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Coin d’Histoire – Jacques Foccart, fomenteur de complots et coups d’Etats… Par Mohamed Bachir DIOP, Rédaction centrale, Le Devoir

C’était le « monsieur Afrique » de l’Élysée, fondateur de la « Françafrique »

A l’heure où les manifestants de la rue s’attaquent en priorité aux intérêts français dans notre pays, Le Devoir revisite la vie d’un des principaux acteurs de la françafrique, en l’occurrence l’homme de sinistre renommée, Jacques Foccart. Missi dominici de la France dans les pays africains, Foccart a été mêlé à tous les complots, tous les coups d’État qui se sont produits sur le continent depuis les indépendances.

En poste comme le « monsieur Afrique » de l’Élysée depuis les années ’50, Jacques Foccart a mis en place un système de surveillance, de renseignements, de corruption et de mise au pas des chefs d’État africains exclusivement pour le compte de la France. Il faisait et défaisait les gouvernements, organisait révoltes et rébellions au besoin en utilisant des mercenaires payés rubis sur l’ongle par la France ; bref, c’était l’homme de l’ombre qui, paradoxalement, apparaissait au grand jour à chaque fois qu’un événement d’importance survenait, surtout dans les pays francophones d’Afrique, mais aussi dans les pays où les présidents étaient des francophiles. Il était formaté pour l’espionnage et les coups bas, même s’il fut un homme politique influent en France grâce à ses états de service lors de la deuxième guerre mondiale et lors de la « guerre froide ».

Foccart est né le 31 août 1913 dans une localité dénommée Ambrières-le-Grand (Mayenne). Il est le fils d’un homme d’affaires prospère, Guillaume Koch-Foccart (1876-1925) planteur-exportateur de bananes, consul de la principauté de Monaco en Guadeloupe, maire de Gourbeyre (Guadeloupe) de 1908 à 1921 et d’Elmire Courtemanche de la Clémandière, une femme qui fait partie de la haute bourgeoisie blanche guadeloupéenne.

Enfant, il connaît donc la Guadeloupe et commence à avoir contact avec les populations noires de cette colonie française qui deviendra un département français d’outre-mer en 1946.

Selon ses biographes, en 1916, son père, revenu en France pour la mort de son propre père, l’emmène avec lui en Guadeloupe. Il a six ans lorsque ses parents reviennent en métropole. Jacques Foccart conserve ensuite des liens forts avec la Guadeloupe.

En métropole, il est inscrit au lycée de l’Immaculée-Conception à Laval. Puis il entre dans la vie professionnelle comme prospecteur commercial chez Renault. Il est ensuite employé dans une société commerciale d’import-export qui traite avec l’outre-mer, donc il garde le contact avec la Guadeloupe.

Après son service militaire effectué dans les années 1930, Foccart devient sergent de réserve après avoir été sous-officier à l’état-major de l’aviation. Démobilisé en août 1940 après l’armistice de juin 1940, il regagne Paris. Commence alors pour lui une carrière d’agitateur et d’espion non sans s’être essayé auparavant aux affaires en créant une société forestière avec un camarade de l’armée.

Pour la coupe de soixante hectares de bois, il fait travailler une équipe importante : le bois est en particulier destiné à la production du charbon de bois, carburant des véhicules à gazogène, indispensable pendant cette période de restriction. L’entreprise travaille d’abord avec Citroën afin d’alimenter ses gazogènes, étend ensuite son domaine forestier avec cent hectares, achetés à un minotier à l’automne 1942, puis avec l’achat d’une grande coupe de bois, vendue par le châtelain local Claude Richard, contraint par des problèmes économiques.

À l’automne 1942, il commence, par l’entremise de Georges Desprez, à travailler pour les Allemands : deux convois sont livrés chaque semaine — grâce à des intermédiaires — à l’Organisation Todt, avec laquelle il a établi des relations commerciales.

En 1943, l’Organisation Todt suspecte d’escroquerie Jacques Foccart, Henri Tournet et Georges Desprez. Foccart et son associé sont écroués en août 1943 à Argentan et à Saint-Malo. Ils sont libérés moyennant le paiement d’une caution d’un million de francs ; leur entreprise est en outre réquisitionnée.

