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Trois figures marquantes de la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales : Valdiodio Ndiaye, Abdoulaye Ly, Assane Seck

El Hadji Ibrahima Ndao est un historien et homme politique : au sein du Parti socialiste, il a joué un grand rôle dans les années de braise au Sénégal ; il est également l’auteur du livre intitulé « Sénégal, Histoire des conquêtes démocratiques » (au Sénégal) “

La présente étude est sa contribution à un ouvrage collectif dont elle est la principale épine dorsale : Les évolutions politiques de Valdiodio, d’Abdoulaye Ly et d’Assane Seck dans la période des luttes collectives pour les libertés fondamentales au Sénégal jusqu’à la crise de décembre 1962.

   II. Le déroulement du processus ayant conduit au regroupement des partis politiques

L’année 1956 commence ainsi sous les auspices du regroupement des forces politiques et progressistes du Sénégal devant conduire à la naissance du Bloc Populaire Sénégalais (BPS).

Il faut remonter au mois d’Octobre 1948, en pleine crise de la SFIO, au moment de la création du BDS, pour voir l’Union Démocratique Sénégalaise (Section sénégalaise du RDA), lancer un appel solennel au regroupement de toutes les forces de progrès, dans un article du journal Le Réveil du 25 Octobre 1948. Elle demandait à Senghor « à défaut d’une unité organique, une unité d’action » et donnait les précisions suivantes sur ses propositions : « Nous croyons l’heure favorable à la fusion de tous les efforts et de toutes les bonnes volontés dans une seule organisation où militants du Bloc Démocratique Sénégalais, sans partis, sénégalais d’adoption, viendront se confondre fraternellement, animés de la même volonté de lutte et de la même foi dans les destinées du pays ».(Abdoulaye Ly in Regroupement des partis politiques au Sénégal).

Le 4 Mars 1949, les propositions de l’UDS en date du 25 Octobre 1948 furent renouvelées dans « Adresse aux Délégués du Congrès du BDS » à Thiès. Le Bureau Exécutif du BDS, sous la signature de son secrétaire administratif Alioune Badara Mbengue, après des considérations relatives à la vie intérieure du RDA déclarait ne pouvoir « dans l’immédiat, répondre favorablement… » et demandait aux dirigeants de l’UDS, qu’en ce qui concerne le BDS, il soit sursis à de telles démarches jusqu’à ce que l’orientation politique du RDA se soit stabilisée.C’est le huitième congrès du BDS à Kaolack qui, à travers sa Résolution sur le regroupement des partis sénégalais et ouest-africains, déclenche le processus en ces termes : « le VIIIème congrès du BDS, réuni à Kaolack les 19, 20 et 21 Mai 1956, donne mission au Secrétaire général du Parti d’organiser, dans les plus brefs délais, des rencontres avec les directions de toutes les organisations politiques du territoire en vue d’un effort de clarification sur la base de la discussion du rapport moral et de la résolution sur la politique générale du BDS. Une telle clarification pourra contribuer à définir avec précision, si non les conditions, du moins les modalités de la création d’un parti ouvrier et paysan unifié du Sénégal, dans lequel le BDS jouera nécessairement un rôle prépondérant. Adoptée à l’unanimité ».

Si, en effet, l’UDS s’est littéralement emparée de l’initiative au sortir du congrès, c’est le BDS devenu déjà un imposant appareil politique, qui devient la cheville ouvrière dans les tâches, en s’appuyant sur son secrétariat administratif et sur son secrétariat à l’organisation et à la propagande (dirigé alors par Abdoulaye Ly), renforcés par les membres du Bureau Exécutif présents à Dakar, sous la supervision directe des deux premiers responsables, Senghor et Dia, en dépit de leurs absorbantes responsabilités parlementaires en France. Des correspondances du Bureau Exécutif du BDS dont le siège était au 103, rue de Bayeux à Dakar, furent envoyés à l’UDS, à la SFIO et au MPS et sous la signature conjointe de Joseph Mbaye, Secrétaire général adjoint, Alioune Badara Mbengue, Secrétaire administratif et de Abdoulaye Ly, Secrétaire à l’organisation et à la propagande. Elles proposaient une date et un lieu de rencontre.

Ainsi donc Abdoulaye Ly, dès son adhésion au BDS en janvier 1956, fut immédiatement coopté au Bureau Exécutif du BDS et y occupa le poste doublement stratégique de Secrétaire à l’Organisation et à la Propagande d’une formation en pleine expansion. Il fut responsabilisé presqu’aussitôt pour les négociations devant conduire à la mise en œuvre du processus de regroupement des partis politiques du Sénégal.

Le 12 Juin 1956, Paris-Dakar annonce par un titre que « l’Equipe des Réalités Africaines rejoint le BDS » et publiait l’échange de lettres entre Mamadou Dia, Député du Sénégal et Doudou Thiam, avocat-défenseur, Directeur délégué de Réalités Africaines avec la co-signature de Rito Alcantara, Gérant de Réalités Africaines.

