GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Tournées économiques-2024, Macky Président ! Il anticipe sur le Conseil Constitutionnel et plaide sa propre cause pour un 3ème mandat Par Habib KA, Bureau régional de Matam, Thilogne

Anticipant sur le Conseil constitutionnel avec les tournées économiques, Macky Sall se fait l’ambassadeur itinérant ou l’envoyé spécial de sa propre cause sans emprunter les yeux de personne, les oreilles de personne. Il aura largement le loisir d’évaluer à sa juste valeur l’état d’esprit du Sénégalais lambda face à ses nouvelles entreprises, face à son offre politique actuelle pour faire accepter une légitimité de fait de sa candidature à la Présidentielle de 2024, engageant d’ores et déjà le combat avant le raccourci juridique du Conseil constitutionnel.

Les tournées économiques du 29 mai au 02 juin 2021 dans les régions de Fatick, Kaolack, Kaffrine, Kédougou, Tambacounda puis celles du 12 au 19 juin dans celles de Saint Louis et Matam sont un test grandeur nature pour se faire une idée nette sur le degré de rupture ou d’engagement des populations derrière la personne du président Macky Sall. Il a besoin de ce bain de foule, de cette communion pour lire, en toute objectivité, dans le regard des transportés, des déplacés, habillés aux couleurs du parti, mobilisés pour un jour par les responsables locaux, s’ils sont dans les dispositions de lui prolonger un troisième mandat ou pas.

En effet, nombreux sont ceux qui, perdus dans les confusions des interprétations et les arguments fastidieux des palabres qui ne finissent pas, sont arrivés à se fixer sur une certitude : qu’il ait bien travaillé ou pas bien travaillé, le juste, c’est qu’après deux mandats successifs, il renonce de son gré à un troisième et cède le fauteuil à quelqu’un d’autre, au nom du principe de la continuité républicaine. Les explications ne manquent pas. Le Sénégal ne s’est pas fait en un jour et le pays regorge suffisamment de compétences capables de le propulser très haut sur des sphères de développement.

Ceci pour souligner que le deuxième mandat du candidat Macky Sall ne lui a pas porté seulement que du bonheur. Un événement aussi déstructurant que la pandémie de la Covid-19 est venu gâcher la fête en impactant sur la gouvernance quotidienne du pays, annihilant toutes ses stratégies, ses plans de développement économique, ses assurances avec les bailleurs de fonds internationaux. Puisque tous les pans des secteurs d’activité du pays sont frappés d’un confinement forcé, les services désactivés, les énergies et ressources productrices de plus-values déstructurées. S’y ajoute, pour mieux compliquer la situation, la suppression du poste de Premier ministre, l’instauration du régime du fast track dont l’efficience administrative reste à prouver, le louvoiement autour d’un hypothétique troisième mandat qui devient le point focal de toute l’actualité quotidienne. Le parti se déchire, il se sépare de ses meilleurs amis et collaborateurs pour sceller de nouvelles alliances avec ses adversaires les plus irréductibles d’hier.

Depuis sa réélection en février 2019 donc, le pays ne vit que dans le marasme, au rythme d’une politique politicienne sur fond d’un hypothétique troisième mandat et d’une crise politique sans précédent en mars dernier, émaillée de violences meurtrières dans les manifestations.

Macky Sall, seul contre tous, pour se soustraire à cet immobilisme, situation très pernicieuse pour son régime, cherche à reprendre de l’initiative pour impulser un nouveau cours à la situation politique, la controverse autour de sa plausible candidature présidentielle pour un troisième mandat.

Il est en passe de le faire, en délocalisant les débats des salons feutrés des bureaux et des plateaux de télévisions pour le porter en milieu rural et lui imprimer un cachet populaire, ses réalisations servant d’arguments pour convaincre, appuyées par des tournées économiques dans tout le Sénégal, ainsi que des conseils présidentiels, des conseils des ministres décentralisés.

Approche pragmatique

En effet, les tournées républicaines sont un mode d’approche pragmatique, même sur fond d’un populisme qui ne dit pas son nom, mais elles ont au moins l’avantage de faire bénéficier, pour la région ciblée, d’un diagnostic exhaustif des demandes pressantes des populations et de la localité en infrastructures, en politique sociale, sanitaire, scolaire.

Une approche didactique productive, une écoute humble des populations à la base pour cerner les préoccupations légitimes des administrés ruraux et apporter des solutions adéquates aux doléances du terroir. En quelque sorte, la tournée économique serait un moment d’évaluation des investissements publics réalisés et la prise de nouveaux autres engagements.

