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Milieu professionnel : stages sans fin

Milieu professionnel

L’épreuve des stages

sans fin

L’exploitation et le bras long dictent leur loi

Les chances d’avoir une insertion professionnelle sont très minimes au Sénégal. Trouver un contrat d’embauche devient un vrai casse-tête pour les étudiants. Soucieux de leur avenir professionnel, les étudiants cumulent le maximum de diplômes possible pour détenir la chance d’être embauchés. Mais il semblerait que l’obtention des diplômes ne représente que le profil. Les jeunes diplômés sont confrontés à des stages renouvelés sans rémunération ou avec une rémunération qui ne l’est que le nom. Le bras long également fait basculer les qualités requises pour un poste.

Par Khadidiatou GUEYE Fall,
Cheffe du Desk Société

Le milieu professionnel est devenu très restreint. L’occasion d’être embauché devient rare. Bon nombre d’étudiants se posent la question de savoir si les portes de l’entreprise vont s’ouvrir à eux.
En effet, certains encore étudiants sont en application dans des entreprises. Malheureusement, les conditions de stages n’encouragent pas les concernés à se donner l’espoir de signer un contrat d’embauche.
Cette étudiante en Master répond au nom de Rokhaya Seck ; elle suit une formation en Transport-logistique dans une université privée. Elle n’est actuellement pas en stage pour certaines raisons. D’ailleurs, elle explique avoir fait un stage dans une grande entreprise nationale. Malheureusement, elle a été victime d’exploitation avant de réaliser que le bras long marche dans le milieu. « A ma deuxième année, je suis entrée à l’entreprise par l’aide d’un oncle d’une amie qui y travaillait. J’étais sa protégée. Après 14 mois de stage, alors qu’il devrait aller à la retraite, j’ai été embauchée. Mais cela ne durera que le temps d’une rose : un autre directeur général a été nommé et c’était le chamboulement total. Un remaniement a du être fait pour corriger certaines injustices où même les innocents ont payé les dégâts. Apparemment, il y avait une fille qui gérait les courriels et qui n’avait que le Bfem. Son père avait un poste de responsabilité au sein de l’entreprise. Ce sont des choses qui arrivent. Avec ma licence, j’ai fait 14 mois avant de mériter un contrat à durée déterminée, alors qu’une autre personne qui n’avait que le Bfem, sans expériences acquises, occupait déjà un poste », regrette Rokhaya qui malheureusement a perdu son poste au niveau de l’entreprise. D’après elle, le bras long est un destructeur silencieux de la crédibilité d’une entreprise.
Dans cette même veine, Maimouna Ly rejoint Rokhaya. A travers son expérience en milieu professionnel, elle a déduit que « hormis le bras long, l’exploitation est une situation que beaucoup de stages rencontrent » : « Parmi les entreprises sénégalaises, je peux dire que seul 1/3 embauche ses stagiaires. Les autres ne font qu’exploiter leurs stagiaires. J’ai eu à faire un stage dans une entreprise qui évoluait dans la liaison Dakar-Gorée mais j’ai dépassé la durée initiale. Je devais faire au minimum un mois de stage mais j’en ai fait plus sans que personne ne se soucie de mes conditions de travail. Je me payais le transport sans rémunération et pourtant je touchais à presque tous les services . Parfois tu as la chance d’être sous la responsabilité d’un maître de stage gentil. Après plus de deux mois de stages sans être mise dans de conditions de travail pas meilleures mais acceptables, j’ai arrêté sachant que l’exploitation ne pouvait plus continuer. J’avais même déposé mon rapport de stage mais depuis ils ne m’ont pas contacté ou donné de suite à ce sujet. Je n’y ai jamais reçu de rémunération encore moins une attestation de stage. Dans certaines entreprises, les stagiaires font le travail. Les contractuels se comportent comme des employeurs donnant des directives. Le plus souvent c’est dans ces boîtes que les stages sont renouvelés à l’infini ».
Pour Maimouna, les compétences d’un stagiaire doivent être prises en compte pour une motivation quelconque : « On voit pendant des mois une personne dynamique, ponctuelle alors qu’elle n’est qu’un stagiaire. Que ça soit les entreprises publiques ou privées, la situation est pareille, la dernière essaie parfois de respecter la limite des stages renouvelés ».
Connaissant ses droits et n’étant pas bloquée par un contrat de stage, notre interlocutrice a préféré suspendre, elle-même son stage plutôt que de subir une exploitation sans merci.
En effet, quelques rares entreprises respectent les contrats de travail. Le problème des stagiaires se situe en partie sur l’ignorance de leurs droits en tant que stagiaire.
Possédant son Master en ressources humaines, Ndèye Fatou Diallo a passé plus d’un an à chercher un stage pour appliquer ses connaissances. Mais le monde professionnel lui a dévoilé son vrai caractère.
« L’exploitation est réelle dans le milieu professionnel sénégalais. Je l’ai vécue. Ma chance est que j’étais rémunérée. Mais la rémunération n’était pas à la hauteur du travail fourni. En plus, il arrive de faire des heures supplémentaires qui ne sont même pas payées. En tant que stagiaire, les conditions de travail étaient trop précaires », raconte Ndèye Fatou. Elle ajoute : « Durant mes stages, j’avais constaté que les stagiaires étaient relégués au second plan dans le milieu professionnel. C’est-à-dire qu’il y a des entreprises qui font la nette distinction entre stagiaire et personnel contractuel. Cette attitude, à la longue, avait créé une frustration de la part du stagiaire parce qu’il se sent à l’écart, relégué au second plan. Tu travailles jusqu’à certaine heure en plus de la pression qu’ils te mettent. Dans certaines mesures, ils font espérer au stage un contrat d’embauche. Celui-ci, ne se rendant pas compte qu’il est soumis à une forme de chantage, se donne à fond et accepte des stages de trois mois renouvelés plusieurs ».
S’il y a une chose que Ndèye Fatou Diallo dénonce avec la dernière énergie, c’est également l’exploitation basée sur un chantage laissant croire au stagiaire qu’il sera embauché.
Beaucoup d’entreprises utilisent les stagiaires pour leurs services rendus. Cet abus est devenu presque universel, certaines stagiaires inexpérimentées se soumettent à cette forme d’exploitation par besoin de remplir leur CV, mais également parce qu’ils ignorent les obligations qu’imposent le droit du travail.