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Cinéma-Dialika Haïlé Sané : Born on April 4th

Dialika H.Sané, exclusivement culturelle

Flegme et Ébène

Ça n’est pas parce qu’elle est née un 4 avril que Dialika Haïlé Sané est indépendante mais par sa « combativité dans la folie ». Une intelligence ébène, comme l’émotion et la raison.

Dialika Haïlé Sané, une femme noire, incarne l’intelligence à travers toutes ses facettes. Elle enfile, avec une ambition saine, plusieurs casquettes qui témoignent de sa polyvalence : titulaire d’un Master en journalisme de l’IICP et d’un autre en Marketing-communication de l’ESCG. Également auteure dramatique, romancière, scénariste, actrice et formatrice. Cette diversité lui permet d’explorer différents genres et de savourer chaque instant. Née le 4 avril, Dialika Haïlé Sané est indépendante, à la fois délicate et réfléchie, des traits de personnalité qui se manifestent avec force et qui lui confèrent une poigne indéniable dans le septième art. Son parcours foisonnant témoigne de sa volonté de tracer sa propre voie et d’exprimer son talent sans compromis. N’est-ce pas sa biographie donnerait un film captivant ?

Entretien dirigé par Chérifa Sadany Ibou-Daba SOW,

Cheffe du Desk Culture

Le scénariste français Roger Bohbot disait : « Un scénario, c’est une façon de répondre à une question que l’on se pose » ; qu’en pensez-vous ?

Le scénario part d’une question et, mieux encore, d’un questionnement continuel. Une question en appelle une autre, une réflexion en appelle une autre et plus vous avez de réponses mieux vous pouvez construire une histoire et créer une trajectoire émotionnelle et dramatique solide à votre protagoniste. Le spectateur n’aime pas les zones d’ombre : tout doit être clair pour lui, à moins que le mystère soit justifié. Et le premier spectateur d’une œuvre, c’est l’auteur lui-même ! Donc il faut qu’il soit perspicace. De ce fait, pour que les éléments d’une histoire soient clairs aux yeux d’un public, il faut être en mesure soi-même de répondre aux questions majeures avant de se lancer dans l’écriture d’un film : qu’est-ce que je veux raconter ? Qui va porter mon histoire ? Pourquoi, comment, où, à quelle époque ? Le catalyseur? L’objectif, les enjeux, les obstacles ? Etc.

Vous êtes aussi formatrice en écriture de scénario; de quelle pédagogie faites-vous usage, pour faire comprendre le cinéma à vos élèves ?

Notre pédagogie est centrée sur l’apprenant. Etant donné qu’il n’y a pas de prérequis de diplôme, un ajustement est nécessaire dès le départ car certains sont très jeunes avec peu d’expérience tandis que d’autres ont déjà des acquis ou un parcours professionnel. Faire en sorte que tout le monde puisse être à l’aise dans la méthodologie est notre priorité. L’écoute et l’adaptation sont importantes. On n’est pas dans une configuration où le prof tout puissant monopolise la parole. J’aime que les élèves se sentent suffisamment à l’aise pour libérer la leur. Chez nous, l’opinion des élèves, leurs visions, leurs connaissances sont valorisées à travers des débats. Mes cours sont interactifs avec des extraits, des visuels, du dynamisme. Je suis dans la transmission, pas dans l’enseignement. J’aime l’autodérision, le fun, l’audace ! Le cinéma, ce n’est pas pour les coincés (rires) ! On est à mi-chemin entre l’université pour la pluralité des cours théoriques et l’école pour la mise en pratique, le côté pragmatique

On aborde durant 6 mois intenses les différentes étapes d’écriture qui précèdent le scénario, on transmet les grandes notions du cinéma en nous basant sur notre propre expertise de terrain mais aussi en puisant chez les théoriciens comme Truby, Lavandier, Mckee, Jean Marie Roth mais aussi Blake Snyder pour ne citer qu’eux. Tout en ayant l’appui de l’INA qui nous a accompagné dans la construction de notre programme. Notre pédagogie se démarque de celles des écoles KT de France car, en plus du court métrage/cinéma, on étudie la série puisque le marché s’y prête.

Vous les côtoyez, vous échangez avec eux, qu’est-ce qui vous séduit chez ces jeunes élèves cinéastes en devenir ?

