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Le 17 octobre 1961 vu par un écrivain noir: Qui est borgne ?

Le tout premier livre à évoquer le massacre des Algériens en 1961 date de 1963. Il paraît pour la toute première fois en français.

Peu avant le 17 octobre 1961 qui verra près de 200 Algériens se faire massacrer et des milliers d’autres parqués dans des centres de tri, Hossein-l’Algérien interpelle Simeon-l’Afro-américain : “Ça te fait quoi, d’être le Blanc pour changer ?”

Il aurait ainsi fallu attendre 23 ans pour qu’un premier roman s’affronte au 17 octobre 1961. C’est-à-dire à la répression violente que la police parisienne a opposée, un mardi d’automne humide dans la huitième année de la guerre d’Algérie, à la manifestation illicite organisée par le FLN contre le couvre-feu auquel venaient d’être assignés les Algériens en Ile-de-France. Vingt-trois ans de silence ? C’est du moins ce qu’on a longtemps cru, de ce côté-ci de l’Atlantique. À tort. Car, bien avant 1984 et « Meurtres pour mémoire » de Didier Daeninckx à qui l’on doit quelques mises au point pionnières et décisives vers le décillement sur cet épisode de la Guerre d’Algérie, un romancier avait bien publié un livre. Deux ans à peine après les faits. Mais aux États-Unis, et en langue anglaise exclusivement.

Cet auteur américain, méconnu en France où pourtant il vivait encore à sa mort au milieu des années 70, s’appelait William Gardner Smith. Et c’est son roman, le seul des siens encore à n’avoir jamais été ni traduit ni publié en France, qui sort ce mois d’octobre, chez Christian Bourgois, à l’occasion des 60 ans du 17 octobre 1961.

Lorsque paraît Le Visage de pierre – ou plutôt, The Stone face, en 1963 aux Etats-Unis, lui-même alors est vraiment le premier romancier à s’emparer des faits. Son récit d’un épisode à la brutalité encore tiède ne traversera pas l’Atlantique : en France, un silence rapide et tenace ensevelira à la va-vite le 17 octobre 1961. Dès le lendemain, Le Figaro titrait en Une sur “deux morts et quarante-quatre blessés graves”, et aussi “7.500 Nord-africains arrêtés”.

Sommairement, le bilan officiel sera tout juste infléchi quelque temps plus tard… à 6 morts. Puis restera, intact, jusqu’à la fin des années 1990, lorsque la responsabilité de Maurice Papon se posera au tribunal : il était ce jour-là l’ultime des forces de l’ordre dans la capitale, puisque le préfet de police à Paris alors, c’était lui. Aujourd’hui, même les estimations les plus modestes considèrent qu’ils furent au moins une centaine, au bas mot, à trouver la mort ce jour-là dans la capitale, parmi ces manifestants qui parfois étaient venus en famille. Mais à l’unisson avec Jean-Luc Einaudi qui avait rectifié l’ampleur des faits à l’occasion du procès de Maurice Papon en 1997, des historiens comme Jim House et Neil MacMaster (dont le livre, Paris 1961, reparaît, actualisé, en Folio cet automne 2021 avec une préface inédite) estiment bien plus clairvoyant d’envisager plutôt un bilan de l’ordre de deux cents morts a minima.

France Culture