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Reportage: Quand la diaspora veut l’émergence pour son village Habib KA, Bureau régional de Matam

A Guiraye, « l’État, c’est moi »

Pour se rendre à Guiraye, à défaut d’une 4×4 tout terrain, d’un clando, la charrette attelée à un cheval est le moyen le plus commode pour s’offrir deux heures de route. Le déplacement par la charrette a quelque chose de fascinant, des atours, un côté ludique. Elle vous fait traverser le paysage qui s’offre devant vous, comme un guide d’un site touristique : vous observez les champs reverdis, le bétail repu avec ses rondeurs, un pelage luisant, clémence de dame nature, comme si la sécheresse n’avait jamais visité ces endroits, les mines enthousiastes des personnes croisées qui vous distribuent des « bonjour ! Comment ça va ? : “djam waali, “mbadda” ?

La charrette a aussi ses charmes : dès qu’elle se met en branle et que tout le monde s’est identifié, dans une complicité parfaite, le commerce facile, les commentaires vont bon train. C’est dire que la route devient agréable, le temps se rétrécit sans qu’on puisse se rendre compte qu’il s’en va.

Guiraye Worgo, notre destination, situé sur la frontière avec la Mauritanie, entre les villages de Gawol à l’ouest, de Dööndu à l’est, sur la berge du fleuve Sénégal où glissait majestueusement le Bou El Mogdad comme chantait le poète, Wouro Aly pour renaître et regagner son prestige historique fondateur,  Guiraye donc a fait foi l’adage :  « Aide-toi, le ciel t’aidera ! ».

En effet, Abdourahmane Sy dit Mamadou Farba, notable, chargé des relations avec les Émigrés de la Diaspora et les siens, les ressortissants et originaires de Guiraye n’ont pas attendu l’État du Sénégal pour autofinancer le développement de leur village. Puisque les fils de Guiraye se sont mobilisés comme un seul homme pour faire émerger le village avec leurs moyens propres, sans attendre l’assistance de l’État qui faisait défaut depuis l’Indépendance, au point qu’on pouvait se demander si Guiraye et certains villages faisaient partie du Sénégal.

Que ce soit l’école, le forage, l’électrification de la zone, conquis à l’arrachée, le marché, la grande mosquée, la case de santé et d’autres infrastructures primaires de base, tout a  été acquis grâce à la solidarité agissante des vaillants ressortissants émigrés et de ceux basés à Dakar et dans les capitales régionales, les populations locales se proposant d’être la main d’œuvre gratuite pour toute initiative susceptible d’insuffler un tant soit peu une vie, un dynamisme à la localité.

Comme tout village du Daande Maayo, Guiraye souffre de son enclavement, d’un accès très difficile, par des pistes de brousse cahoteuses, poussiéreuses. Pour rappel, malgré tous les discours qu’il ne cesse de tenir sur le Daande Maayo, le candidat Macky Sall, depuis qu’il est élu en 2012 président de la République n’a jamais emprunté la dorsale d’une longueur de 104 km qui va de Oréfondé à Matam.

Lors de sa tournée économique du 5 au 9 mars 2017 dans la région de Matam, le président Macky Sall a pris une fois l’itinéraire jusqu’à Ndiafane Sorokum avant finalement de se raviser, rebrousser chemin pour reprendre son périple par la Route Nationale 2. Certainement que Macky Sall avait très tôt pris en compte toute la pénibilité qu’occasionnerait pour son corps cette route. Route qu’empruntent chaque jours des visiteurs, des commerçants, le personnel administratif, les cadres politiques de l’Alliance pour la République (APR), dans une indifférence totale de poussière, de secousses capables d’endolorir une colonne vertébrale, de mener à la crise des usagers asthmatiques : deux heures de temps, au moins, sont consommées pour parcourir une distance de 20 kilomètres en raccourci en charrette.

