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Un Américain emprisonné 30 ans à tort parce qu’il était « Noir et pauvre » Par Sébastien DUVAL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Parce  qu’il était « Noir et pauvre », Anthony Ray Hinton a passé près de 30 ans dans le couloir de la mort en Alabama pour des crimes qu’il n’avait pas commis. Finalement innocenté, il milite aujourd’hui pour une justice équitable.

L’Afro-Américain de 64 ans à la barbe et aux cheveux grisonnants garde un souvenir mitigé du 3 avril 2015. Après trois décennies derrière les barreaux sous la menace d’une exécution, il a retrouvé sa liberté et commencé sa deuxième vie.

« Sur un nuage » en tombant dans les bras de ses proches, venus l’accueillir, il n’a pas pu s’empêcher de ressentir aussi une certaine tristesse : sa mère « n’était plus de ce monde pour voir son petit garçon sortir de prison ».

Ce jour-là, qu’il avait attendu chaque matin en se réveillant, innocent, dans une cellule « de 1,50 m sur 2 », a mis un point final à une invraisemblable erreur judiciaire.

Arrêté en juillet 1985, Anthony Ray Hinton a été condamné à mort l’année suivante, à l’âge de 29 ans, pour les meurtres de deux employés de restaurants-minute, tués lors de deux braquages distincts à Birmingham, la plus grande ville de l’Alabama.

Malgré l’alibi fourni par son employeur, sa défense – un avocat commis d’office et un expert balistique à moitié aveugle – n’a pas réussi à démonter le seul élément de preuve de l’accusation : des balles récupérées sur une scène de crime semblant correspondre à un pistolet appartenant à sa mère.

« L’État de l’Alabama, en un mot, m’a kidnappé », dénonce Anthony Ray Hinton de sa voix ferme et profonde. « Car le système peut faire de vous ce qu’il veut si vous êtes né Noir et pauvre en Amérique ».

Esclavagisme et ségrégation

Il a fallu que l’avocat et fondateur de l’organisation « Equal Justice Initiative » (EJI) Bryan Stevenson se saisisse de son dossier, en 1999, pour que la vérité commence à faire son chemin. Lentement. Très lentement.

Anthony Ray Hinton a dû patienter 16 années supplémentaires dans le couloir de la mort, dont il n’a réchappé qu’après une nouvelle étude balistique, une intervention de la Cour suprême des États-Unis et un second procès.

Des désirs de « vengeance » ont longtemps occupé son esprit en prison : « Je me levais le matin et c’est tout ce à quoi je pensais. Mais je me suis dit que je n’étais pas comme ça ».

« Vous ne pouvez pas profiter d’être en vie quand vous ressentez tant de haine envers quelqu’un », témoigne-t-il, aujourd’hui apaisé, depuis les bureaux d’EJI, aménagés dans un ancien bâtiment de Montgomery où étaient jadis entreposés avant d’être vendus les esclaves qui y arrivaient par bateau.

Les fantômes de la ségrégation hantent aussi encore la ville du centre de l’Alabama, berceau de la lutte pour les droits civiques. C’est là, dans un célèbre geste de désobéissance, que Rosa Parks a refusé en 1955 de céder sa place dans un bus à un passager blanc.

Le catalyseur d’un mouvement de protestation historique qui a trouvé un écho ces derniers mois aux États-Unis après la mort, sous le genou d’un policier blanc, de l’Afro-Américain George Floyd.

Pour Anthony Ray Hinton, descendre dans la rue ne suffit pas : « La meilleure façon de manifester, c’est de se rendre aux urnes le 3 novembre pour envoyer un message fort et clair : “Nous en avons assez !” »