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Culture de politesse au Sénégal: Par les genoux, commence-t-elle, l’humilité ?  Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW

Il est clair que les gestes que pose une personne revêtent autant d’importance que les mots. Tout est dans la politesse enseignée par la culture qui s’exprime par des attitudes spécifiques dont la génuflexion. Ce geste pontuel découlant de deux actions : le respect et l’adoration  est devenu une pratique culturelle qui n’est plus sacrément conservée par certains jeunes. Encore a-t-elle un sens à leurs yeux ? Reportage.

Au Sénégal, la génération féminine âgée de 25 à 35 ans, en particulier celles qui sont exposées à la culture occidentale par le biais des films et d’autres influences, ne font la génuflexion que lorsqu’elles reçoivent une demande en mariage. Sinon, seules les femmes ont le devoir de fléchir les genoux en guise de politesse envers les aînés. Pourtant, la génuflexion reste une tradition très importante dans la culture africaine. Elle incarne des valeurs de politesse, d’honorabilité, de souplesse. Mais elle semble faire partie des doctrines, mœurs, habitudes et attitudes qui ne sont plus gardées en vie. Pourquoi les genoux ne fléxionnent-ils plus ?

« C’est la culture occidentale qui diminue toute l’énergie de nos coutumes et traditions », selon le vieux El  Hadj Diop, 79 ans. « “Bou Ndiekone”,” nos parents veillaient à ce que nous respections les traditions. À l’époque, même si tu es adulte et que tu as des enfants, tu continues à dire badiéne, tante, oumpagne ; c’était des titres pour marquer la politesse sur quelqu’un. La génuflexion, c’était obligatoire lorsque vous devez saluer quelqu’un, ou lui servir quelque chose. Maintenant, il est rare de voir une jeune le faire : leurs jambes ne tiennent plus », rit-il en marquant sa stupéfaction.

Le vieux confie qu’il ne voit plus les jeunes pratiquer pas seulement la génuflexion, mais les autres cultures africaines. « Par mes petits-enfants je vais commencer. Ils ne connaissent rien des traditions ou du moins ne les respectent pas et pourtant je les ai bien appris à leurs parents, des valeurs en tant que Saint-Louisiens ».

L’influence de la culture mondiale sur celle africaine n’est plus à démontrer. Celle sénégalaise qui est  pourtant l’élément vital d’une société dynamique avec des valeurs traditionnelles a longtemps fait référence à des manières d’être, d’agir,  de se comporter, solidifiées par la tradition. Cette dernière reste un héritage à partager et non pas à remplacer par d’autres.

La jeune sage-femme en stage, Khady Sow âgée de 27 ans, estime être toujours accrochée à la culture africaine que sa mère ne cesse de lui inculquer. « Je ne me rappelle pas avoir une fois oublié de faire la génuflexion après une salutation ou un service rendu. Même avec mes amis, l’habitude ne me quitte pas. Parfois,  ils sont étonnés par autant de politesse. Mon mari en est un exemple. Il me dit souvent : « Ardo,  tu me rappelles que le Sénégal a ses traditions. C’est rare de voir des femmes de ta génération respecter l’héritage culturel et j’avoue qu’il a raison. Je pense que la génuflexion est remplacée par le petit bisou », termine-t-elle.

Manel Diouf, jeune cadre de 35 ans, a un point de vue très clair sur ce sujet. « Je ne suis pas d’accord avec presque la moitié de la culture africaine, mais la génuflexion est pour moi un symbole de politesse. Une femme qui se met à genoux pour te donner un verre d’eau ou quoi que ce soit, est un message qui veut tout simplement dire qu’elle te voue respect et obéissance. Je l’ai fait une fois quand je demandais en mariage à ma femme pour lui démontrer toute ma reconnaissance, mon amour, et surtout pour apprécier sa majestuosité », déclare-t-il.

Dans certains pays africains pourtant,  cette pratique est vue comme un abandon de la masculinité. Vous en pensez quoi ?

« A Chacun son point de vue. Beaucoup d’actes traditionnels ont une nouvelle signification en ces temps modernes. Mais personnellement je trouve valorisant pour un homme de s’agenouiller pour demander en mariage une femme, et très honorable qu’une femme s’agenouille pour demander pardon ou pour rendre service », fait-il savoir. Dans la même logique, M. Fall, professeur d’histoire,  étale son opinion et remet légèrement la faute sur les parents. « Je pense qu’il se pose un problème de transmission du savoir. Car c’est aux parents de donner ce savoir aux enfants et surtout de le pratiquer pour qu’ils s’y référent ». Toutefois, il revient sur l’importance et l’origine de ce geste respectueux, la génuflexion. «Au départ, c’était un acte de soumission car si on remonte l’histoire et surtout l’époque des empires et royaumes, les gens le faisaient pour faire allégeance au roi et à l’empereur ». « Cependant, reprit-il, dans nos sociétés traditionnelles, la génuflexion est un signe de respect dans la  mesure où la femme le fait non pas pour se soumettre mais pour marquer du respect à son père, à son mari et aussi un homme qui lui est supérieur mais aussi à la femme qui est supérieure à elle ».

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