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La Ligne du Devoir

Discours : Waaly Père & Gagne

Le Sénégal en route vers l’Indépendance

Valdiodio Ndiaye est bien le père

du discours du 26 août 1958

Le 02 août 2015, Karim Ndiaye, fils du ministre Waldiodio Ndiaye, a fait parvenir au ministre El Hadji Daouda Faye décédé ce 05 octobre 2022, un document dont nous avons longuement parlé en janvier dernier dans notre série sur Waldiodio, Assane Seck et Abdoulaye Ly.
Ce texte semble répondre à la question centrale que nous n’avons pas pu trancher au Devoir mais qui  confirme la position de El Hadji Ibrahima Ndao quant à la paternité du fameux discours de la Place Protêt.
Selon le fils, le père est bien l’auteur unique du discours de Waldiodio Ndiaye ce mémorable 26 Août 1958.
Nous n’avons pas pu retracer la source de l’article. El Hadji Ibrahima Ndao demeure cependant convaincu de l’authenticité historique des faits relatés ci-dessous.
« Le docteur Karim Ndiaye a remonté le fil qui a conduit le Sénégal à l’indépendance. Son père, Valdiodio Ndiaye, en fut un des acteurs majeurs » ; telle est la présentation du document.

 

Les prémices de la décolonisation sont ressenties lors de la Conférence de Brazzaville (capitale du Congo et capitale de la France Libre) qui s’est déroulée au cours de la 2ème Guerre mondiale, fin Janvier -début Février 1944. Cette conférence fut organisée par le Comité français de Libération nationale afin de déterminer le rôle et l’avenir de l’empire colonial français.
Brazzaville, et non Dakar, car le Haut-commissaire de la République, Pierre Boisson, et le Général Weygand, fidèles à Vichy, avaient fait tirer leurs canons le 23 septembre 1940 contre l’escadre franco-britannique du général de Gaulle qui se trouvait au large du port de Dakar, de Gaulle voulant alors faire de Dakar la capitale de la France libre.
La Conférence de Brazzaville aboutira à la suppression du Code de l’Indigénat et à la création, en 1946, de l’Union française. L’indigénat était un statut légal, discriminatoire, attribué aux populations autochtones ; avec sa suppression, l’ensemble des ressortissants auront désormais le statut de citoyens.
Lors de cette conférence, le général de Gaulle, chef de la France libre, dira vouloir engager les colonies « sur la route des temps nouveaux » : « En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer, chez eux, à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi. Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger … »
Douze ans plus tard, le 23 juin 1956, est votée la Loi-cadre, dite Loi Gaston Defferre, qui va donner aux colonies une semi-autonomie.
Le 13 mai 1958, c’est le « putsch » d’Alger. Les généraux Salan, Jouhaud et Massu demandent au général de Gaulle de sortir de sa retraite et de « revenir aux affaires ». Le 1er juin 1958, le président René Coty, devant la menace d’une prise de pouvoir par l’Armée, lui transmet les pleins pouvoirs.
En août 1958, le général de Gaulle part en tournée en Afrique noire (Tananarive, Brazzaville, Abidjan, Conakry, Dakar) pour préparer le référendum de septembre 1958 devant permettre aux colonies de rester dans la communauté franco-africaine en votant « Oui», ou d’aller à la sécession en votant « Non» (on ne prononce pas encore le mot « indépendance »). On notera que Jacques Foccart, Conseiller technique à la présidence du Conseil pour les Affaires africaines et malgaches depuis juin 1958, et Bernard Cornut-Gentille, ministre de la France d’Outre-mer, organisèrent la tournée en commençant par les capitales acquises au projet constitutionnel, espérant qu’un courant populaire balaierait les hésitations de Conakry et Dakar.
Le 25 juillet 1958, le Congrès du Parti du Regroupement africain (PRA) dont est membre l’Union progressiste sénégalaise (UPS, parti de Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia et Valdiodio Ndiaye) s’est tenu à Cotonou. Au cours de ce congrès, il a été décidé, en résolution finale, de demander l’indépendance immédiate, la motion de Senghor/Dia, partisans d’une indépendance progressive, ayant été mise en minorité.

