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Coin d’Histoire – Ahmed Sékou Touré, premier président de la République de Guinée, son credo: « La liberté dans la pauvreté plutôt que la richesse dans la servitude » Par Mohamed Bachir DIOP

Alpha Condé est un enfant de chœur devant Ahmed Sékou Touré. Le tout premier président de la Guinée indépendante n’était pas un plaisantin et tous ses adversaires l’ont appris à leurs dépens. C’était un homme intraitable, imprévisible mais toujours déterminé quelle que soit l’adversité à laquelle il devait faire face. Homme de conviction et fort de ses principes de descendant de l’Almamy Samory Touré, il ne faisait que très rarement des concessions. Qui l’avait comme adversaire devait d’abord savoir que c’est un homme qui ne lâche rien. Animal, il aurait été un pitbull féroce qui déchiquète ses proies sans état d’âme.

Ahmed Sékou Touré est un ancien fonctionnaire des Postes, un syndicaliste offensif qui a fait ses armes à Dakar. Il est né dans la ville de Faranah le 9 janvier 1922 et sa grand-mère maternelle, Bagbé Ramata Touré est l’une des filles de l’Almamy Samory Touré. De cette ascendance aristocratique, il a hérité d’un sens poussé de l’honneur, du courage et de la détermination. On l’aimait ou on le détestait sans demi-mesure.

Le dirigeant politique qu’il a été se signale en 1958 lors d’une visite du Général De Gaulle à Conakry qui venait proposer à ses colonies d’Afrique d’être membres de l’Union française plutôt que de réclamer l’indépendance immédiate. Lors de son discours, le chef de l’Etat français est copieusement hué par une foule nombreuse sous l’instigation de Sékou Touré qui avait organisé ce rassemblement populaire. Massivement, les Guinéens disent « Non » au referendum proposé par De Gaulle et réclament l’indépendance immédiate. Face à la détermination de la population, De Gaulle ne peut que céder mais il en tire une haine farouche contre Sékou Touré. Il le combattra ainsi toute sa vie, utilisant les services secrets, inondant la Guinée de faux billets de banque pour mettre son économie à genoux et armant des mercenaires pour tenter de le déstabiliser. En vain. Sékou Touré mourra de sa belle mort en 1984 aux Etats-Unis après avoir échappé aux multiples complots et autres entourloupes de la France ennemie.

Sa carrière politique démarre véritablement en 1945 lorsqu’il est élu Secrétaire général du Syndicat des postiers. Il fait partie des fondateurs du Parti démocratique guinéen, antenne locale du Rassemblement démocratique africain, parti agissant pour la décolonisation de l’Afrique. En 1957, il met sur pied l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire, une centrale syndicale commune pour l’Afrique-Occidentale française. Mais un an plus tôt, en 1956, il avait été élu député de la Guinée à l’Assemblée nationale française et maire de Conakry sous la bannière du RDA. Il en profite alors pour critiquer vivement le système colonial et développer les idées indépendantistes qui étaient en vogue auprès de la plupart des dirigeants africains de l’époque.

Après le « Non » retentissant opposé au referendum proposé par le président français, la Guinée obtient son indépendance le 2 octobre 1958 et Sékou Touré en devient le premier président de la République. Le pays est le seul de toutes les colonies françaises d’Afrique à devenir indépendant en 1958, les autres, comme le Sénégal u la Côte d’Ivoire ne le seront que deux ans plus tard, en 1960.

Très remonté, le président De Gaulle réagit de manière épidermique en ordonnant aux fonctionnaires et techniciens français de quitter immédiatement la Guinée. Les colons français emportent avec eux tout leur matériel de valeur, rapatrient les archives françaises et, surtout, les liens économiques sont rompus. Malgré les difficultés économiques consécutives à ce retrait intempestif de la puissance coloniale, Sékou Touré reste imperturbable et affirme avec force « préférer la liberté dans la pauvreté que la richesse dans la servitude ». Cela lui coûtera pas moins de 26 ans de « guerre froide » contre la France mais, pour faire face, il décide ne rien concéder à l’ancienne puissance coloniale et entreprend de gérer son pays d’une main de fer. Il impose le parti unique, s’allie avec la Chine et l’Union soviétique et s’attire l’inimitié des affidés de la France comme les présidents Senghor du Sénégal et Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire qui l’évitent comme la peste.

