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Samora Machel, père de l’indépendance du Mozambique: Une figure marquante de la lutte pour les indépendances Par Mohamed Bachir DIOP

Si, dans les pays francophones de l’Afrique, l’indépendance a été acquise à coups de négociations denses, de compromis et de compromissions quelquefois, cela n’en a pas été le cas pour les anciennes colonies portugaises qui ont dû batailler ferme pour arracher leur liberté. L’Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert ont gagné leur indépendance après des luttes de libération meurtrières et donc ces pays ont réussi à chasser le colonisateur au prix du sang. Parmi les figures héroïques qui ont marqué de leur empreinte ces luttes de libération, Samora Machel, premier président du Mozambique indépendant.

Samora Machel aura été dans le maquis pendant près de 15 ans. C’est en 1961 qu’il rencontre pour la première fois Eduardo Mondlane, un intellectuel mozambicain en lutte contre le colonialisme portugais. Ce dernier le convainc de se joindre à sa cause et l’enrôle dans son mouvement de libération, le Frelimo, Frente de liberçao de Moçambique (en français Front de libération du Mozamique).

Dès 1963, Machel quitte tout le confort de la capitale qui s’appelait alors Lourenço Marquès, abandonne son épouse et entre dans le maquis. Dans un premier temps il rejoint Eduardo Mondlane à Dar Es Salam en Tanzanie qui était une des bases-arrières du Frelimo dans sa lutte de libération. Puis il suit une formation militaire en Algérie et, le 25 septembre 1964, il fait partie des 250 premiers combattants du Frelimo qui déclenchent la lutte armée contre le Portugal.

Cependant, l’homme était très politique, même s’il s’était signalé comme un combattant intrépide. C’est ainsi qu’en 1966, il devient Secrétaire à la défense du Frelimo, succédant à Filipe Magaia, mort au combat. Deux ans plus tard, il devient commandant en chef des forces armées et entre au comité central du Frelimo. Il entreprend alors d’organiser une administration qui contrôle de main de maître les « territoires libérés » où il fait construire écoles, dispensaires, et organise les activités agricoles et quotidiennes par ses hommes qui tiennent ces positions.

En 1973, les premiers « comités du parti » sont créés et l’« École du parti », chargée de former idéologiquement ses cadres, entre en action pour donner aux Mozambicains une « conscience révolutionnaire ». Samora Machel est un visionnaire et propose au Frelimo d’encourager les paysans à participer aux décisions plutôt que de confier le pouvoir à ses représentants.

Après l’assassinat par les services secrets portugais d’Eduardo Mondlane en 1969, il accède à la direction du parti au sein d’un triumvirat avec Marcelino dos Santos et le révérend Uria Simango. Samora Machel représente alors l’aile marxiste et multiraciale face aux tenants du courant africaniste. Dès 1970, il s’impose face à ses deux rivaux et prend seul la direction du mouvement de libération marxiste.

En 1974, au Portugal, des Généraux de l’armée renversent Marcelo Caetano (successeur du dictateur Salazar) au cours de ce que historiens ont appelé la « Révolution des œillets ». Les nouveaux dirigeants souhaitent mettre fin aux guerres coloniales que l’armée portugaise mène en Afrique, en accordant l’indépendance à ses possessions (Mozambique, Angola, Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe et Cap-Vert). Le Frelimo est alors l’interlocuteur privilégié du Portugal. Le 7 septembre 1974, à Lusaka, est signé un accord de cessez-le-feu et fixé un calendrier, prévoyant un gouvernement provisoire, l’indépendance du Mozambique et des élections pluralistes.

Mais Samora Machel ne l’entend pas de cette oreille. Décidé à chasser les blancs, il  fait organiser une révolte et lance des raids contre les riches portugais qui tiennent l’essentiel de l’économie du pays et possèdent les grandes plantations. Et, pour ajouter à l’inimitié que lui porteront les autorités portugaises avec lesquelles il avait conclu un accord pour des élections pluralistes et la cessation des attaques contre la communauté blanche, il refuse de partager le pouvoir.

