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Walata 4 Septembre : Un Père & Manque

Mon Baba, Téne Youssou Guèye

« L’ainée est une journaliste : Hindou Guèye ; il a aussi un autre fils qui est également journaliste, Birome Tène Youssouf Guèye. Ce qui s’est passé est horrible : mon beau-père était présent à la cérémonie religieuse du mariage de Taya. Mon épouse est l’homonyme de sa belle-mère ».
Cette épouse homonyme de la belle-mère de l’ancien président Ould Taya s’appelle Haby Guèye, épouse Mbodj, cadette des enfants de Téne Youssouf Guèye.
Trente-six ans après les événements tragiques de Walata où son père perdit la vie, « il lui arrive d’en parler mais j’ai l’impression qu’elle n’a toujours pas fait son deuil.
Elle se souvient des conditions d’arrestation et le transfert vers Oualata ».
Elle sait ce qu’elle sait de son père, ce qu’elle ne sait pas, ce qu’elle aurait voulu savoir et de l’absence du martyre Téne Youssef Guèye, son père plus que son papa, même si elle continue encore de l’appeler « Baba ».

 

La mort de Youssouf Téné Guèye

 

« Et c’est encore en septembre 1988, le 04, que l’on convoque mon frère aîné pour lui signifier que notre père est décédé.

En fait, il est mort deux jours avant et l’administration semblait hésitante à donner la nouvelle ».

 

 

 

 

Et pourtant ce sont nos frères

Par Oumar SOUMARÉ

(Décédé)

in Le Devoir no 53 du Premier

au 15 octobre 1988, page 8.

« Ce qui caractérise principalement la vie d’un Noir, c’est la souffrance, une souffrance si ancienne et si profonde qu’elle fait partie presque, tous les instants, de sa vie. Sous son rire, le Noir dissimule des larmes qu’aucune main ne peut essuyer ».

Martin Luther King
Cité par Majhmout Diop
In « Histoire des classes sociales dans l’Afrique de l’Ouest.2. Le Sénégal ».

La mort de l’écrivain négro-mauritanien Youssouf Téné Guèye et du sous-officier Alassane Oumar Bâ dans les geôles d’un despote arrogant vient nous interpeller de manière douloureuse sur le sort peu enviable réservé un peu partout dans le monde aux Nègres. Et ceci à l’aube du vingt-et-unième siècle que les auteurs de romans d’anticipation décrivent comme l’âge d’or de l’Humanité. Certes, il ne s’agit pas ici de faire du racisme à rebours, ni de décréter une quelconque guerre des races, mais de constater des faits et des actes détestables et de les désavouer.

En effet, la Mauritanie, où se trouve comme par hasard la capitale de l‘ancien empire Oualata, s’est proclamée République arabe alors qu’elle n’est pas plus arabe que le Sénégal, le Tchad, le Mali ou le Niger car peuplée de berbères et de Négro-africains. Depuis des temps immémoriaux, les Berbères ont pratiqué l’esclavage vis-à-vis des Noirs par le biais des razzias ; c’est ce qui explique qu’il y ait une forte population noire de culture et de langue berbères, les Harratines, et qui sont toujours dans les faits considérés comme des esclaves, malgré les dénégations des différents gouvernements successifs de Nouakchott.

Il faut dire aussi que le pouvoir colonial a toujours fermé les yeux sur l’esclavage des Noirs en Mauritanie. Seule une société philanthropique anglaise, l’Association anti-esclavagiste de Londres, s’est fait un devoir de dénoncer cet anachronisme de tout temps.

Aujourd’hui en Mauritanie, les Berbères ou Beydanes sont minoritaires ; les Harratines considérés comme des berbères sont noirs et, avec les Soninkés, les Hal Pulareen et les Walo-Walo, ils constituent la majorité.
Pour ne pas perdre leurs privilèges multiséculaires, les Beydanes non seulement falsifient les statistiques, mais ont cru que c’était de bonne guerre d‘adhérer à la Ligue arabe et de pratiquer une arabisation à outrance, et ceci au détriment des populations noires.

AU BAS DE L’ECHELLE SOCIALE

PARALLÈLEMENT, les Négro-africains n’occupent plus de positions-clé et ceux d’entre eux qui ont quelques responsabilités font l’objet d’une surveillance très étroite. Depuis 1986, une véritable paranoïa anti-nègre s’est emparée de la minorité beydane au pouvoir à Nouakchott : des dizaines de cadres nègres ont été arrêtés et emprisonnés dans des conditions effroyables. Avant ceci, du temps du régime Haidallah, la charia n’était appliquée qu’aux Nègres : toutes les mains amputées étaient noires. Alors qu’à la même époque, des Beydanes commettaient impunément des délits qui, selon la charia, étaient passibles de la flagellation ou de la lapidation.

Au Soudan, le même scénario est en train de se dérouler : des Nilotiques qui se considèrent eux aussi comme des Arabes massacrent dans une guerre de génocide et d’ethnocide des Bantous chrétiens ou animistes.