« Mon cher Thiam,
Je t’envoie ce petit mot pour te confirmer la conversation que nous avons eue dans ton cabinet le jour de mon départ pour Paris.
Je pense que le moment est venu pour toutes les élites africaines de s’unir pour imposer à nos interlocuteurs un programme minimum. C’est dans cet esprit que dès le lendemain des élections de Janvier j’ai effectué le voyage que tu sais en Côte-d’Ivoire.
C’est pour la même raison que, malgré les échecs de conversations de Paris sur le regroupement, j’ai repris ce thème au congrès de Kaolack.
Tu n’ignores pas, par ailleurs qu’un groupe d’intellectuels répondant à notre appel, a déjà rejoint les rangs BDS. Je ne crois pas que l’équipe de « Réalités Africaines » puisse rester indifférente à nos préoccupations. Il ne s’agit ni de vainqueurs ni de vaincus dans notre esprit.
Tu sais, du reste, que le BDS est, par essence, un parti qui admet la libre discussion dans la mesure où l’on se fait siens, ses principes fondamentaux. C’est dire que toutes les personnalités auront la possibilité de s’y épanouir.
Je n’insisterai pas davantage, persuadé que j’aurai prochainement le plaisir de vous accueillir, tes amis et toi au sein du parti.
Crois, mon cher Thiam, en mes sentiments les meilleurs.
Signé : Dia Mamadou »

Réalités Africaines était un journal libre de qualité, et dans la réponse de ses dirigeants on pouvait lire ceci :

«Monsieur Dia Mamadou, Secrétaire Général du BDS, Député du Sénégal, Assemblée Nationale, Paris

Monsieur le Secrétaire Général

Le Comité Directeur de « Réalités Africaines » a cru devoir répondre favorablement à l’appel que vous lui avez adressé en vue d’un regroupement. Sa décision a été approuvée par l’unanimité des membres de notre organe…

« Réalités Africaines » ne saurait donc, sans se dédire, refuser de répondre à votre appel. Il y répond sans réserve, avec confiance. Et, en demandant à tous ses membres et sympathisants de rejoindre le BDS, il veut que le sacrifice qu’il consent, en acceptant de ne plus être, aux yeux de tous, ait la valeur d’un symbole ».

Notre effacement volontaire au profit de l’unité politique, qui est aujourd’hui l’exigence supérieure du pays, est un message angoissé que la jeunesse africaine adresse à ses aînés…
Le BDS a accepté de militer pour la cause qui nous est chère, d’un rassemblement africain. Cette seule considération suffit, dans son principe, pour nous inciter à vous apporter notre ardente collaboration. Nous considérons en effet, que les divergences de doctrines et de programmes sont souvent bien moins importantes qu’on ne croit et se dissipent à la faveur d’une loyale confrontation. Il suffit que les uns et les autres ne restent pas prisonniers des formules mais acceptent d’envisager le fond du drame africain qui a chez nous tous, les mêmes résonances.
En vous disant déjà, Cher Camarade, nous vous prions d’agréer, M. le Secrétaire Général, l’expression de notre vive sympathie.

Thiam Doudou, Directeur Délégué de « Réalités Africaines »

Rito Alcantara, Gérant de « Réalités Africaines »

Un processus de fusion à rebondissements

La première rencontre, dans le but du regroupement des formations politiques, eut lieu le Mercredi 13 Juin 1956 à 15 heures, au Colisée à l ‘angle de l’avenue Lamine Guèye (ex avenue Maginot) et la rue Félix Faure à Dakar. Le communiqué suivant sanctionnera la rencontre (A. Ly in Regroupement des partis politiques du Sénégal):

Les délégations dûment mandatées des partis politiques du Sénégal, UDS, MPS (Section sénégalaise du RDA), SFIO et BDS, réunies à Dakar, le 13 Juin 1956 à 15 heures (salle du Colisée) constatent leur accord sur le principe de la fusion de leurs partis en vue de la constitution d’un parti unifié au Sénégal sur la base d’une action autonome.

Elles sont d’accord sur le principe de l’autonomie politique, de l’autonomie administrative, de l’autonomie et de l‘unité syndicales.

Elles décident de proposer à leurs organisations la méthode suivante : dans le cadre d’une trêve politique indispensable pour la population, la popularisation (par des meetings et des articles de presse) de l’idée de fusion :

1/ Consultation des partis intéressés ;

2/ Réunion desdites délégations le 30 Juin 1956 en vue de l’accord définitif et de la création d’une commission chargée de mettre au point les modalités de la fusion décidée ;

Pour le BDS : Pour la SFIO :

Le Secrétaire général, Mamadou Dia Le Secrétaire général, Amadou Babacar Sarr

Pour l’UDS : Pour le MPS :

Abdoulaye Guèye Doudou Guèye

Le texte de ce communiqué provoqua le déclic du mouvement unitaire alors en gestation dans les masses populaires du pays.