Leur tournure d’esprit, leur originalité, leur sensibilité, leur folie, leurs connaissances, leur soif de découvertes, leur inspiration et références, leur désir d’excellence, leur ambition saine, leurs visions, leur personnalité…C’est un cocktail très stimulant ! Il n’y a pas un cours qui ressemble à l’autre, rien n’est figé ! Et surtout, j’ai beaucoup d’espoir pour le cinéma ou plutôt les cinémas d’Afrique mais aussi la série car ils ont vraiment envie de changer les choses, d’aller au-delà des clichés, frontières, mécanismes, règles! Et ils en ont la capacité artistique et intellectuelle !

C’est peut-être le moment de parler de votre carrière de comédienne. Pourquoi êtes-vous devenue actrice ? Et quelle est votre particularité ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé monter sur scène. La première fois, c’était à 10 ans, lors d’une représentation scolaire. Mais j’ai décidé de me lancer dans le théâtre au lycée pour plusieurs raisons : pour pouvoir interpréter des rôles emblématiques comme Antigone ou des pièces de Césaire, Victor Hugo, pour mon amour des mots, pour pouvoir explorer les émotions, mais aussi pour dompter ma timidité en me mettant en danger. J’ai poursuivi à la fac en intégrant les troupes de théâtres des deux universités fréquentées, François Rabelais de Tours et Paris 12. J’y avais l’occasion d’écrire mais aussi de jouer. Puis j’ai interprété au Grand Théatre de Dakar et dans les écoles mon monologue théâtral ” Et la rose s’écroula ” qui abordait le thème de l’excision. A partir de là, cela s’est enchaîné. On m’a appelée pour des castings ciné et télé. Dans la série ” Manjak”  de Anna Gomis, je joue le rôle principal.

Qu’est-ce que ça vous a apporté ce bagage scénaristique quand vous passez à l’acting ?

Le fait d’être scénariste me permet de mieux m’approprier le texte, même si je sais faire le distinguo entre ces deux compétences. Quand je suis actrice, je le suis à 100% et je me laisse guider. Mais je dirai que parce que je suis auteure, j’accorde une grande importance au sous-texte. Même quand mon personnage est silencieux, son monde intérieur existe à travers toute la psychologie, sa backstory, ses intentions, donc je fais un travail d’écriture personnel que je tiens dans un carnet de bord et qui complète la fiche du personnage que j’interprète et le dialogue… Le cinéma est un monde rempli de rapaces et de requins. La rivalité, l’envie, la jalousie, le jugement, l’hypocrisie, les médisances, les coups bas y sont courants. C’est une sorte de microsociété ! Il faut avoir du caractère, être lucide, rester sur ses gardes, savoir s’accompagner de personnes fiables. Pour être un bon acteur ou une bonne actrice, il faut savoir s’abandonner ; or les conditions ne sont pas toujours là. J’ai souvent eu un problème de confiance ou un manque de confort. Mais je n’ai pas peur. Je connais mes forces, mes qualités et je ne suis pas dans l’attente, dans la demande puisque je crée moi-même. Et de plus, je pense avoir trouvé mes gens, j’ai un bon réseau. Et je fais tout avec le cœur. Je vais vers les projets qui ont de l’âme.

Dans la conception du personnage féminin, on note un nouveau discours féminin dans les scénarios qui renvoie l’image de la femme à une fonction de sujet plutôt qu’a une fonction d’objet. Comment expliquez-vous ce changement ?

Oh j’aime beaucoup cette question ! A ma connaissance, la réponse se trouve dans la main de la personne qui tient la plume…Il y a de plus en plus de femmes scénaristes qui écrivent et écrivent différemment, ont une approche, un regard et une sensibilité unique. Je ne crois pas en l’écriture selon le genre ou le sexe, mais force est de constater que les femmes viennent souvent avec un point de vue nouveau, et des films ou séries portées par des personnages féminins qui cassent les clichés ou vont plus loin que ce qu’on nous sert d’habitude. Le physique, l’âge, la position sociale, la condition, la pensée, le désir, la volonté, la force et la vulnérabilité, l’image en général de la femme sont des éléments qui se déclinent différemment quand c’est une femme qui écrit l’histoire. On a besoin de points de vue variés pour ne pas tomber dans la caricature, les schémas préconçus ou les raccourcis absurdes et insultants.

La femme cinéaste est dans un système qui l’a souvent écarté de la responsabilité et de la prise de décision. Comment arrivez-vous, malgré cette contrainte, à vous imposer dans le 7e art ?