La venue à Dakar du général de Gaulle pour la campagne référendaire est prévue le 26 août 1958. Une partie importante de l’élite africaine estime que la Communauté qui est en train de naître marque un retour en arrière par rapport à la Loi-cadre Defferre de 1956, loi qui accordait aux colonies une large autonomie et qui devait inéluctablement déboucher sur l’indépendance. Léopold S. Senghor et Mamadou Dia sont hésitants entre le « Oui » et le « Non ». L’aile gauche de leur parti est favorable au « Non », tandis que les marabouts et les paysans sont plutôt favorables au « Oui ». Finalement, ils décideront de ne pas être présents à Dakar ce jour/là. Léopold S. Senghor prétextera ses vacances normandes, Mamadou Dia une cure en Suisse prescrite par ses médecins. Ils demanderont donc à Valdiodio Ndiaye, ministre de l’Intérieur, d’accueillir le général de Gaulle.

Pathé bonjour , 

D’abord un double merci pour ce texte d’une valeur historique incontestable et qui me conforte dans ma position de faire de Valdiodio Ndiaye l’unique auteur du discours qu’il a prononcé à la place Protét le 26 août 1958. 
Ensuite toutes mes félicitations pour toutes les belles initiatives que tu prends pour ranimer la conscience de nos compatriotes. 
Enfin je suis prêt à m’engager avec la famille de Valdiodio pour l’impression des 500 premiers exemplaires de l’ouvrage collectif « Les 3 figures marquantes… ».

Très cordialement 

El Hadj Ibrahima Ndao

Valdiodio Ndiaye demandera à Mamadou Dia, chef du Gouvernement, dans quel sens devra aller son discours. Mamadou Dia lui répondra qu’il lui laisse carte blanche … Valdiodio Ndiaye décidera en toute logique de faire un discours en rapport avec la résolution du Congrès de Cotonou, discours rédigé entièrement de sa main, contrairement à l’affirmation de certains « historiens ».
Le Parti africain de l’Indépendance (PAI), avec les syndicats et les mouvements étudiants, faisait souffler à cette époque un vent de révolte sur Dakar. On peut penser qu’il est possible que Mamadou Dia et Léopold S. Senghor, craignant d’être emportés par cette vague nationaliste, aient préféré rester en retrait pour ménager l’avenir du Sénégal qu’ils pensaient menacé ; mais pour beaucoup, ils ont donné l’impression de ne pas assumer leur responsabilité.

