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Solitude ne restera pas seule: Une statue sera édifiée à Paris à sa mémoire Par Mohamed Bachir DIOP

Solitude est le nom qu’on lui a donné tant elle incarnait la souffrance mais aussi un réel désir de liberté et de dignité. Elle est née esclave, fille d’esclave, mais elle avait l’âme de la princesse qu’elle aurait dû être si sa mère, reine Diola des côtes de la Casamance n’avait été capturée par des négriers et déportée vers les Antilles.

C’est l’homme de culture et écrivain, Makhily Gassama, ancien ministre de la Culture du Sénégal, qui nous rappelle l’histoire de cette mulâtresse en signant une critique sur le roman d’un certain André Schwartz-Bart qui retrace l’histoire de cette héroïne noire.

Solitude porte pourtant le joli prénom de Rosalie. Elle est née en Guadeloupe d’un père inconnu, quelques mois seulement après l’arrivée de sa mère dans cette île. Cette dernière, qui avait été capturée par des esclavagistes, a été violée sur le bateau négrier qui la transportait vers la lointaine Guadeloupe et en avait tiré une grossesse. Elle s’appelait Bayangumay.

Elle donne naissance à Rosalie vers 1772 et celle-ci est vite remarquée par la couleur de ses yeux et son teint clair. Ses yeux étaient de couleurs différentes et, dans la plantation où elle grandit,  on l’appelle «Deux âmes» à cause de cette singularité. Sa mère, Bayangumay, vit difficilement la captivité et finit par vieillir avant l’âge. Surtout qu’elle sera bientôt séparée de Rosalie qui est remarquée par sa beauté et son port de reine. Rosalie sera rachetée par un autre planteur blanc et employée comme esclave domestique.

Makhily Gassama dépeint Solitude comme un être qui semble avoir perdu son âme : «Séparée de sa mère, elle se recroquevilla dans une solitude bouleversante et était devenue, comme dirait notre romancier Ferdinand Oyono, « la chose qui obéit ».

Agissait-elle ?

Oui, mais seulement pour exécuter des ordres.

Pensait-elle ?

Oui, mais ses pensées sont des rêves, volatiles, qui rendaient ses pas si légers sur cette terre maudite à laquelle elle se sentait étrangère, des pas si légers qu’elle donnait l’impression de vouloir se détacher à jamais de ce monde. Rien ne semblait plus réussir à l’émouvoir, car son regard était tout accaparé par un monde si différent de celui-ci, un monde dont sa maman savait narrer les émouvantes beautés, un monde humain, bref le monde des hommes, comme disent les Mandings.

 Aucune relation entre sa vie intérieure, happée par l’Afrique, et ses activités quotidiennes, dictées par le maître du jour. Sans volonté manifeste, c’était comme un rocher qui se meut au gré des vagues. On l’appelait désormais « Solitude ». En effet, « vers l’âge de douze ans, la petite fille de Bayangumay, tourna en Zombi-cornes.

En ce temps-là, disent les vieux conteurs créoles, la malédiction était sur le dos du Nègre et le talonnait sans arrêt ; on se couchait avec son esprit pour se réveiller chien, crapaud de marais ou Zombi, comme aujourd’hui l’on se réveille avec un cheveu blanc […] ; il y avait une grande variété d’Ombres dans les îles à sucre : Nègres morts animés par magie, Nègres vivants qui avaient chu dans un corps de bête et d’autres, d’autres encore, dont l’âme était Zombi-cornes. Ils avançaient comme des bœufs de labour et leur tâche accomplie, s’arrêtaient tout d’une pièce : ils restaient là, debout comme des bœufs de labour. Les Zombi-cornes étaient tout simplement des personnes que leur âme avait abandonnées ; ils demeuraient vivants, mais l’âme n’y était plus. Solitude appartenait à l’univers de ces êtres doubles, éclatés entre deux mondes».

C’est pourtant cette belle jeune femme qui paraissait fragile qui entrera  en rébellion avec d’autres esclaves, ceux que l’on appelait les Nègres Marrons parce qu’ils s’étaient enfuis des plantations et avaient créé leur propre communauté. Ils s’étaient armés et refusaient l’esclavage qui, pourtant, venait d’être aboli par la plupart des pays occidentaux à l’époque.

Solitude vit donc cette abolition qui a lieu en 1794. Sa communauté «Marron» est située dans un endroit dénommé Goyave et elle est dirigée par un certain Moudongue Sanga. Un des leurs, Louis Delgrès, lance un appel à la résistance en mai 1802 en publiant une proclamation intitulée : « A l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et désespoir ».

Lorsque, par la loi sur la traite des Noirs et le régime des colonies du 20 mai 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage dans les colonies, Solitude, alors enceinte de trois mois, se rallie à l’appel de Louis Delgrès et combat à ses côtés pour la liberté. Au bout de plusieurs jours de combat, les forces coloniales acculent trois cents résistants dans l’habitation d’Anglemont, fortifiée, à Matouba. Tout espoir perdu, le 28 mai, Delgrès et ses compagnons se suicident à l’explosif. Les survivants sont exécutés.

Arrêtée, Solitude est condamnée à mort et emprisonnée. Elle est pendue le lendemain de son accouchement, le 29 novembre 1802. Mais son nom restera dans l’histoire comme celui d’une femme insoumise, qui aura lutté aux derniers jours de sa vie pour la liberté et la dignité de la personne humaine.

Ainsi, Anne Hidalgo, mairesse de Paris a décidé de l’immortaliser en faisant ériger une statue de son effigie dans la capitale française pour honorer sa mémoire.

 

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