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Coin d’Histoire – Bob Denard, se définissait comme le « Corsaire de la République » française Par Mohamed Bachir DIOP

Un mercenaire mêlé à plusieurs coups d’États et devenu maître des îles Comores

Bob Denard est le mercenaire le plus connu en Afrique. C’est son anticommunisme notoire qui le conduira à être l’homme de main de la France néocoloniale. Mais, comme mercenaire il échappera plusieurs fois au contrôle de ses commanditaires de l’Élysée ou du Quai d’Orsay par ses relations directes avec les chefs d’États africains ou autres souverains arabes. Dans ses pérégrinations sur notre continent, il aura même réussi à être une sorte de chef d’État aux îles Comores où il a organisé un coup d’État et maîtrisé la classe politique pour ses intérêts personnels. Il sera ainsi poursuivi en justice par la France dont il a servi les intérêts mais aussi par d’autres pays qui ont conclu qu’il avait sans doute porté préjudice par ses actes.

L’homme est né 7 avril 1929 à Bordeaux, d’un père qui était militaire. C’est à l’âge de 16 ans qu’il s’engage dans la Marine française comme « apprenti mécanicien ». Il obtiendra plus tard un Brevet de « matelot mécanicien, ce qui lui permet de s’engager comme volontaire pour l’Indochine comme matelot deuxième classe avant de rejoindre le corps d’élite des fusiliers marins où il atteint le grade de Quartier maître.

Puis il quittera l’armée et se retrouvera comme policier au Maroc alors sous protectorat français.

Accusé d’avoir participé à un complot pour assassiner le Président du Conseil Pierre Mendès France, Bob Denard passe 18 mois en prison.

C’est de là que lui viendra sa tendance à s’impliquer, militairement s’entend, dans les conflits post-coloniaux. Il participe ainsi dès le début des années ‘60 à des opérations militaires impliquant des mercenaires au Yémen, en Iran, au Nigeria, au Bénin, au Gabon (où il est instructeur de la garde présidentielle), en Angola en 1975, au Cabinda en 1976, au Zaïre et aux Comores. Ses hommes, des combattants tout aussi rompus que lui aux missions spéciales, jusqu’à la guérilla urbaine sont appelés par la presse française et internationale « Les affreux ». Affreux, ses mercenaires et lui l’étaient sans aucun doute par la crainte qu’ils inspiraient auprès des chefs d’États africains, surtout ceux d’entre eux qui craignaient d’être victimes de coups d’États. Ce sont d’ailleurs ces mêmes chefs d’États qui l’utilisaient pour mater des rébellions ou déjouer des tentatives de coups d’États dans leur pays.

Au Congo Belge (devenu Zaïre puis République démocratique du Congo), il soutient Moïse Tshombé qui vient de faire sécession en déclarant l’indépendance de la province du Katanga le 11 juillet 1960. Il s’est notamment distingué en faisant défiler tous ses officiers, qu’ils soient noirs ou blancs, dans une stricte égalité (jusque-là, les blancs passaient en premier). Le 21 janvier 1963 lors de la chute de Kolwezi et de la défaite des mercenaires, ces derniers se réfugient en Angola avec l’accord du régime portugais. Ils seront rapatriés en France où ils seront accueillis par les gendarmes.

Puis, il part d’août 1963 à la fin 1964 pour le Yémen pour le compte du MI6, les services secrets britanniques avec 17 mercenaires, dont les célèbres Roger Faulques et Jacques Frezier, anciens officiers parachutistes de la Légion étrangère, dans la 1re armée royaliste, financée par l’Arabie saoudite, contre les républicains soutenus par 40 000 soldats égyptiens envoyés par Nasser.

L’ensemble des mercenaires est placé sous le contrôle du colonel britannique David Smiley, ancien officier du Special Operations Executive durant la Seconde Guerre mondiale. Dans son livre Arabian Assignment, David Smiley rapporte que les mercenaires français et belges alternaient entre les théâtres yéménites et congolais, car au Congo ils avaient femmes et alcool à volonté mais étaient rarement payés, tandis qu’au Yémen ils étaient rémunérés mais privés de femmes et d’alcool.

Bob Denard revient fin 1964 dans l’ex-Congo belge, à la tête du 1er choc qu’il met sur pied le 22 février 1965. En recrutant des mercenaires européens ainsi que des Katangais, il forme une petite troupe qui prend le surnom de « Katangais ». Elle contribue à la victoire sur les rebelles communistes menés par Gbenie, Soumialot et Mulele, largement due au colonel Schramme et à son Bataillon Léopard. Jean Schramme, instructeur et commandant du « Bataillon Léopard » où il atteint le grade de colonel, décrit Bob Denard comme un lâche et un irresponsable qui n’a jamais fait partie du Bataillon Léopard. Ses erreurs de commandement seraient à l’origine de lourdes pertes dans les rangs des mercenaires qu’il dirigeait.