Ultérieurement, la police judiciaire de Rouen enquête sur la possible implication de Jacques Foccart et d’e son camarade Henri Tournet dans l’assassinat en 1944 d’un certain François Van Aerden, ancien agent consulaire de Belgique au Havre, qui aurait été témoin d’un trafic entre leur entreprise et un officier de l’Organisation Todt. En l’absence d’éléments matériels probants, le dossier est classé sans suite.

En 1942, Jacques Foccart prend contact avec la Résistance sur sa terre natale en Mayenne. Adjoint de Régis des Plas pour le réseau Action Plan Tortue pour la zone Centre et Sud, il structure le réseau Action-Tortue avec un poste de commandement.

Le nom de Foccart est évoqué, en 1953, par le SRPJ de Rouen comme étant lié à deux énigmes criminelles datant de 1944, l’affaire François Van Aerden et l’affaire Émile Buffon.

Pendant une fuite à Paris, il crée le 16 mai 1944 sous son propre nom une affaire dont l’objet est « commission-importation-exportation ». Ce commerce prend le nom de « Safiex » le 16 octobre 1945, et restera la base de son activité professionnelle.

Foccart a pris part à la bataille de Normandie avec son groupe de résistance en harcelant les Allemands. Traqué à nouveau, il se replie en Mayenne. Entre la mi-juillet et fin août 1944, il rejoint une division américaine et devient commandant.

À la libération de Paris, Jacques Foccart intègre les services de renseignement de l’État : la Direction générale des études et recherches (DGER), futur Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) dirigés par Jacques Soustelle, un gaulliste historique. Il dirige un temps à Angers la IVe région militaire.

Jacques Foccart indique lui-même avoir rejoint au mois d’août 1944 l’Angleterre comme lieutenant-colonel pour y rejoindre les services spéciaux alliés. C’est donc un espion qualifié qui mettra à profit ses connaissances du renseignement bien plus tard en Afrique.

Plus tard il entre en politique en tant que gaulliste et occupe de hautes fonctions.

Dès 1952, Jacques Foccart est coopté par le groupe sénatorial gaulliste pour participer à l’Union française, censée gérer les rapports de la France avec ses colonies. En 1953, il accompagne de Gaulle dans un périple africain durant lequel il fait la connaissance à Abidjan de Félix Houphouët-Boigny.

Il revient aux affaires en 1958, en étant nommé par de Gaulle au poste de conseiller technique à l’hôtel Matignon, chargé des affaires africaines. À partir de 1959, il installe le secrétariat général pour la Communauté puis le secrétariat général à la présidence de la République pour les affaires africaines et malgaches.

Il s’affirme alors comme l’indispensable « Monsieur Afrique » du gaullisme, homme de l’ombre du général de Gaulle puis de Georges Pompidou, chargé avec Pierre Guillaumat, autre homme de base du gaullisme et PDG d’Elf d’organiser la politique africaine de la France.

Il orchestre avec efficacité et sans états d’âme le soutien des uns et la déstabilisation des autres, fort de moyens humains et financiers considérables. Il a en effet la haute main sur l’activité tant des services secrets que la diplomatie française en Afrique et peut compter sur les libéralités d’Elf. Il s’impose alors comme l’unique et exclusive courroie de transmission entre les chefs d’états français et africains à partir de 1964. Tous les mercredis, il avait un entretien téléphonique avec le président Houphouët-Boigny sur la situation de son pays et de l’Afrique francophone en général.

Il établit le Gabon, eldorado pétrolier de l’époque, comme pierre angulaire de la politique africaine de la France. Dans un premier temps, le président Léon Mba est ainsi activement aidé à structurer son administration, avant d’être réinstallé au pouvoir après un coup d’État militaire, puis entouré d’une garde présidentielle avant d’être invité à se doter d’un vice-président « prometteur » Omar Bongo.

Il est également considéré comme l’instigateur d’interventions militaires, de conspirations et coups d’État dans les autres pays de l’ancien Empire colonial français en Afrique. En Guinée, il appuie les opposants d’Ahmed Sékou Touré ; au Congo-Kinshasa, il soutient le maréchal Mobutu. Il est également dès 1967 un acteur important du concours apporté par la France aux sécessionnistes biafrais du Nigéria, par livraisons d’armes et mercenaires interposés (dont Bob Denard).

Impliqué dans tous les coups tordus, il est cité comme l’instigateur de tous les coups d’États qui ont eu lieu dans les pays francophones d’Afrique.

Foccart est mort le 19 mars 1997 à Paris.

Le Devoir