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La Ligne du Devoir

Ces shooting stars du journalisme sénégalais ?

Ils sont d’anciens jetseteurs, promoteurs de spectacles, chômeurs sortis du néant, mannequins, agents de joueur, « apporteurs d’affaires ». Leur particularité, c’est que ces nouvelles « icones » de la presse se réclament journalistes, sans complexe.

Qui est journaliste et qui ne l’est pas ?

La réponse est, en théorie évidente, mais dans les faits, si tout le monde n’est pas et ne peut être journaliste, le journaliste lui-même s’est beaucoup métamorphosé avec l’avènement des réseaux sociaux. La profession de journaliste s’est-elle élargie à tous les collecteurs d’information dans les réseaux sociaux ou c’est le journaliste lui-même qui s’est laissé déformer par la tyrannie que ceux-ci exercent sur lui et sa profession ? On peut se demander si l’envahissement du métier de journaliste par tous les secteurs de la vie socio- professionnelle dans le long terme, n’entraînera pas de facto une mutation dans cette profession, pour ne pas dire sa disparition. Quelques temps avant sa mort, le philosophe français Michel Serre attirait l’attention des professionnels de l’école sur la nécessité d’un changement de paradigme.

En effet, puisque « le avoir » est disponible partout dans l’environnement de l’apprenant, l’enseignant n’a plus le monopole du savoir : il arrive même que ses élèves soient plus informés que lui. Le savoir est tellement démocratisé que lorsqu’on veut s’ériger en grenier du savoir, on devient ridicule. Cette mutation touche profondément le monde de la presse depuis l’explosion des réseaux sociaux : de même que l’enseignant n’a plus le monopole du savoir, le journaliste n’a certainement plus le monopole de l’information.

Le cas Niang Khargne accrédité pour la couverture médiatique du séminaire du parlement de la CEDEAO (fait rocambolesque quand-même) avait mis le Synpics dans tous ses états. Le syndicat des journalistes avait non seulement adressé une note de protestation aux autorités de la Cedeao, mais il avait envisagé de porter l’affaire devant les juridictions communautaires. S’il est aisé de comprendre la colère légitime dudit syndicat qui parle de recel et d’usurpation de fonction, on doit néanmoins s’interroger sur les raisons lointaines qui ont rendu facile une telle imposture. Si, en effet, un simple selfie suffit à présenter quelqu’un comme un journaliste au point de l’accréditer auprès d’une institution aussi prestigieuse, la presse n’est-elle pas en danger ? On a vu, lors des obsèques de Jacques Chirac, un député français (Philippe Folliot) faire un selfie (il s’est excusé par la suite) qui a indigné plus d’un : mais de quoi cet acte est-il révélateur ?

À moins de faire la politique de l’autruche, on doit admettre qu’il y a aujourd’hui une boulimie de l’information dont le corolaire est la course vers le vedettariat avec comme effet secondaire, une « obésité » informationnelle sans précédent. Tout est objet d’information (y compris la vie privée des citoyens les plus ordinaires) et concomitamment tout le monde est devenu source d’informations. Dans ce flux ininterrompu d’informations, il n’est pas aisé de faire la distinction entre ce qui est professionnel et ce qui relève du loisir. De quoi susciter un sévère réquisitoire du journaliste Aly Fall sur sa page Facebook : Le code de la presse, voté à l’Assemblée nationale après huit années de négociations, provoque un sentiment mitigé chez les professionnels du secteur, faute d’être appliqué.

