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L’immense solitude qui accompagne la dure journée des émigrés sénégalais Khadidiatou GUÈYE Fall

Le Sénégal et le temps de défoulement manquent à ces braves hommes et femmes débordés d’ambition

Les modou-modou et les fatou-fatou sénégalais ne raconteront jamais ce qu’ils vivent à l’extérieur du pays. Ils sont débordés au point de manquer du temps à se divertir. Au Sénégal, beaucoup sont obsédés par l’émigration ; le constat n’échappe pas quand les jeunes se lancent dans le voyage clandestin par la mer. Les témoignages de quelques Sénégalais émigrés montrent la face cachée de ce détachement temporaire avec son pays d’origine, sa culture et ses habitudes.

Au Sénégal, on a toujours un membre de la famille qui pourra nous aider en cas de besoin. Les lavandières sont en service pour la lessive, les nounous à gogo pour la garde des enfants. Ceux-ci sont les réalités sénégalaises. Mais à l’étranger, c’est autre chose. Les Sénégalais émigrés rencontrent énormément de difficultés, le temps leur est compté.

Arrivée en France il y a deux ans, Oulimata Ndao mène une vie trop chargée. Mère de deux petits garçons, elle a rejoint son mari pour se trouver un emploi. La journée de Oulimata Ndao est débordante : « Mes journées sont très chargées. Je me réveille à 06 heures du matin. Je me prépare pour me laver et préparer les enfants. J’amène mes enfants à l’école : l’un à l’école et l’autre à la garderie. Après,  je poursuis pour aller au travail. Parfois je commence mon travail à 09h ou 10h jusqu’à 20h. A leur descente, c’est mon mari qui se charge d’aller les récupérer à l’école ».

Elle décrit à quel niveau la vie est difficile en France : « La vie est très difficile ici. Ce n’est pas comme au Sénégal. Pour s’adapter, ce n’est pas évident mais au fil du temps, on intègre la vie. Mais en premier temps, on est dépaysé complètement. Le début de mon arrivée était très difficile. Surtout la première année, le Sénégal m’avait beaucoup manqué. Je suis venue en France pour rejoindre mon mari et mon fils  ; entre-temps, j’ai eu un autre garçon ». Oulimata Ndao n’est pas la seule personne à vivre la même chose.

Dans ce même pays, Ndèye Lissa Ndiaye y rencontre des situations pareilles. Tout comme Oulimata Ndao, Ndèye Lissa Ndiaye est partie en France il y a deux ans pour y accoucher et rejoindre son mari. « Cela fait deux ans que je suis en France. Mon objectif était d’aller accoucher en France. Mon état de grossesse était de 7 mois. Mais je devais également y poursuivre mes études ; j’avais fait une formation en analyse biologique au Sénégal, j’ai eu mon BT en analyse Biologique et j’aimerais continuer pour obtenir mon BTS en Analyse biologique et travailler »,  explique Ndèye Lissa.

En effet, le motif premier de son arrivée en France était de poursuivre ses études en biologie mais la grossesse lui a posé une contrainte et elle s’est obligée d’accomplir son rôle de femme au foyer : « Ma journée à moi, je me réveille à 06 h du matin. Je me prépare et prépare mon fils pour l’amener à la garderie qui est un peu loin (40 minutes de trajet). Après avoir déposé mon fils à la garderie, si je n’ai pas de rendez-vous avec mon médecin, je m’occupe des démarches administratives puisque je n’ai pas encore trouvé de travail ;  je m’attèle au dépôt. Quand je termine mes courses,  je reviens à la maison faire les tâches ménagères jusqu’à 16 heure pour aller récupérer mon fils à la garderie. Je l’amène au parc pour qu’il joue un peu avant de rentrer à la maison. Voilà à quoi ressemble ma journée ».

Sans le dire ou s’en lamenter, Ndèye Lissa sent la fatigue générale quand elle décide d’aller au lit pour dormir.

Situation difficile

Cette femme répondant au nom de Kiné Lam vit la même situation en Italie, dans la ville de Genova. Kiné a dû rejoindre son mari depuis 13 ans. Mais les conditions dans lesquelles elle se trouve n’encouragent pas les femmes mariées aux émigrés à retrouver leurs époux dans les pays étrangers. « Je vis avec mes trois enfants et mon mari. Nous formons une belle famille mais la situation est difficile pour moi. Je n’ai même pas le temps de contacter mes parents du Sénégal. Le matin,  j’amène les enfants à l’école pour aller travailler. Je termine à 16 h pour aller récupérer les enfants. Quand je reviens à la maison, je m’occupe des tâches ménagères ; ensuite,  j’aide les enfants à faire leurs exercices. Après le dîner, je les dorlote avant de continuer les tâches pour me coucher vers 00h. C’est ma routine car personne ne m’aide. Si c’était possible de trouver une femme de ménage, ça pourrait m’aider, mais c’est impossible car ça coûte trop cher », raconte Kiné. Elle confie que ce sont les priorités qui l’empêchent de se trouver du temps libre pour elle.

