GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Tabaski: On fête d’abord, advienne que pourra De notre correspondant à Matam, Habib KÂ, Thilogne

Aucune force humaine ne peut restreindre la volonté des Sénégalais d’aller fêter la Tabaski chez eux. Le programme, il est ficelé, définitif, comme une règle prescrite. Cette fête reste encore le lien ombilical du travailleur en ville, du citadin avec ses origines, et ce lien garde tout son symbole, tout son sens.

Le “restez chez vous” du chef de l’État, à vrai dire, n’effleure pas les oreilles, même les plus sensibles des Sénégalais. Il lui est en effet reproché d’être le premier à ne pas l’avoir fait, il y’a moins d’un mois. N’est-ce pas qu’il a parcouru le Sénégal du centre à l’est et du nord ?

Pour cette fête, le njar est déjà tiré. Les Sénégalais le boiront jusqu’à la lie parce que tout est subordonné à la la Tabaski. On fête d’abord, advienne que pourra, telle semble être la philosophie qui dicte ses lois.

La fête de la Tabaski chez soi, parmi les siens, outre d’être une tradition très respectée par les Sénégalais, constitue une occasion idéale pour célébrer des mariages, se recueillir sur les tombes de proches disparus, etc … Tout ceci dans le bref séjour au foyer natal. Il reste aujourdhui le lien ombilical du fonctionnaire ou du citadin avec ses origines.

Ce ne sera donc pas le timide “restez chez vous” du président de la République Macky Sall, prononcé d’ailleurs du bout des lèvres, et sans tonus, qui va bouleverser les montagnes, les fortes traditions d’un peuple chevillé à ses fêtes, ses cérémonies, ses habitudes séculaires. Evidemment, les propos de Macky Sall n’accrochent pas, parce qu’il y’a à peine trente jours, lui-même effectuait une tournée, entamée dans le centre du pays par sa ville natale Fatick, Kaffrine, puis l’Est par Kédougou Tambacouda, pour terminer par le nord le 29 juin par le départemental de Ranérou Ferlo. Il lui est reproché d’avoir, avec ses milliers de militants déplacés de part et d’autre des régions, à coups de francs cfa, de casquettes, de tee-shirts, de pagnes aux couleurs de l’Alliance pour la République (APR), pendant deux bonnes semaines, favorisé et encouragé de grands rassemblements, terreaux fertiles pour répandre volontiers le coronavirus et son redoutable variant Delta.

Les bons conseils du président de la République restent donc sans effet sur les populations, les partis de l’opposition, voire certains leaders politiques issus de sa propre formation ou de sa coalition. Bougane Guèye Dany, chef de Gëm Sa Bop, peut s’estimer heureux avec son opération tibb tankë, pour avoir tiré son épingle du jeu avant que la saison des tournées politiques ne soit déclarée fermée.

D’ailleurs, d’aucuns pensent, peut-être à tort, que c’est une ruse politique du président de l’APR pour s’être permis une incursion de quinze jours dans le Sénégal des profondeurs, de fermer la saison, empêchant ainsi le leader du Pastef Ousmane Sonko, de s’offrir, à son tour, une tournée politique sur toute l’étendue du territoire. Au sortir des tristes événements de mars dernier, sous prétexte d’un nemeku tour, le leader de Pastef Les Patriotes balayerait tous les passages du chef de l’État, en plus de récolter un trésor de guerre, qui, si officiellement il est rendu public, confirmerait l’ancrage de Pastef dans le pays et sa position sans conteste de premier parti d’opposition, par sa combativité, sa résistance, son organisation. Ce qui perturberait considérablement le moral du camp présidentiel et rendrait plus difficile encore son élimination de la course à la Présidentielle de 2024, suite à ses démêlés judiciaires avec la jeune Adji Raby Sarr.

Les hommes politiques issus du pouvoir, eux aussi, vont souffrir des interdits de déplacements. Après avoir investi des cinquantaines, centaines de millions en achat de moutons pour leurs militants de base, ne s’apprêtaient-ils pas à revenir dans leurs fiefs, préparer leurs candidatures pour les toutes prochaines élections locales ? Ce qu’il faut comprendre, c’est que le leader local, de l’opposition ou du pouvoir, a des engagements sociaux personnels avec ses militants de base qu’il lui faudrait obligatoirement honorer, surtout que les élections, c’est dans moins de six mois.

Mais, on est déjà dans le mille de la Tabaski ; après, place à la réalité avec ses incertitudes, ses lots de surprises. L’essentiel, c’est qu’on fête. Le reste, après.

Le ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS), à travers ses communiqués hebdomadaires, livrera-t-il des chiffres alarmants qui donneraient à l’administration l’autorité de décréter des mesures restrictives, coercitives ? Ce qui est certain déjà, le Sénégal va couper avec les meetings et grands rassemblements politiques sur la place de L’Obélisque. Personne ne s’aventurerait à prendre la responsabilité de drainer des foules ou d’organiser des manifestations publiques, de crainte de prendre le contrepied des populations désemparées.

A quelques moins six mois des élections municipales, si les potentiels candidats ne peuvent se permettre des déplacements à l’intérieur du pays ou rencontrer les populations, il va de soi que la tenue du scrutin le 23 janvier 2022 devient peu probable.

La coupe est tirée, il faut la boire jusqu’à la lie.

Les responsabilités sont partagées côté autorités publiques, opposition et administrés. Les lendemains de fête doivent donc être assumés par tous et conséquemment.

Aux lendemains de la Tabaski, il ne restera aux Sénégalais que les retours des coups de cornes des béliers sacrifiés pour constater l’ampleur des dégâts inhérents à tous les lendemains de fêtes et les gérer solidairement pour les avoir créés de ses propres faits.

Delta Force, la variante la plus décriée, s’affaissera-t-elle sous les prières bénies de l’Aid el-Kebir ?

Reprise des gestes barrières et autres mesures restrictives est du domaine du possible. Le confinement ? Certainement pas. Le président Macky Sall, qui quand la marmite bouillonnait, lors de la première vague, était obligé de soulever le couvercle, argumentant que la covid-19, il faut vivre avec. Il ne peut plus revenir pour se contredire, surtout que les deux situations ne sont pas identiques. La première, les Sénégalais étaient comme qui dirait sous le coup de l’émotion, ils étaient près à consentir tous les sacrifices possibles, en patriotes, pour soutenir toutes les décisions du chef de l’État, le couvre feu, l’état d’urgence, y compris le vote de 1.000 milliards de francs cfa pour le combat contre l’ennemi commun. L’opposition aussi, contrainte et forcée de suivre, de peur pour elle de ramer à contre-courant des sentiments largement partagés des Sénégalais en détresse.