Le président de la république pouvait se suffire de la personne du ministre de la Santé et de l’Action sociale (MSAS), pour ce genre de protocole : des inaugurations d’hôpitaux ou des poses de première pierre ne sauraient justifier la présence effective d’un chef de l’État qui avait certainement mieux à faire. Mais s’il a voulu l’enrober dans une tournée économique, c’est pour lui donner tout son cachet politique, la raison première de son déplacement. En faisant cette tournée économique, Macky Sall se fait l’ambassadeur itinérant ou l’envoyé spécial de sa propre cause sans emprunter les yeux de personne, les oreilles de personne. Il aura largement le loisir d’évaluer à sa juste valeur l’état d’esprit du Sénégalais lambda face à ses nouvelles entreprises, face à son offre politique actuelle pour faire accepter une légitimité de fait de sa candidature à la Présidentielle de 2024, engageant d’ores et déjà le combat avant le raccourci juridique du Conseil constitutionnel.

Il est conscient que le Fouta est sa chasse gardée, son titre foncier, même si ses contradicteurs le lui contestent. Macky Sall, à lui seul, glane dans le Fouta, entendre département de Podor et région de Matam, 93,32 % du vote pendant que les résultats cumulés de ses concurrents vacillent autour de 6 %.

Le Dagana de Oumar Sarr, le département de Podor de Abdoulaye Daouda Diallo, Cheikh Oumar Anne, Racine Sy Ipress, Aissata Tall Sall ministre des Affaires Étrangères, Mountaga Sy, directeur général de l’APIX, la région de Matam avec le coordonnateur départemental Farba Ngom, l’argentier et homme d’affaires, Harouna Dia, le ministre de la justice Me Malick Sall, plus Fatick, Kaffrine, Kaolack, Kédougou, Tamba, six régions sur lesquelles le chef de l’Etat peut compter pour faire un cadre et un maillage très dense pour sécuriser un électorat fidèle à lui et placer dans les différentes communes ses hommes de confiance. C’est dire que Macky Sall n’a pas parcouru, ces deux semaines, les deux tiers du territoire sénégalais en vain : ces régions ciblées le sont en raison de leur apport électoral lors de l’élection présidentielle de février 2019 ; il avait recueilli dans ces zones les meilleurs résultats avec des pourcentages allant de 74 et culminant à 94% dans la région de Matam.

Des régions où les leaders politiques locaux sont bien calibrés et qui forment les remparts pour les Municipales et les Législatives en point de mire, en prélude à la Présidentielle de 2024 qu’il prépare minutieusement. L’opposition ne vient pas des partis conventionnels tel que celui de Me Moussa Diop de Jotna, ex-DG de Dakar Dem Dikk (DDD), des Patriotes de Pastef, mais des enfants de la région, de jeunes étudiants, des travailleurs, des sans-emploi qui ont comme armes et bagages le refus de se faire embarquer dans un “neddo ko bandum” divisionniste, ethnicisant, des promesses non tenues, des banderoles, des foulards et des brassards rouges, couleur que Macky Sall ne décrypte pas.

Il reste les zones où le président de la République est venu en-dessous de la barre des 50% : il s’agit de Dakar, Diourbel, Ziguinchor, Thiès, les plus grandes villes à fortes concentrations électorales où il faut agir avec finesse comme sur du papier millimétré. Avec Idrissa Seck, Macky Sall ira à la rencontre de Dakar et Thiès, Dakar qui regroupe les départements de Guédiawaye, Pikine, Rufisque et Dakar, où Macky Sall avait obtenu seul 48,90 % des voix.

Avec sa nouvelle alliance avec Idrissa Seck, pourra-t-il enfin conquérir le cœur de l’électorat mouride ? La ville sainte de Touba avait accordé ses faveurs au candidat de la coalition « Idy 2019’ avec 48,49 %, suivi par Macky Sall avec 40,21 % malgré tous ses efforts déployés à Mbacké, capitale du Mouridisme.

La tournée sur Ziguinchor, Kolda, Sédhiou, Bignona ne sera pas du tout du repos : malgré le soutien du président de l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) et non moins maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko venait largement en tête avec 57,25 % où il devançait Macky Sall crédité de 38,72 % ; toutefois, il arrive en tête dans la région avec 48,13 %. Vaincre le signe « sonkoen » pour essayer de rééquilibrer les forces en présence dans cette zone considérée à tort ou à raison bastion électorale de Guy Marius Sagna, de Ousmane Sonko semble être la première de ses tâches.

Abdoulaye Baldé, maire de Ziguinchor, n’a pas dit son dernier mot. La tour semble imprenable tant le leader des centristes tient la commune des mains de maître et fait tout son possible pour rendre la cité attractive, prospère.

Auparavant, le chef de l’Alliance pour la République (APR) et de la coalition « Bennon Bokk Yakaar » (BBY) a à calmer d’abord ses troupes et mettre fin à toute cette cacophonie de préséance politique autour des fauteuils municipaux. La plupart d’entre eux ne font que de la surenchère démagogique pour des cumuls de postes ou attendre d’être contentés d’autres gains et avantages.

Il faut au président de la République régler tous ces préalables, pour se positionner en 2024 dans le débat du troisième mandat. Entre-temps, la situation s’éclaircira dans le camp de l’opposition, si elle est capable de résister et d’instaurer une troisième alternance.