès le 25 novembre 1958, l’Assemblée territoriale du Sénégal s’érigea en Assemblée Législative et Constituante (comme d’ailleurs celle des autres colonies de la Fédération de l’AOF) et opta pour le statut d’Etat autonome au sein de la Communauté française. Le 29 novembre 1958 le Sénégal devient un Etat autonome au sein de la Communauté Franco-Africaine.

La nouvelle Assemblée se chargea de rédiger un projet de Constitution moderne, tenant compte des grands principes énoncés par les Institutions internationales en matière de « Droits de l’homme », s’inspirant de la tradition française de régime parlementaire, et aussi de la spécificité sénégalaise.

Ce projet, qui établissait au Sénégal un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, fut adopté et mis en œuvre. Mais les formes sauvegardées, la plupart des militants de l’UPS, leurs responsables, le Gouvernement et une partie de l’Assemblée territoriale étaient partisans de la primauté du Parti sur l’Etat. Cette option paraissait d’autant plus facile que Lamine Guèye, possible protestataire est dans l’UPS depuis Avril 1958 et que les trois députés qui avaient rejoint le PRA-Sénégal ne figurent plus dans la nouvelle Assemblée devenue ainsi monocolore depuis les élections législatives du 22 mars 1959.

La Primauté du Parti permettrait, pensait-on de donner au Gouvernement et à l’UPS les moyens de lutter efficacement contre cette opposition considérée comme turbulente.

Les oppositions à l’UPS ayant préconisé le « Non » au référendum, les dirigeants de l’UGTAN (Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire) harcèlent le gouvernement Dia et, en Novembre et Décembre 1958, éclatent de nombreuses grèves dont le point de départ est le conflit social au niveau des postiers.

Devant la difficulté d’arrêter l’action des postiers qui commençait à durer et qui pouvait provoquer la solidarité des autres fédérations syndicales, le gouvernement Dia décida de régler le problème en donnant satisfaction aux plus importantes revendications. En rapport avec le responsable moral de la Fédération des postiers, la procédure qui devait régler le conflit fut engagée dans l’intérêt des deux parties.

Informés de la décision du gouvernement de se réconcilier avec les postiers, des responsables syndicaux qui appartenaient à des organisations syndicales à faible base, liés à des leaders de partis d’opposition, décidèrent de faire un règlement de compte en généralisant le conflit par une décision de grève générale illimitée de tous les travailleurs de la Fonction Publique.

La concession faite aux postiers par Dia devait être faussement interprétée comme un signe de faiblesse de son gouvernement que les partis d’opposition pouvaient exploiter pour renverser le pouvoir. Aussi ces responsables trouvèrent-ils des alibis pour justifier leurs actes dans la reprise de vieilles revendications concernant les fonctionnaires : revalorisation des cadres des fonctionnaires, publication immédiate du statut des non-titulaires, etc. ». (Mamadou Dia ibidem). C’est pourquoi, la lourdeur des sanctions fut sans précédent. Il y eut de nombreuses arrestations et de nombreux licenciements parmi les grévistes pour mettre fin au mouvement.

C’est pourquoi, l’UGTAN fut la première organisation à recevoir les coups du Pouvoir. La grève de Décembre 1958 – Janvier 1959 fut considérée comme une grève politique et donna l’occasion d’une répression inconnue au Sénégal, depuis la grève des cheminots du Dakar-Niger en 1947 : mutations tout azimut des fonctionnaires non licenciables, sans réunions de commissions de discipline, licenciements massifs des agents non titulaires.

Les partis légaux ne furent pas épargnés par les violences organisées dans l’impunité totale, comme dans la période qui a précédé le regroupement de 1956. On tentait d’intimider ou de décourager les opposants. Le PRA-Sénégal en particulier en souffrit énormément, notamment en Casamance où il était le plus solidement implanté. De nombreux affrontements furent crées par les militants de l’UPS avec beaucoup de morts et des dégâts matériels.

Quant au PAI, né en septembre 1957, il sera dissout et interdit d’activité par décret du 1er août 1960 et ses responsables arrêtés le 6 août 1960, pour avoir tenté de saccager les bureaux de vote lors des élections municipales du 31 juillet 1960 à Saint-Louis.

En effet, aux élections municipales du 31 Juillet 1960, le PAI déclencha de violentes émeutes à Saint-Louis pour, selon Majhemout Diop, « protester contre les fraudes massives organisées par le maire sortant, Me Babacar Sèye ». Des véhicules ont été incendiés, des maisons saccagées et l’intégrité physique du gouverneur de région Daniel Cabou menacée. Majhemout Diop, leader du PAI fut immédiatement arrêté. Il sortira libre de prison, après une campagne de graffitis sur le thème « libérez Maj ! » sur l’ensemble du territoire et un procès où il sera condamné pour les 8 mois de sa détention préventive. Le 1er Août 1960, le gouvernement prononce la dissolution du PAI. Cette formation politique dut se réfugier dans la clandestinité.