Lors de son discours, Valdiodio Ndiaye exprimera l’aspiration de tous les peuples d’Afrique : « Il ne peut y avoir aucune hésitation. La politique du Sénégal, clairement définie, s’est fixée trois objectifs qui sont dans l’ordre où elle veut les atteindre : l’indépendance, l’unité africaine et la confédération …. Les avant-projets constitutionnels ne nous laissent pas sans inquiétude … Demain, tous les « Oui » ne comporteront pas une renonciation délibérée à l’indépendance et tous les « Non » ne traduiront pas une volonté de rupture complète. Il y a là une possibilité de malentendu, aussi grave dans l’un ou l’autre cas. Le gouvernement du Sénégal ne se prononcera que lorsqu’il aura connaissance du texte définitif. »
Le général de Gaulle proposera deux amendements qui vont permettre de clarifier les choses :
1er amendement : en votant « Oui » pour la Communauté, chaque territoire gardera la possibilité d’en sortir à tout moment pour aller à l’indépendance …
2ème amendement : les territoires pourront entrer, seuls ou groupés, dans la Communauté … (on réintroduit là l’idée de fédération).
Ces amendements ne seront dévoilés par le général de Gaulle que le 21 août 1958, lors de son passage à Brazzaville. Il n’en fera pas mention lors de son discours à Dakar, probablement trop irrité par l’accueil « vivant et vibrant » que lui ont réservé les porteurs de pancartes et peut-être aussi vexé par l’absence des deux principaux leaders politiques sénégalais. Ces amendements seront très importants puisqu’ils vont permettre la « clarification » demandée par Valdiodio Ndiaye lors de son discours sur la place Protêt.
Le succès du périple est mitigé : délirant à Brazzaville (sanctuaire du gaullisme colonial), triomphant à Abidjan (fief du ministre Houphouët-Boigny), problématique à Conakry et Dakar. Le projet constitutionnel final ne sera rendu public qu’au début du mois de septembre. Le gouvernement du Sénégal fera finalement campagne pour le « Oui » à la Communauté franco-africaine qui l’emportera avec 97,4% des voix (1.106.826 inscrits et 893.389 votants).
Avec ce « Oui », la métropole et les territoires d’outre-mer vont former ensemble une communauté avec des gouvernements distincts mais ayant en commun la défense, l’économie, l’éducation et la justice. Seule la Guinée de Sékou Touré, préférant, selon la formule historique du leader guinéen, « la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage », votera « Non ».
Mamadou Dia dira : « En septembre 1958, le Sénégal, en votant pour le « Oui », a choisi la voie de l’indépendance, de façon à avancer de manière progressive et méthodique pour arriver à une nation indépendante solide économiquement, administrativement et politiquement. » Le 14 janvier 1959 naitra la Fédération du Mali avec le Sénégal, le Soudan français (actuel Mali), la Haute-Volta (actuel Burkina-Faso) et le Dahomey (actuel Bénin). La Haute-Volta et le Dahomey se retireront rapidement de cette Fédération, sous la pression de la France et de la Côte-d’Ivoire.

Les accords du 4 avril 1960, signés à Paris entre la France d’une part (Michel Debré/Roger Frey), le Sénégal (Mamadou Dia) et le Soudan (Modibo Keïta) d’autre part, consacrent l’indépendance qui ne sera effective qu’après les signatures à Dakar par Louis Jacquinot, ministre d’Etat du gouvernement Debré, et Modibo Keïta, chef du gouvernement de la Fédération du Mali et après ratification par le Parlement de la Fédération du Mali, le 18 Juin 1960.

Léopold S. Senghor voulait faire du 18 juin la date officielle de l’indépendance du Sénégal mais Charles de Gaulle s’y opposera : « Senghor, vous n’y pensez pas, le 18 juin est une date qui appartient à la France ! ». Trois semaines plus tard, le général de Gaulle invitera à Paris le ministre de l’Intérieur du Sénégal à assister, sur les Champs Élysées, au défilé du 14 juillet.

Le 20 août 1960, la Fédération du Mali éclate et ce même jour le Sénégal déclare son indépendance.
Le 4 Avril 1961, l’honneur de débaptiser la place Protêt pour en faire la place de l’Indépendance reviendra à Valdiodio Ndiaye qui personnifiait aux yeux des Sénégalais l’indépendance de leur pays. La France sera représentée par André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles.

On va passer de la colonisation à une politique de coopération … La feuille de route de la politique africaine sera longtemps dictée par l’Elysée. En 1962, Mamadou Dia, en voulant s’affranchir de cette règle, sera emprisonné pendant 12 ans à Kédougou (Sénégal oriental) avec 4 de ses ministres (Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye, lbrahima Sarr et Alioune Tall).
À l’occasion du cinquantenaire des Indépendances, le Conseil municipal de Dakar, lors de sa séance du 29 mars 2010, a décidé que le Boulevard de la République porterait le nom de Mamadou Dia et la Place de l’Indépendance celui de Valdiodio Ndiaye. 5 ans après cette décision, les cérémonies d’inauguration n’ont toujours pas eu lieu, comme si les vainqueurs d’hier (1962) tentaient encore d’écrire l’histoire.