Le Frelimo se bat en solitaire et accapare le pouvoir. Beaucoup de blancs portugais s’exilent alors, certains rentrent au Portugal -pays qu’ils n’ont jamais connu du reste- ou rejoignent l’Afrique du Sud.

En 1975, le Mozambique devient indépendant et Samora Machel en devient le premier président. Il réprime toute velléité de lui opposer un système autre que le communisme et fait face à un adversaire de taille, un parti nouvellement créé et appelé Renamo. Il élimine ses adversaires qu’il fait emprisonner dans des camps dénommés « centres de redressement » en pleine forêt, en  fait tuer une bonne partie et s’installe comme le seul maître à bord. Même sa première femme, qu’il avait quittée pour entrer dans le maquis, n’échappe pas à la vague de répression car elle sera envoyée dans ces centres de redressement alors qu’on ne lui connaissait aucune activité politique.

Cependant que Samora Machel s’allie à l’Union soviétique qui lui apporte soutien financier et militaire, la Renamo est armée et financée par l’Afrique du Sud et son voisin raciste, la Rhodésie. Ces deux pays l’accusent de soutenir l’Anc de Nelson Mandela et la Swapo de Sam Nujoma qui leur opposaient de farouches guerres pour l’élimination du système d’apartheid qu’ils avaient en commun et l’instauration de la démocratie.

Économiquement, l’aide de l’Union soviétique ne suffit pas car l’économie s’est effondrée avec l’exil forcé des 200.000 colons portugais qui le tenaient à bout de bras. De plus, les relations économiques et politiques avec les deux voisins du sud sont des plus tendues. Néanmoins, Machel réussit à rester populaire parmi la population. En 1979, la Renamo est affaiblie quand son chef est abattu. En 1980, le soutien de la Rhodésie cesse avec l’avènement à sa place du Zimbabwe. Mais la guerre civile continue, coupant le pays en deux.

Dès 1980, Samora Machel se rend compte aussi de l’inefficacité de sa politique économique et, paradoxalement, il se tourne vers le FMI en 1983 à contre-courant des idées qu’il développait dans le passé.

Il se rapproche aussi de l’Afrique du Sud et signe l’accord de Nkomati avec le président Pieter Botha prévoyant que les Sud-Africains cessent de soutenir la Renamo contre le retrait du soutien mozambicain à l’ANC et aux mouvements anti-apartheid établis sur son sol. L’accord n’est finalement pas respecté de part et d’autre en dépit des relations sereines établies au niveau des ministères respectifs des deux pays.

Le 19 octobre 1986, Samora Machel s’envole pour la Zambie pour discuter de la situation avec les présidents zambien, angolais et zaïrois. Le sommet se déroule dans le calme malgré une ambiance tendue. Mobutu est accusé de soutenir autant l’Unita en Angola que la Renamo au Mozambique. Le Malawi, non représenté au sommet, est aussi soupçonné par Machel de donner asile aux rebelles de la Renamo. Machel avait menacé quelques mois auparavant le Malawi de blocus économique et de tirs de roquettes alors que l’ambassade du Malawi était mise à sac à Maputo au mois de septembre.

Le même jour, dans l’après-midi, Machel revient en avion du sommet de Lusaka, d’où avaient été discutées avec les pays régionaux des mesures communes à adopter contre le régime sud-africain, quand son avion s’écarte soudainement de sa trajectoire et s’écrase en Afrique du Sud sur les flancs des montagnes Lebombo.

Jamais une enquête sérieuse ne sera ouverte pour déterminer la cause de cet accident bizarre et les boîtes noires de l’avion seront soigneusement dissimulées par l’Afrique du Sud. Mais des sources concordantes et documentées affirment que ce crash avait été planifié par les autorités sud-africaines avec la complicité de techniciens de l’aéroport de Maputo, nouveau nom donné à la capitale mozambicaine.

Il s’agirait en fait d’un assassinat secret comme savaient l’organiser à l’époque certaines puissances. Mais Samora Machel, qui est né le 29 septembre 1933 et dont le vrai nom est  Samora Moises Machel, aura marqué pendant une décennie les relations internationales dans l’Afrique australe tout en se présentant comme le héros des luttes pour les indépendances.