En Guinée, il étouffe toutes les velléités d’opposition et mène une chasse aux sorcières contre les intellectuels de l’ethnie Peul qu’il pourchasse et emprisonne à tour de bras. Au début, pourtant, il avait initié une politique d’ouverture nationale car il avait choisi comme ministre des Affaires étrangères un Peul en la personne de Diallo Telli. Mais très méfiant à l’égard de cette ethnie qui comportait beaucoup d’intellectuels susceptibles de lui apporter la contradiction, il envoie Diallo Telli à l’Onu comme représentant permanent de la Guinée afin de l’éloigner du pays. Il le soupçonnait de nourrir des velléités d’être son successeur à la tête de la Guinée car l’homme était très apprécié de la communauté internationale et était présenté comme un responsable modéré et très conciliant. A cause de cette réputation, il sera rappelé à Conakry, accusé de fomenter un coup d’état en envoyé dans la sinistre prison du Camp Boiro de triste réputation où il mourra suite à des tortures épouvantables et de multiples sévices qui ont été dénoncées par des organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International.

A propos du Camp Boiro, une abondante littérature va décrire cet endroit comme un mouroir pour opposants supposés ou réels au régime de Sékou Touré. Selon les opposants guinéens, plus de 50.000 personnes ont trouvé la mort dans cette prison suite à des tortures et mauvais traitements intolérables.

Cependant, pour redoutable qu’il fut, Sékou Touré a lutté pour les indépendances et l’émancipation des peuples africains, financé les luttes de libération en Afrique australe dont l’ANC de Nelson Mandela et Oliver Tambo qui lui ont rendu visite à Conakry, hébergé les dirigeants du PAIGC d’Amilcar Cabral et il s’était lié d’amitié avec les combattants noirs américains qui luttaient pour l’égalité des races en Amérique comme Malcolm X ou Stokely Carmichael à qui il offre même l’asile en Guinée. Il accueille la chanteuse sud-africaine Myriam Makéba que certains ont présentée comme sa maîtresse et il a comme compères en Afrique Kwamé Nkrumah, président du Ghana et Modibo Keita, président du Mali, tous deux de tendance socialiste comme lui.

Mais face à la redoutable adversité de la France qui lui met des bâtons dans les roues, il finira par se rapprocher du monde occidental via les USA dont il admire le président, John Kennedy.

Pour le déstabiliser, la France avait déployé plusieurs hommes et toute une stratégie. Un responsable des services secrets français, Maurice Robert, chef du secteur Afrique au service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) de 1958 à 1968, a avoué :

« Nous devions déstabiliser Sekou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition. Une opération de cette envergure comporte plusieurs phases : le recueil et l’analyse des renseignements, l’élaboration d’un plan d’action à partir de ces renseignements, l’étude et la mise en place des moyens logistiques, l’adoption de mesures pour la réalisation du plan. Avec l’aide d’exilés guinéens réfugiés au Sénégal, nous avons aussi organisé des maquis d’opposition dans le Fouta-Djalon. L’encadrement était assuré par des experts français en opérations clandestines. Nous avons armé et entraîné ces opposants guinéens pour qu’ils développent un climat d’insécurité en Guinée et, si possible, qu’ils renversent Sékou Touré. Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l’opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l’économie ».

Peine perdue car Sékou Touré maintiendra le cap. A la mort de Kennedy, il se brouille avec les Etat-Unis qu’il accuse d’aider la France pour le déstabiliser. Mais il se réconciliera plus tard avec l’ancien colonisateur sous la présidence de Valéry Giscard-d’Estaing et redeviendra fréquentable et politiquement correct.

Mais le 20 mars 1984, après de nombreux déplacements pour l’organisation du 20e sommet de l’organisation de l’unité africaine, il est pris de forts malaises. Des médecins marocains affrétés par le roi Hassan II diagnostiquent de sérieux problèmes cardiaques. Le 24 mars, des cardiologues américains diagnostiquent un anévrisme de l’aorte. L’Arabie saoudite dépêche aussitôt un avion-hôpital pour l’emmener à Cleveland aux USA. C’est là qu’il s’éteint le 26 mars 1984 lors d’une opération de chirurgie cardiaque. Sa dépouille est rapatriée le 28 mars et exposée pendant 2 jours au palais présidentiel. Il est inhumé le 30 mars au mausolée de Camayenne.