Potentiel grenier du Sénégal

La zone, si riche, si féconde, un des potentiels greniers du Sénégal, souffre de la destruction de l’écosystème par l’homme qui effectue des coupes sauvages de bois pour la construction des toitures des maisons en banco, des tentes, des palissades, le bois pour la cuisson des ménages, la consommation des boulangeries “tappe lappe”, l’éclairage des daaras.

A cela s’ajoutent les ruminants, notamment les chèvres qui, dit-on, ont été réintroduit dans la région par les services de l’élevage du temps du président Léopold Sedar Senghor parce que ces bêtes s’adapteraient parfaitement à la sécheresse des années 1973 qui décimait pratiquement le cheptel des bovidés.

Faut-il déplorer ici le comportement irresponsable de certains éleveurs incontrôlables qui transforment les champs des agriculteurs en zone de pâturage pour leurs animaux s’ils parviennent à tromper la vigilance de ceux-ci ? Souvent, cela se termine par des rixes pouvant conduire jusqu’au drame extrême.

Daouda Ba, représentant des ressortissants de Guiraye en France

L’agriculture, levier de tout développement, souffre d’un manque de matériel agricole, de technique de culture, de bras valides, si bien qu’on note avec désolation des étendues de terres fécondes laissées inexploitées, faute de moyens matériels et humains.

La vulnérabilité du cultivateur, liée à son inorganisation, crée toutes les conditions possibles pour se faire arracher ses terres au profit des multinationales, ou de promoteurs agro-industriels privés qui généralement demandent des surfaces assez considérables pour après les morceler pour les rétrocéder.

Guiraye est un village qui a pied sur le fleuve Sénégal à quelques encablures de Kaedi de la Mauritanie voisine, et à une quinzaine de kilomètres de Bokki Diawé, chef-lieu de la Commune.

Une population composée essentiellement de jeunes qui, comme par effet de contagion, se sont résolus de rester sur place, relever le défi, travailler. Ils se sont constitués en Groupements d’Intérêt Économique (GIE), une organisation parfaite qui leur assure des ressources substantielles et des récoltes périodiques deux ou trois fois l’année selon les saisons et l’organisation interne du GIE.

Guiraye n’est pas suffisamment électrifié et le jus est rationalisé parcimonieusement, si bien que la communication et les produits de conservation au frais se détériorent facilement. A cela s’ajoute le réseau pour la téléphonie difficilement accessible ; Guiraye garde encore son côté rustique, traditionnel. Un village pied dans l’eau, même si des villas sur de très grands terrains avec jardin enclos, poulaillers, s’érigent un peu partout comme qui annonceraient l’ouverture définitive à la modernité.

Des enclos de vaches, de brebis, de chèvres, presque chaque famille à son cheval, sa charrette. Ce qui n’est pas un luxe mais un outil indispensable pour travailler sérieusement et faire les déplacements vers les autres villages ou regagner les communes situées sur la RN2, Agnam, Thilogne, Kobilo, Dabia Bokki Diawe où il faut faire des ravitaillements pour certains produits de consommation courante.

Guiraye garde aussi les survivances du mode d’échange traditionnel, le troc, un système qui renseigne à suffisance sur la vitalité de l’économie familiale et le pouvoir économique des ménages. Les greniers ou chambres qui tiennent lieu comme telles sont remplies, prêtes à craquer parce que les récoltes de la saison écoulée n’étant pas encore épuisées. Les gens mangent ensemble, en parfaite communion comme au bon vieux temps du Fouta et Koumbarou.

Moussa Sy, jeune frère du chef de village de retour du Cameroun où il était installé : “Nous avons tenté l’aventure pour venir à la rescousse de nos familles et de nos proches, améliorer le bien-être de celles-ci, le faisant nous avons perdu pied sur place si bien que beaucoup de choses sur le développement de notre village échappent à notre attention parce que, comme le dit le proverbe, on ne peut pas courir derrière deux lièvres à la fois.

Aujourd’hui, sur place, j’entends donner à mon Guiraye la plénitude de mes aptitudes et compétence pour rendre mon Guiraye meilleur”, tout en déplorant que l’école de six classes ne compte que trois enseignants.

