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Retrouvailles Wade-Macky: « Avais-je fait le choix du moindre mal ? » Par Pape Sadio THIAM

Il y a plus de convergence entre Wade et Macky qu’entre ce dernier et la totalité des alliés politiques actuels du président de la République : il y a du Wade dans la gestion de Macky.

Du point de vue relationnel et affectif, le lien qui unit Macky Sall et son prédécesseur peuvent être altérés, mais ce n’est pas sûr que Macky puisse trouver ailleurs un substitut au lien presque paternel et pédagogique qui le liait à Wade : il y a plus de convergences entre Wade et Macky qu’entre ce dernier et la totalité de ses alliés politiques actuels. Il est vrai que l’adversité entre les deux hommes a été et demeure encore un arme politique, une source féconde de nourriture politique, mais en sera-t-il toujours ainsi ?

Au sein de leur formation politique respective, mais aussi au sein de l’opposition au régime libéral constituée en majorité par ceux qui avaient été frustrés par la gestion du pouvoir par Wade, on n’a pas hésité et on n’hésitera jamais à attiser la haine entre les deux hommes. Hommes politiques, presse, opérateurs économiques, intellectuels, bref il y a un monde fou qui tire profit de cette adversité, et les deux principaux protagonistes devraient commencer à s’interroger sérieusement sur la viabilité du dividende politique qu’ils en tirent.

En profitent-ils vraiment autant que les autres, notamment ceux qui attisent cette adversité ? Ne sont-ils pas finalement les instruments d’autres acteurs politiques qui manipulent leur antagonisme à leur insu ?

Le rationalisme de sa pensée politique a amené Machiavel à dire qu’en politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. Ce serait faire un mauvais procès au Florentin que de dire qu’il exclut les valeurs morales de la sphère politique. Il semble plutôt que, par réalisme, il a compris très tôt que si on ne peut faire le monde sans la référence à des valeurs comme le bien et le mal, il est tout aussi vrai qu’on ne saurait fonder l’action politique sur des certitudes aussi abstraites et relatives. Notre raison aura beau vouloir féconder ou organiser la réalité, elle ne pourra y arriver que si elle s’instruit d’abord de celle-ci. Ces deux hommes politiques devront donc choisir de continuer la confrontation, le mépris réciproque et la surenchère, mais tôt ou tard il faudra s’arrêter et faire le compte : chacun se demandera : « Avais-je fait le choix du moindre mal ? ». Faire preuve de sagesse politique, c’est également savoir transcender les crises et les adversités conjoncturelles. Le pays a besoin de retrouver une certaine accalmie politique pour que la lucidité permette une mobilisation des énergies positives au service de la nation.

Un proverbe français dit que l’adversité est la preuve de l’amitié véritable : comment ne pas adhérer au sens d’une telle sagesse si l’on s’instruit de l’expérience du différend entre Senghor et Mamadou Dia qui a été si fatal au Sénégal ? Macky Sall et Abdoulaye Wade ont-ils le droit d’être les escaliers que d’autres, potentiellement ou probablement moins vertueux qu’eux, enjamberaient pour accéder au pouvoir ? Voltaire a dit qu’un conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habileté heureuse, du bras d’autrui. Si Wade et son successeur continuent cette animosité qui n’a plus sa raison d’être, ils seront ce « bras d’autrui » dont se servent des conspirateurs moins vertueux qu’eux pour assouvir leurs desseins occultes.

L’entêtement et la colère sont mauvais conseils en politique : il suffit de regarder ceux qui ont gravi des échelons inespérés en instrumentalisant la crise entre les deux hommes pour s’en apercevoir. La haine est une passion dangereuse parce qu’elle crée l’aveuglement et prend possession de l’individu qu’elle habite. Il faut accepter de faire des concessions et même des sacrifices en politique, comme dans la vie civile d’ailleurs, pour infléchir le cours des évènements. En politique, ces concessions prennent forme à partir d’un dialogue, d’une communication intelligente mais sincère susceptible de lever les équivoques et malentendus. La brouille et la haine se méfient du dialogue parce qu’il les dissout, les apôtres de la discorde coupent les fils de la communication car leur gagne-pain en dépend. On ne saurait suspecter les deux hommes de manquer d’intelligence politique au point d’ignorer ou de ne pas s’apercevoir que dans leur état-major (élargi ou restreint), il y a des marionnettistes qui croient qu’ils peuvent tirer le maximum de profit politique de leur adversité actuelle.

Wade a perdu le pouvoir, mais il l’a perdu de façon moins dramatique que Diouf (même s’il a souffert après cette perte du pouvoir) car, c’est un de ses nombreux premiers ministres qui lui a succédé. D’une façon ou d’une autre, il y a du Wade dans la gestion de Macky : la graine que Wade a semée n’est donc pas perdue, même si elle n’a pas germé là où il le voulait. Au nom de quel entêtement ou égoïsme politique les deux hommes devraient continuer alors à entretenir un conflit qui n’a aucune portée ni pour leur héritage ni pour le pays ? Les démons de la division feront tout pour retarder cette échéance, car c’est dans la dispersion des forces qu’ils construisent leur univers.

Les dix dernières années ont vu prospérer dans ce pays des théories saugrenues qui ne reposent ni sur une science pure, ni sur une observation empirique de la réalité politique. Parmi elles, il y a cette fausse prophétie (une véritable illusion utile pour les faibles) selon laquelle aucun parti politique ne pourra plus ni gagner seul ni gouverner seul. Cette curieuse sagesse n’est pas seulement fausse, elle relève d’une véritable escroquerie politique. Car si un parti, à lui seul, ne peut pas conquérir et gouverner, sa raison d’être devient suspecte : pourquoi ne pas mettre fin à cette myriade de formations politiques les unes plus étranges que les autres (il y en a qui sont fantomatiques !) en créant en amont de grands partis politiques. Il y a assurément une incohérence dans cette conception. Car s’unir a priori, se connaître en amont, ficeler des programmes en synergie et développer des stratégies avec le maximum de ressources humaines seraient la voie la plus indiquée que de commencer à se chercher après la perte du pouvoir par l’adversaire commun.

Oui, il faut le dire : ce qui les réunit et finit pas les unir de façon factice et très opportuniste, c’est moins une vision que la haine contre un homme et la soif du pouvoir.