Malgré la contrainte du temps, Kiné s’évertue d’inculquer à ses enfants les valeurs du pays de la téranga : « Avec les modes de vie différents, il est facile pour nos enfants ne pas connaître leurs origines ; donc j’essaie du mieux que je peux de semer les bases pour qu’ils ne soient pas ceux qui oublient leur origines ».

Parfois, quitter l’aéroport rime avec une séparation définitive ou temporaire des réalités sénégalaises, mais pour Ndèye Lissa, des moyens sont en œuvre pour que leurs enfants soient enracinés : « Se séparer de son pays d’origine et de sa culture n’est pas facile à supporter d’autant plus que les cultures sont différentes. Mais on essaie de s’adapter. Parfois,  quand l’occasion se présente, on se regroupe entre Sénégalais pour échanger et se rappeler  nos habitudes et réalités sénégalaise et y inciter nos enfants. Après ça, on continue à vivre notre vie d’émigrés ».

Contrairement à cette dernière, Oulimata Ndao vit la séparation avec la culture sénégalaise difficilement avec les différences de vie qui se manifestent : « La séparation avec la culture sénégalaise n’a jamais été facile pour moi. On essaie juste de nous adapter. Parce que quitter son pays d’origine n’est pas une chose facile, c’est très difficile de s’installer dans une terre inconnue. En plus, il y a une grande différence. La vie d’Europe c’est 100 à l’heure. Ce n’est même pas pareil. On n’a pas le temps de causer ou se défouler. On est tout le temps occupé avec le travail et sa maison. Le mode de vie est totalement différent avec celle que j’ai connu au Sénégal. C’est tout le contraire de Sénégal ».

Dans ce même sillage, Ndèye Lissa revient en tenant ces propos : « La différence entre le Sénégal et la France est visible car rien ne renvoie au Sénégal. Les cultures sont différentes. Par exemple au Sénégal, il y a tout le monde dans la maison, telle personne fait le ménage, l’autre fait la cuisine ou s’occupe des enfants. Mais ici tu es toute seule avec ton enfant. La vie de famille se résume entre papa, maman et l’enfant. Quand mon mari rejoint le Sénégal, je vis toute seule avec mon fils. C’est la solitude. Personne ne s’occupe de personne, chacun s’occupe de ses affaires ».

Néanmoins, Ndèye Lissa met en exergue un point important avantageux. « Le seul avantage pour moi ici est que quand tu n’as pas de papier, ils peuvent se soigner sans payer de frais » précise l’étudiante en biologie. D’après elle, l’aspect qui l’a beaucoup marqué c’est la manière dont ils traitent l’enfant. Ndèye Lissa déclare qu’ils savent bien s’occuper des enfants. Surtout, qu’il existe des assistances sociales qui aident les étrangers sur les démarches administratives et sur beaucoup de choses.

« Ils aident beaucoup les émigrés qui se trouvent dans le besoin : il y a des associations comme les restos du cœur qui donnent de la nourriture aux adultes et aux bébés » fit-elle savoir.  Pour Ndèye Mèry Diouf, une femme de 28 ans vivant aux Etats-Unis avec une fille de 4 ans et son mari, la séparation culturelle n’est vraiment pas facile pour le début ; elle révèle que c’était un choc car ce n’est pas facile de s’adapter à une nouvelle culture. Les systèmes et les trains de vie ne sont pas les mêmes.

Selon Mèry, la différence entre la vie au Sénégal et la vie aux Etats-Unis est le côté social d’autant plus que le Sénégalais est très social et ouvert.

Nonobstant les soucis rencontrés par les émigrés sénégalais, les jeunes refusent d’en tenir compte et veulent traverser la mer quoi ça coute. Raison pour laquelle tous nos interlocuteurs conseillent aux Sénégalais de faire attention et de ne pas croire que les pays développés sont le paradis où l’on cueille la richesse. Ils préviennent sur les problèmes de logement qui commencent à s’accentuer surtout en Italie.