Mais rien n’y fit : les opposants, sous l’effet de la violence, et du parti-pris de l’Administration territoriale dont l’africanisation était en cours, s’organisèrent et prirent, au contraire, une vigueur que personne ne prévoyait.

Si certains des nouveaux Etats autonomes, en optant pour le parti unique ou la suspension pure et simple des Constitutions, sont parvenus, pour un temps, à museler l’opposition sous prétexte d’unité pour l’enracinement de l’Etat nouveau et le développement, il n’en fut pas de même au Sénégal. Tout au contraire, devant la déception de plus en plus grande des masses qui attendaient de l’autonomie, un immédiat mieux être tardant à venir, les opposants n’eurent pas de mal à se faire écouter.

Du reste, une série d’évènements politiques intervenus après le Référendum renforcèrent la position des « Indépendantistes ».

D’abord du 5 au 13 novembre 1958, se tint à Accra dans le Ghana indépendant, le Congrès des Peuples Africains. Le Sénégal de l’UPS se fit représenter par une délégation conduite par Me Doudou Thiam. En présence des délégations des pays africains déjà indépendants comme le Libéria, le Ghana, l’Ethiopie, etc. et d’autres aspirant à l’indépendance, quel message la délégation sénégalaise pouvait-elle délivrer sans être ridicule ? Pas moins, certainement, que la perspective d’une indépendance ordonnée dans un délai non prévisible. En tout cas, une telle réunion ne pouvait que renforcer la conviction de ceux qui croyaient que la lutte pour l’indépendance immédiate était la priorité des priorités.

Ensuite, dès janvier 1959 se créa la Fédération du Mali à deux (Soudan français et Sénégal) sur l’idée d’une conquête collective de l’indépendance. Cette idée allait faire beaucoup de chemin dans les mois à venir.

En troisième lieu, notons que les partisans d’une Fédération africaine pour l’indépendance, organisés dans le Parti de la Fédération Africaine (PFA) ont insisté sur « l’indépendance » lors de leur congrès tenu à Dakar en juillet 1959.

En effet, le 1er, 2 et 3 Juillet 1959 se tient à Dakar le Congrès constitutif du Parti de la Fédération Africaine (PFA) où se retrouvent des Sénégalais, des Soudanais et d’autres Africains. C’est à ce congrès qu’il fut décidé d’entamer des négociations avec la France en vue de l’indépendance de la Fédération du Mali.

En quatrième lieu, il faut noter l’affaiblissement de l’UPS, avec la création par le Marabout Cheikh Tidiane Sy du Parti de la Solidarité Sénégalaise (PSS) le 5 février 1959, dont on disait qu’il avait la sympathie du Président de l’Assemblée Législative et Constituante, Ibrahima Seydou Ndaw et aussi du Marabout Elhadj Ibrahima Niasse de Kaolack. Le nouveau parti se déclarait certes favorable à la Communauté française, mais n’en diminuait pas moins par son existence la puissance de l’UPS.

Du reste, Cheikh Tidiane Sy ne tarda pas à subir les rigueurs de la répression de l’UPS et du Gouvernement. A la suite de nouveaux affrontements à Tivaouane (les premiers dataient des années 1951 – 1952) qui firent des morts et des blessés, le 22 juin 1959, il fut arrêté et mis en prison. Beaucoup de ses « talibés » ou partisans quittèrent l’UPS.

Ensuite, ce n’est que trois mois après le départ des ministres PRA-Sénégal qu’un remaniement intervient pour compéter l’équipe gouvernementale. Cette équipe a la particularité d’être plus restreinte avec 9 membres et le président du Conseil qui cumule le poste de ministre de l’Economie générale chargé des Relations internationales avec ses fonctions. La liste de cette équipe publiée le 23 Décembre 1958 fut réduite d’un élément dès le lendemain avec la démission du nouveau ministre de l’Education et de la Culture, Boubacar Guèye. Son intérim sera assuré par Valdiodio Ndiaye cumulativement avec ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Ibrahima Sarr entre au gouvernement comme ministre de la Fonction publique ; André Peytavin ministre des finances, Ousmane Socé Diop ministre du Plan, Joseph Mbaye ministre de l’Economie rurale, Alioune Badara Mbengue, ministre des Travaux publics des Transports et des Mines, Edouard Diatta ministre de la Santé et de la Population et Amadou Babacar Sarr ministre du Travail et des Affaires sociales, complètent la liste. Le décret du 23 Janvier 1959 consacre l’entrée de Karim Gaye au gouvernement comme ministre de l’Education et de la Culture.

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Prochainement

Naissance de la Fédération du Mali