Vint le 30 Juin 1956. Le BDS, le MPS et l’UDS donnent leur accord définitif en vue de la fusion. Se basant sur une lettre que le Bureau Exécutif avait pris l’initiative d’adresser au Bureau Fédéral de la SFIO, suggérant la présence de Lamine Guèye à ces rencontres, la délégation SFIO maintient son accord de principe et réserve sa réponse définitive jusqu’à la rencontre prévue le 3 Juillet, disant que Lamine Guèye sera de retour de France.

La délégation socialiste conduite par Obèye Diop, le 3 Juillet maintient son accord de principe et demande à réserver une nouvelle fois sa réponse définitive jusqu’au 9 Juillet. Obèye devait préciser que le 9 Juillet, avec ou sans Lamine Guèye, la délégation SFIO donnera une réponse définitive. La délégation socialiste participe à la mise sur pied de la Commission de fusion composée de la façon suivante : 8 BDS, 6 SFIO, 3 MPS et 3 UDS.

Comme l’indiquait le communiqué du 3 Juillet, la commission créée alors devait simplement enregistrer la réponse définitive de la SFIO le 9 Juillet et commencer ses travaux.
Aussi quelle ne fut la surprise des membres de la Commission, le 9 Juillet, d’entendre Obèye dire que la Fédération Socialiste maintient son accord de principe et demandait à participer aux travaux de la Commission !

Les délégations BDS, MPS et UDS n’acceptèrent pas cette proposition. Les socialistes demandèrent une suspension de séance pour délibérer entre eux et, n’ayant pas pu se déterminer, firent prolonger cette suspension pour se rendre auprès de Maître Lamine Guèye. Ils devaient revenir avec une réponse écrite qui remettait en cause tous les accords préalablement conclus et signés par les quatre formations. Malgré cela, la Commission décida de laisser vacantes les six places de la SFIO, mieux, de communiquer à celle-ci les conclusions de ses travaux.

Les travaux de la Commission débutent le 11 Juillet et se poursuivent avec le retrait du MPS pour des questions liées à sa demande de modification de la composition de la Commission, suite au départ de la SFIO. Le BDS et l’UDS travaillent et communiquent les conclusions le 16 Juillet à tous les partis et groupements du pays. La Commission décide de ne pas populariser ces conclusions tant que les partis n’auraient épuisé le délai prévu, du 20 Juillet au 10 Août 1956, pour les adopter ou les rejeter en bloc.

Le 11 Août 1956, la Commission constate que le BDS et l’UDS adoptent ces conclusions, tandis que le MPS et la SFIO les rejettent. Cette situation crée des difficultés au sein de la SFIO et du MPS dont se détachent des groupes unitaires. En même temps, la direction du MAC rompt son alliance électorale avec la SFIO. C’est dans ces conditions que les socialistes unitaires, MAC et les MPS unitaires adoptent les conclusions de la Commission et assistent à la réunion du 11 Août 1956. En effet, Assane Seck et Guibril Sarr, pour le Comité Directeur du Mouvement Autonome de la Casamance (MAC) rendirent public dans les colonnes du quotidien Paris-Dakar du 24 Juillet 1956 que « le MAC reste acquis sans réserve au mouvement d’unification des partis politiques et adresse aux membres de la Commission de fusion des partis, le 4 Août 1956, une lettre par laquelle ils demandaient à ladite Commission de considérer leur groupe comme faisant partie du mouvement unifié ».

Ainsi fut formé le Bloc Populaire Sénégalais (BPS), ce qui, en fait, marquait la fin de la compétition électorale qui opposait les deux grands leaders sénégalais Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor depuis 1948.

Une page de l’histoire récente du Sénégal était ainsi tournée.

Assane Seck, intellectuel, leader du Mouvement Autonome de la Casamance

Ainsi donc Assane Seck du Comité Directeur du Mouvement Autonome de la Casamance (MAC) réapparaît sur la scène politique du Sénégal, après une première apparition en tant que co-listier de Lamine Guèye lors des élections législatives du 2 janvier 1956 remportées par les deux co-listiers du BDS, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia.

Assane Seck est né le 1er février 1919 à Inor, dans le Fogny, aujourd’hui Département de Sédhiou où son père était traitant. Il fréquente l’école primaire supérieure Blanchot de Saint-Louis puis est reçu au concours d’entrée de l’Ecole Normale William Ponty qui vient d’être transférée de Gorée à Sébikotane. Après des études de lettres modernes et de géographie à l’Université de Dakar, il soutient en 1949 un mémoire de diplôme d’études supérieures (DES) de géographie consacré à la Moyenne-Casamance.

Bi-admissible à l’agrégation, il enseigne au lycée Maurice Delafosse de Dakar de 1956 à 1958. En 1959 il est nommé assistant à l’université de Dakar, puis maître-assistant en 1961, chargé d’enseignement en 1966, maître de conférences et enfin professeur des universités, après sa thèse d’État consacrée à la ville de Dakar et soutenue en 1970.

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Prochainement

De la Loi Cadre au référendum du 28 septembre 1958