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Air Afrique : Yamoussoukro, de triste mémoire

L’assaut de Yamoussoukro
et le saut-piqué

de l’antilope-cheval

Pourquoi la compagnie aérienne a-t-elle sombré alors que le prestataire de services de la sécurité navigation aérienne a survécu et même s’est étendue ?

Des raisons qui ont conduit Air Afrique à la faillite, les plus essentielles sont :

1. l’immixtion des États membres dans la gestion de la compagnie,
2. la Décision de Yamoussoukro qui a libéralisé le marché intérieur de la compagnie sans réelle contrepartie,
3. la double décision de son PDG français de vendre la flotte de DC10 qui était déjà amortie et l’acquisition des A310 qui ont plombé les finances de la compagnie,
4. l’alliance avec Air France qui, de partenaire, s’était muée en féroce concurrent,
5. la convoitise des créneaux horaires particulièrement stratégiques que la multinationale détenait sur la plateforme de Roissy,
6. enfin, on ne peut pas passer sous silence le comportement de certains cadres qui ont commis des abus très préjudiciables à la santé financière de la compagnie.

Au début, Yaoundé,  à la fin Yamoussoukro
La compagnie aérienne Air Afrique à été créée par le Traité de Yaoundé en 1961 par 10 États d’Afrique occidentale et centrale, tous anciennes colonies françaises, et la France. Ce regroupement dans le domaine de l’Aviation civile en ce qui concerne les services aériens a suivi celui dans la navigation aérienne avec l’Agence pour la Sécurité de la Navigation aérienne en Afrique (ASECNA), laquelle à été créée par la convention de Saint-Louis du Sénégal en 1958. Cette dernière regroupant plus d’États qui continue d’assurer la sécurité de la navigation aérienne dans les espaces aériens de 17 États, eux aussi anciennement sous domination française, et a intégré d’autres partenaires comme la Guinée équatoriale, la Guinée Bissau, les Comores et récemment le Rwanda.

Le sujet ici n’est guère la sécurité navigation aérienne ; toutefois, certains éléments y relatifs permettent de faire une utile comparaison et peut-être de savoir pourquoi la compagnie aérienne a sombré alors que le prestataire de services de la sécurité navigation aérienne à survécu et même s’est étendue.
Sous la direction de notre compatriote Cheikh Fal, ingénieur diplômé de prestigieuse école centrale des Arts et Manufactures de Paris, Air Afrique a connu un essor remarquable.
En étroite coopération avec l’Union des Transporteurs aériens (UTA), la compagnie aérienne privée française surtout orientée vers la desserte du continent africain et l’Outre-mer lointain du Pacifique, Air Afrique s’est développée dans environnement assez stable et à évolution prévisible.
Cette coopération était très approfondie et outre l’exploitation en pool de certaines lignes et une certaine harmonisation de leurs flottes composées essentiellement de Mc Douglas, elle avait même permis la banalisation des équipages, un degré rarement atteint dans les relations entre compagnies aériennes.
Il faut aussi savoir que la compagnie Air France, présente dans le capital d’Air Afrique, était membre du conseil d’administration. A la longue ceci avait induit un sérieux problème étant donné que de partenaire la compagnie française était devenue une concurrente.
Tout ceci présentait une cohérence d’ensemble et Air Afrique bénéficiait d’une coopération technique et commerciale qui lui a donné l’opportunité de développer grandement ses compétences et sa maîtrise de l’aviation civile commerciale.
Ainsi en matière de formation, d’entretien, d’assistance en escale et de traitement de passagers et du fret, la compagnie multinationale avait atteint un niveau tout à fait honorable.
Tout cela se passait dans un contexte régi par des conventions qui préconisaient une gestion concertée des droits de trafic dans laquelle les troisième et quatrième libertés étaient reconnues comme légitimes et fondamentales pour chaque pays   (1).
À ce propos, la Convention relative à l’Aviation civile précisait dans son préambule que les États devaient avoir une égalité de chances pour bénéficier des avantages de l’aviation civile, notamment de ceux du transport aérien. Voilà pourquoi les États, pour encadrer les activités de transport aérien, signaient des accords souvent bilatéraux dont les modèles sont ceux signés entre les États-Unis et la Grande Bretagne appelés Bermudes 1 et 2.
Les droits de trafic de troisième et quatrième libertés (droit d’exercer des activités transport aérien commercial de son pays vers l’étranger et de l’étranger vers son pays) étaient protégés.