Je suis la protagoniste du film de ma vie, je ne peux qu’être proactive ! Je refuse le conditionnement. J’estime que lorsqu’on a la capacité de créer, lancer des projets, personne ne peut nous fermer les portes puisqu’on peut maintenant rien qu’avec les smartphones et internet trouver un espace de diffusion et un public. J’ai acquis avec le temps le sens de l’initiative et je suis bien entourée. Je fais mes preuves sur le papier et sky is the limit !.

Quel film vous a  bouleversée ?

Yaaba

C’est difficile de choisir un seul film, même impossible : je dirai ” Yaaba”  de Ouedraogo, ” Amorres perros” du mexicain Inarritu et tous les films d’Inarritu ! ” Carmen Jones” avec feu Belafonte, “Une séparation ” de l’iranien Farhadi, ” Central do Brasil ” du Brésilien Walter Salles, ” Set it off” avec 4 badass braqueuses noires comme protagonistes, mais aussi des blockbusters comme “Titanic ” ou ” Gladiator “. Je pourrai allonger la liste !

Que préférez-vous entre aller au cinéma ou regarder un film à la maison ?

La salle de cinéma est une expérience à part, mémorable, ce n’est pas comparable au film que l’on regarde dans le confort de chez soi car l’émotion, les réactions sont communicatives dans une salle de cinéma : j’y allais souvent seule quand j’étais étudiante car je voulais profiter du film entièrement et j’étais abonnée à deux magazines de cinéma me permettant d’explorer le monde du cinéma plus en détails…

Par simple curiosité (rires). Comment vous mettez-vous à l’aise chez vous pour dévorer un film ou pour même écrire un projet de film ?

Alors (rires), j’ai besoin d’un oreiller bien douillet, une couverture, des choses à grignoter, lumière tamisée, clim, téléphone en mode avion, pour me plonger dans un film. Pour ce qui est de l’écriture, j’ai besoin d’un calme total quand je suis chez moi, pas de musique à moins que ce soit celle du clavier d’ordi, pas de bruit, bien installée dans mon bureau, devant une fenêtre ensoleillée avec en prime un bon café noir même si j’essaie de me sevrer...Mais curieusement, je n’arrive pas à écrire face à la mer car ça me distrait, je suis comme hypnotisée par le ressac. Écrire dans un jardin, sous les arbres, entourée de fleurs, ça oui! Mais généralement, je m’isole. Paradoxalement, je suis très stimulée quand j’écris dans les cafés-restaurants, il y a ce je ne sais quoi dans l’air, les cliquetis des ustensiles, qui augmentent ma créativité et productivité. Pour résumer, mes proches savent à quel moment j’entre en hibernation et là c’est DO NOT DISTURB !!! sinon je sors les crocs (rires).

Juste pour le fun, pouvez-vous nous raconter une anecdote (drôle, triste, bizarre…) qui vous est arrivée dans le cinéma ?

Parce que je m’appelle Dialika, on me confond souvent avec la Djalika de ” Maitresse d’un homme marié “,  sauf que c’est mon vrai prénom. Sur le tournage de ” Manjak “, une rumeur s’était répandue comme quoi Djalika était en tournage, l’autre Djalika ! Toute une école s’est déplacée pour pouvoir la rencontrer : moi j’avais compris que ce n’était pas moi qu’ils voulaient voir mais le régisseur insistait pour que j’aille leur faire un coucou. Fallait voir leur tête quand ils m’ont vue…Et je vais vous passer toutes les anecdotes mystiques et terrifiantes qui se sont déroulées pendant le tournage de ” Manjak “…

Dialika, vous êtes aussi spectatrice. Quel est le film que vous avez suivi en 2023 et qui vous frisonne ?

Je vais dire ” The woman King “, malgré toute la polémique, c’était beau de pouvoir admirer ce casting féminin 100% afro dans un décor 100% afro.

Denzel Washington ? Ce nom vous évoque t-il quelque chose ? ( Rire)

Denzel

(Rires) L’homme de nos rêves ?

Nous allons terminer cet entretien avec une épreuve. Choisissez deux qualificatifs sur cette liste pour créer un jeune cinéaste :

La combativité de Souleymane Cissé

L’audace de Djibril Diop Mambety
La résistance et humilité de Sembène Ousmane.
La délicatesse et folie de Hitchcock

Oh la la c’est dur !…Je dirai la combativité, car notre métier n’est pas facile et notre premier adversaire c’est nous même puisque nous devons surmonter nos peurs, nos doutes, nos blocages pour y arriver et la folie car il faut être haut perché pour créer, avoir sa propre vision de la vie, ne pas regarder le monde comme les autres, assumer sa différence, être à contre courant, se réinventer. Il faut en somme une combativité dans la folie!