Denard travaille de nouveau pour le MI6 en Angola en 1975 avec l’UNITA de Jonas Savimbi.

Mais c’est aux Comores qu’il s’illustrera et deviendra ce mercenaire tristement célèbre. Il intervient une première fois dans la ce pays qui avait, à la suite d’une consultation d’auto-détermination organisée par la France, décidé de son indépendance à hauteur de 95 % des voix,  indépendance qui intervient le 6 juillet 1975. Il intervient en septembre 1975 pour consolider le coup d’État d’Ali Soilih, arrête le président Ahmed Abdallah, et le remplace par Ali Soilih.

En janvier 1977, il échoue dans une tentative de coup d’État destinée à renverser le régime de la République populaire du Bénin. Il est ensuite pressenti en 1977 pour déstabiliser le régime de James Mancham aux Seychelles.

La même année, lors d’une rencontre avec Ahmed Abdallah, réfugié en Afrique du Sud et au renversement duquel il avait participé, Bob Denard propose de l’aider à retrouver son fauteuil de président, avec le feu vert des puissances concernées. Le plan initial prévoit d’utiliser un appareil sud-africain décollant de Rhodésie, mais doit être abandonné en raison du refus du Mozambique de laisser utiliser son espace aérien. En 1978, Bob Denard débarque donc aux Comores à bord d’un ancien navire océanographique avec 43 hommes pour renverser le régime marxiste révolutionnaire de Soilih et rétablit alors Ahmed Abdallah au pouvoir. Ali Soilih est exécuté d’une balle dans la tête le 29 mai 1978 à l’issue de ce qui est présenté comme une tentative d’évasion.

Bob Denard s’occupe dès lors d’organiser une garde présidentielle forte de 600 Comoriens encadrés par une poignée d’officiers européens, comme Richard Rouget alias colonel Sanders ou Max Vieillard alias Servadac. Cette unité entre en concurrence avec les forces armées comoriennes. Il se marie sur place, se convertit à l’islam sous le nom de Saïd Moustapha M’Hadjou (parfois orthographié Mahdjoub ou Mhadjou), s’occupe de développement (construction de routes, ferme de 600 ha à Sangali, etc.). Son autorité est alors incontestée. Il se tourne également résolument en direction de l’Afrique du Sud pour trouver le soutien, notamment financier, dont il a besoin. La république fédérale islamique des Comores devient le centre d’un réseau parallèle qui permet à l’Afrique du Sud, sous embargo international, de se fournir en armes. Elle sert également de base logistique à l’Afrique du Sud pour ses opérations militaires contre les pays africains qui lui sont hostiles : le Mozambique et l’Angola. De son côté, le régime de l’apartheid règle depuis 1989 les soldes des membres de la Garde présidentielle.

Jusqu’à la mort d’Abdallah, dont il est chargé de la sécurité, et même si ses apparitions publiques se font très rares après 1985, Denard joue en coulisses un rôle considérable dans la vie publique comorienne.

En 1989, Ahmed Abdallah signe un décret donnant l’ordre à la Garde présidentielle, dirigée par Denard, de désarmer les forces armées pour cause de coup d’État probable. Quelques instants après la signature du décret, un officier des forces armées serait entré dans le bureau du président Abdallah et l’aurait abattu, blessant également Bob Denard. Blessé, impopulaire et accusé de meurtre, il négocie son départ pour l’Afrique du Sud par le biais de l’homme d’affaires Jean-Yves Ollivier et de Saïd Hillali.

Dans la nuit du 27 au 28 septembre 1995, Denard renverse Said Mohamed Djohar avec une trentaine d’hommes débarqués en Zodiac avec son protégé Sauveur Farina, tireur d’élite, ainsi que le lieutenant Blancher Christophe, son pilote privé arrivé quelques heures plus tôt, il avait pour mission d’exécuter plusieurs navettes entre l’île de Mohéli et l’île de la Grande Comore à bord de son Cessna 172. Bob Denard ouvre aux journalistes le vieil aéroport de Moroni et son camp retranché de Kangani pour éviter l’intervention de 600 hommes des forces françaises (GIGN, commandos Marine de Djibouti, 2e RPIMa). Cerné, il négocie une amnistie pour les insurgés avant sa reddition et la préparation de son procès.

De retour en métropole, il se retire dans sa région d’origine où il rêve de construire, sur le terrain familial un musée de la décolonisation. Il doit cependant faire face à des ennuis d’argent et de santé.

Il est mort le 13 octobre 2007 en France.