Ce cadre, qui avait permis aux pays, comme ceux d’Air Afrique, de disposer d’un marché consistant et ainsi avoir une compagnie viable, a été remis en cause par la vague de libération du transport aérien initiée aux États-Unis. Celle-ci a fini par atteindre l’Europe qui, elle, a pris le temps se préparer pour s’adapter à ce nouveau contexte.
L’Etat français, dans cette perspective, avait intégré les compagnies Air Inter et UTA dans Air France. Cette décision a rendu Air Afrique « orpheline ».
La mondialisation dans les secteurs commerciaux soutenue par des organisations internationales comme l‘Organisation mondiale du Commerce et les institutions de Bretton Wood ont fini par atteindre les pays africains.
C’est ainsi que la Déclaration de Yamoussoukro, qui a libéralisé le marché intérieur du continent africain a, sans exagération, initié le processus qui fut fatale à beaucoup de compagnies africaines subsahariennes dont Air Afrique.
Progressivement, après le départ de notre compatriote Cheikh Fal remplacé par l’Ivoirien Aoussou Koffi, les États ont commencé à interférer dans la gestion de la compagnie; processus qui a fini par la conduire à des difficultés insurmontables.
Beaucoup de raisons ont été avancées pour expliquer la faillite d’Air Afrique. En fait outre la modification du cadre institutionnel avec la Décision de Yamoussoukro qui a libéralisé le marché intérieur de la compagnie sans réelle contrepartie, les plus essentielles sont :
L’immixtion des États membres dans la gestion de la compagnie,
La double décision de son PDG français de vendre la flotte de DC10 qui était déjà amortie et l’acquisition des A310 qui ont plombé les finances de la compagnie,
L’alliance avec Air France qui de partenaire s’était muée en redoutable concurrent.
La convoitise des créneaux horaires historiques, particulièrement stratégiques que la multinationale détenait sur la plateforme de Roissy.
Enfin on ne peut pas passer sous silence le comportement de certains cadres qui ont commis des abus très préjudiciables à la santé financière de la compagnie.
Innombrables ont été les facteurs qui concouru à la disparition de la compagnie.
Nous en avons cités quelques-uns.
Toutefois, il est bon d’insister sur certains facteurs pour qu’à l’avenir un projet similaire ne n’aille pas vers l’échec:
L’égalitarisme entre États est un principe à bannir étant donné que leurs poids économiques et responsabilités n’étaient pas du même ordre.
En effet, parmi les 11 États membres, leur contributions au trafic de la compagnie étaient respectivement:
Sénégal : 33%
Côté d’ivoire : 30 %
Mali : 12%
et les 8 autres contribuaient pour en moyenne 3%.
Il s’y ajoutait que certains engagements financiers de la compagnie étaient avalisés par la Côte d’ivoire et le Sénégal ; ainsi, lorsque la défaillance d’Air Afrique est intervenue, les deux États ont été obligés de payer à sa place les échéances qui restaient.
À postériori, il est légitime de se demander pourquoi avoir accepté que des décisions essentielles pour sauver la compagnie furent bloquées par des États qui n’avaient pas les mêmes niveaux de responsabilité et d’apports économiques.
Pourquoi Air Afrique a sombré alors que l’ASECNA pu poursuivre ses activités ?
La différence essentielle entre Air Afrique et l’ASECNA est que la libéralisation a donné accès au marché du transport aérien aux compagnies des États qui fixent les règles de la compétition entre les transporteurs aériens. Ceci a eu comme conséquence le désintérêt de ces mêmes États quant à la participation au transport aérien des instruments comme la compagnie multinationale. Quant à l’ASECNA, sa mission d’assurer la sécurité de la navigation aérienne reste d’un intérêt majeur pour ces mêmes États pour l’exécution des vols de leurs compagnies et même de leurs forces armées.

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1-Les Libertés aériennes sont un ensemble de règles et de droits octroyés par des pays aux compagnies commerciales aériennes locales ou étrangères sur ce qu’elles peuvent faire lors du survol de l’espace aérien. Ces règles ont été formulées à la suite de désaccords sur l’étendue de la libéralisation de l’aviation dans la Convention relative à l’Aviation Civile Internationale de 1944, connue comme la Convention de Chicago. (Wikipedia).

Les libertés de l’air… qu’est ce que c’est?

Les libertés de l’air, plus connues sous leur nom anglophone « Freedoms of the Air », sont une série de règles permises par l’OACI aux compagnies aériennes.

La plus connue des libertés de l’air, car la plus atypique, est la cinquième : c’est le droit d’embarquer/débarquer dans un Etat tiers des passagers à destination/en provenance  de tout autre Etat contractant.

Ou en français: cela permet à une compagnie aérienne d’opérer entre deux villes de deux pays, autres que celui d’origine. Et figurez-vous que depuis Montréal, un vol de ce type est opéré par la compagnie nationale chinoise (Milesopedia).

Ababacar Sadikhe DIAGNE,
Ancien élève des classes préparatoires aux grandes écoles.
Ingénieur diplômé de l’Ecole nationale de l’Aviation civile (ENAC), Toulouse, France, et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Cambridge, USA.Air