Les guerres d’Indochine (1945-1954) et d’Algérie (1955-1962), très impopulaires, ont probablement accéléré le processus de décolonisation de l’Afrique noire qui, elle, aura la chance d’aller à l’indépendance sans verser de sang.
Après la défaite de la France à Dien Bien Phu, la France (Pierre Mendes-France) va signer avec la République du Vietnam les accords de Genève (juillet 1954) qui consacreront le départ de la France d’Indochine.
Les accords d’Évian (Buron, Joxe, Debré, De Broglie), signés le 18 mars 1962, mettront, eux, fin à la guerre d’Algérie qui deviendra indépendante le 5 juillet 1962.
Je ne saurais terminer sans dire quelques mots sur Charles de Gaulle le décolonisateur et ses relations avec l’Afrique noire.
Le 18 Juin 1940, depuis Londres, sur les ondes de la B.B.C., Charles de Gaulle lance un appel à ne pas cesser le combat contre l’Allemagne nazie. Ce sera le discours fondateur de la Résistance française et le début d’un destin hors du commun de celui qui deviendra un des plus grands hommes d’État du XXème siècle.
À Londres, alors qu’il attendait les grands généraux et de grands cerveaux politiciens français, ce sont les « Africains » les premiers qui firent irruption dans le paysage gaullien avec Félix Éboué (premier gouverneur en activité à se rallier à Charles de Gaulle) et tous les anonymes des Troupes coloniales et de l’Armée d’Afrique.
Après son échec de faire de Dakar (capitale de l’A.O.F.) la capitale de la Frànce libre (septembre 1940), il déclarera : « Les jours qui suivirent me furent cruels, j’éprouvais les impressions d’un homme dont un séisme secoue brutalement la maison et qui reçoit sur la tête la pluie de tuiles qui tombent du toit ». Ce sera finalement de Brazzaville (capitale de l’A.E.F.) que de Gaulle annoncera la création du Conseil de Défense de l’Empire en octobre 1940.
« Brazzaville qui, pendant de terribles années, fut le refuge de notre honneur et de notre indépendance » (Charles de Gaulle).
C’est l’Afrique qui va tracer son destin et lui donner une certaine crédibilité face à Churchill et Roosevelt. La métropole perdue, il va se servir de l’Empire comme d’un tremplin. Le journaliste historien anticolonialiste Jean Lacouture dira : « De toute évidence, il aimait ses interlocuteurs africains … et les présidents africains le lui rendaient bien ». D’ailleurs, à la mort du Général, Madame Yvonne de Gaulle, qui a refusé systématiquement toutes les délégations étrangères à Colombey, y a autorisé la présence des dirigeants africains.
Charles de Gaulle a toujours défendu avec passion les intérêts de son pays, la France, lui qui aimait dire :« Un pays n’a pas d’ami, il n’a que des intérêts ». On comprend mieux les évènements survenus en 1962 au Sénégal où la France a pris le parti de Léopold S. Senghor, garant des intérêts français, contre Mamadou Dia et Valdiodio Ndiaye qui, bien que tout aussi francophones et francophiles que leur compagnon Senghor, étaient aussi et surtout partisans d’un Sénégal pleinement indépendant.

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Bibliographie

« Mémoires d’un militant du tiers-monde » – Mamadou Dia (Publisud – 1985)

« Afrique : le prix de la liberté » – Mamadou Dia (L’Harmattan – 2001)

« Autopsie de la colonisation » – Guy de Bosschère (Albin-Michel – 1967)
« Les carnets secrets de la décolonisation » – Georges Chaffard (Calmann-Levy – 1965)
« L’homme de l’ombre » – Pierre Péan (Fayard – 1990)

« De Gaulle ou l’éternel défi » -Jean Lacouture et Roland Mehl (Seuil – 1988)

« De Gaulle et les Africains » – Stanislas Adotevi (Chaka, 1990)
« Le Sénégal en marche » – Brochure du Ministère de l’Information, de la Radiodiffusion et de la presse de la République du Sénégal (1961)
« Mémoires de Guerre » – Charles de Gaulle (Pion – 1954/1959)
« Histoire des peuples noirs » – Assoi Adiko (C.E.D.A. Abidjan)
« Le Sénégal en route vers l’Indépendance », avril 2015 – Page 5