« Donc on se sera battu pendant des années, pour obtenir un code de la presse désuet et inutile. Le seul résultat est aujourd’hui d’avoir de nouveaux « confrères » pas du tout commode, mais plutôt « branchés » et mieux « servis ». L’ancien porte-parole du Syndicat des journalistes d’enfoncer le clou : « Ils se réclament journalistes fièrement et contre vent et marrées. Tandis que les légitimes eux, se cherchent une porte de sortie pour quitter le navire. Quel code de la presse ! Fermons le Cesti l’Issic et toutes les autres écoles de formation ». Sur les différents plateaux de télévision, on ne sait plus qui est animateur, journalistes. Cumul de paradoxes, la plus subtile façon de faire passer son opinion et son combat politique, sans courir le risque d’affronter la rudesse de l’adversité politique, c’est de porter le manteau de « chroniqueur ». Le modèle économique, n’en parlons pas :

Si autrefois le journaliste était le fabricant d’opinion publique, aujourd’hui, c’est bien lui et sa profession qui risquent d’être fabriqués par l’opinion qui se forme à partir des réseaux sociaux. C’est peut-être là la clé d’explication de la dérive informelle vers laquelle tend très souvent la profession de journaliste. L’identité que le sens commun fait entre la personne du journaliste et sa profession fausse le jeu, car sa présence dans les réseaux sociaux est inéluctablement interprétée comme un prolongement de son travail. C’est vrai qu’à notre époque la frontière entre travail est loisir est devenue presque caduque, mais faire de la présence du journaliste dans les réseaux sociaux une extension de son travail dans les rédactions est source de confusions et de dérives. Il faut dire que le journaliste lui-même n’offre aucune garantie de séparation claire entre sa profession et son loisir dans les réseaux sociaux. Autrement dit, quand il fait ses posts et ses commentaires, rien ne permet de dissocier sa posture de simple citoyen qui prend part à un débat ouvert et sa formation de journaliste. Bien souvent, au contraire, on sent très nettement dans ses interventions, les marques de sa profession ; de sorte qu’en plus de son nom qui lui vaut une certaine image, il y a forcément la marque de journaliste qui transparaît dans ses messages. Sous ce rapport, on peut dire que sans s’en rendre compte, le journaliste présent dans les réseaux sociaux est en train de filer certains arcanes de sa profession à des amateurs. Le cas Niang Kharagne est loin d’être anecdotique : non seulement le journaliste n’a plus le monopole de l’information et de son traitement, mais il fait des émules qui ne sont pas censés avoir sa déontologie. Il y a certes ici une tentative d’usurpation de fonction, mais la proximité entre les professionnels de l’information et les citoyens ordinaires y est pour que chose. Il faut dire d’ailleurs que dans le monde de la presse les métiers connexes proches du journalisme sont tellement nombreux et imbriqués qu’on ne fait plus la différence entre le photographe, le reporter, le journaliste, le preneur de son etc. Pour peu qu’il soit attentif et habile, sa longue compagnie avec le journaliste de profession lui permet de se positionner comme un professionnel. Il faut dire qu’avec Internet et surtout les réseaux sociaux, accéder à la bonne information est davantage une question de engluées dans un environnement économique peu propice, les sociétés éditrices de journaux croulent sous le poids de lourdes charges sociales pour de maigres retombées financières.

C’est vrai que le travail de fouille, recoupement du journaliste ne peut pas être maîtrisé par le profane, mais dans la mesure où l’essentiel chez le consommateur, c’est la primeur et le sensationnel, ce gap est vite comblé. Dans une société de consommation, la production d’information s’inscrit dans la logique du marché : le fait qu’un produit soit consommé lui donne de fait la légitimité d’exister. Si la notion de média au sens plus large renvoie à moyen ou lieu de diffusion, tout grand diffuseur, serait-il de baliverne et de Fake new, peut se prévaloir du statut d’homme de média. Ce monsieur est probablement en train de surfer sur une confusion conceptuelle entretenue par la course effrénée des journalistes vers le nombre de vue. Parce qu’il est, comme tout le monde, friand de nombre de vues générés dans les réseaux sociaux, le journaliste peut devenir l’appendice du diffuseur d’information quel que soit son statut. Lo Kharagne se vante d’ailleurs d’être lui-même une source d’information pour les journalistes !

Baye Saliou THIAM