Dans les États du Maghreb et du Machrek où vivent de fortes minorités nègres depuis des millénaires, celles-ci n’ont aucun droit et vivent au bas de l’échelle sociale ; et la moindre velléité de contestation est férocement réprimée. Il en est de même pour l’ensemble des États arabes où vivent des minorités noires, que ce soit dans les États du Golfe ou dans le Hedjaz.

Bien entendu, de temps à autre dans ces États, un être, à cause de ses mérites personnels, est propulsé au-devant de la scène ; c’est ainsi que Abdourahmane Al Shaafi est imam de la mosquée de Médine, bien qu’il soit noir, et Jesse Jackson aux États-Unis a été candidat, malheureux, à l’investiture du Parti démocrate américain aux présidentielles. Peut-être bien même qu’il sera président aux États-Unis un jour ; mais cela ne doit pas faire oublier que, pour un Nègre qui s’en sort, il y en a des dizaines de milliers qui souffrent atrocement.

Dans les Amériques, la mythologie moderne a toujours voulu que le racisme anti-nègre soit l’apanage des Anglo-saxons protestants (Wasp), en Amérique du Nord, alors que l’Amérique latine et centrale serait exempte de racisme ; mais les faits et les études sociologiques et historiques récentes ont fait litière de ce mythe.

En effet, pour ne prendre que deux exemples, on sait que la situation faite aux Nègres au Brésil est comparable à celle faite à leurs frères de race au pays de Botha. Hormis qu’au Brésil le racisme n’est pas institutionnalisé.

Dans la Cuba marxiste, on ne connaît pas bien entendu les statistiques ; mais on sait qu’il y a beaucoup de Noirs et on ne connaît pas de Nègre ayant un poste ministériel important, ou un poste d’ambassadeur. Peut-être, là-bas aussi, les Nègres ne sont-ils bons que pour battre des records sportifs ou à être des artistes. Musiciens de salsa de préférence.

Dans l’Océan Pacifique, la situation des Noirs est pire. En Australie, les Aborigènes ont été systématiquement massacrés ; et le peu de personnes qui en reste est parqué dans des réserves et décimé lentement par l’alcool, les maladies infectieuses et la malnutrition. La tactique a déjà fait ses preuves avec les Indiens en Amérique du nord.

En Timor occidental, l’Indonésie occupe illégalement une partie du territoire et y massacre impunément les Papous ; aux îles Fidji, les Indiens arrivés comme immigrés sont aujourd’hui majoritaires par rapport aux autochtones noirs et veulent tout contrôler maintenant. Heureusement qu’il y a eu la réaction salutaire d’un colonel papou qui a estimé que trop c’est trop et a mis un holà à l’expansionnisme indien. Cela devrait faire réfléchir ceux qui parlent de contraception et de contrôle des naissances ; ils devraient surtout avoir présents à l’esprit les arguments développés par Edem Kodjo dans son ouvrage « Demain l’Afrique ».

●Guerre coloniale

EN Kanaky, l’évolution du sens du mot Canaque montre l’estime dans laquelle les habitants de ces îles étaient tenus. Au moment où en France on avance qu’il y a trop d’immigrés, notamment d’origine africaine, on ne se gêne pas pour mener une guerre de type colonial et pour se maintenir par la force.

La géopolitique est importante : le vingt-et-unième siècle appartient aux nations du Pacifique ; et il faut être présent de ce côté du monde. Coûte que coûte. Cela a un nom : impérialisme.

Le plus dramatique dans tout c’est qu’il n’y a pas de réaction des États noirs d’Afrique. En Afrique, ils refusent de réagir face aux exactions dont sont victimes leurs frères de race au nom du sacro-saint principe de l’Oua de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre État. On serait tenté de dire : « Silence, on massacre nos frères ! ». Et même un panafricaniste comme Sékou Touré n’hésitait pas à proclamer : « La solidarité de classe avant la solidarité biologique ». La question est de savoir de quelle classe il s’agit.

Mais d’autres raisons peuvent aussi expliquer le silence de nos dirigeants : les pétro-dollars arabes déversés sur beaucoup d’États noirs d’Afrique.

Bien entendu, un chef d’État africain parle de créer une Ligue des États noirs ; mais il se trouve que ce chef d’État est celui qui a le plus porté préjudice à la cause des Noirs dans l’histoire récente de l’Afrique : commerce avec le pays de Botha, soutien à des mouvements anti-nationaux, répression féroce des nationalistes dans son propre pays, principal allié de l’impérialisme occidental en Afrique, rétention des libertés les plus élémentaires de ses concitoyens, non-respect des droits de l’homme, etc.

Dans ce cas, ce chef d’État, compte tenu de sa politique intérieure comme extérieure, ne saurait en aucun cas être le porte-parole attitré de la cause nègre.

La cause de la liberté a toujours été trahie dans l’histoire moderne des peuples noirs, et ceci depuis Toussaint Louverture. Il s’agit aujourd’hui que les peuples noirs apprennent à se mobiliser autour de leur propre cause, comme les Arabes le font aujourd’hui autour de la cause palestinienne, les Juifs du monde entier dans la défense de l’État hébreu et les Occidentaux pour la défense de leurs intérêts politiques et économiques. C’est une exigence de l’heure.