Mamadou Farba Sy, notable, est cadre de la Sonatel en retraite, bien réseauté et très accessible, très disponible qui joue la jonction des émigrés de la Diaspora, du chef du village, du Comité de santé, du forage avec les jeunes qui s’activent dans les mouvements de jeunesses. Il veille comme un administrateur dans chaque structure du mouvement associatif des ressortissants de Guiraye et veille à doter les gestionnaires des comptes des structures de méthodes efficaces et transparentes pour la sauvegarde des biens et avoirs de la communauté.

Madame Fall, que nous avons trouvée dans les locaux de la Case de Santé   officie depuis six mois en qualité d’Assistante Infirmière d’État et  s’acquitte correctement de son travail selon les responsables du Comité de Santé et certaines personnes interrogées. Elle fait les consultations générales, les accouchements. Les consultations prénatales et postnatales se font au Poste de Santé de Gawol, situé à cinq kilomètres.

Elle félicite les populations d’avoir investi sur la santé. En effet, sur un grand terrain clôturé, se tiennent deux grands bâtiments entièrement construits et financés par l’Association des Ressortissants de Guiraye Worgo, sans compter tout le matériel médical trouvé sur place, la pharmacie, suffisamment dotée de génériques ainsi que le salaire de tout le personnel médical.

La case de santé de Guiraye est si fonctionnelle que, n’eût été la pandémie de la Covid-19, madame Fall compterait parmi ses visiteurs les habitants de Guiraye Rewo de la Mauritanie voisine, située de l’autre côté du fleuve. En outre, les patients de Ballel et Diamel fréquentent le dispensaire.

Mamadou Farba Sy, chargé des relations avec les émigrés

L’objectif, c’est d’offrir des soins de qualité avec l’appui des responsables et notables du village pour que la Case de santé de Guiraye Worgo soit élevée en Poste de Santé pour soulager les bailleurs.

D’ici là, il est demandé aux autorités administratives de la Santé, notamment au Ministre de la Santé et de l’Action Sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, d’apporter une réponse à leurs doléances adressées au maire de la Commune de Bokki Diawe, Kalidou Wague, et aux responsables politiques de la localité, restées sans suite.

Toutefois, ils réclament une dotation de médicaments génériques tels que les amoxylines, le fer, les amox sirop pour enfants, les sollytex, etc. . .

De l’avis de tous, le transfert des malades par ambulance est un vrai problème : un transfert sur Gawol est facturé à 5.000 francs, 25.000 francs pour le Centre Hospitalier Régional de Ourossogui, ce qui coûte aux populations les yeux de la tête.

Ceux qui étaient à l’origine de la construction de la case de santé sont en train aujourd’hui de se questionner s’il fallait la peine de le faire. Vous prenez l’initiative de vous substituer à l’Etat pour des obligations qui lui sont normalement dévolues, et vous êtes obligés encore de courir derrière lui pour vous apporter ne serait-ce qu’un soutien. Messieurs font le mort. Quelle absurdité républicaine ! La plaie est là, béante.

Quel discours peut tenir le président de la République Macky Sall pour ces populations qui ont contribué à l’élire et à le reconduire pendant qu’il est en train de travailler, maintenant même, pour s’assurer une troisième candidature ?

Le retour en voiture pour faire Guiraye-Gaol-Sylla-Diongto- Ndioguel- Ndiafaan et sortir sur la RN2 par Oréfondé, il faut un minimum de deux heures temps pour une route que le président Macky Sall avait promis de tout noircir en bitume incessamment.

Nous retrouvons un bitume impeccable de 17 kilomètres travaillés par la très professionnelle Compagnie Sahélienne d’Entreprise (CSE) de feu Aliou Ardo Sow. La joie sera de courte durée : une fois que vous sortez de Thilogne pour vous rendre à Ourossogui, il vous faut encore prendre votre mal en patience, parce que le parcours pour ce tronçon de 50 kilomètres de latérite, c’est la croix et la bannière. Une route entamée depuis juin 2017 qui devait se terminer depuis plus de deux ans déjà.

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