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Reconfiguration politique: Un certain prophète nommé Wade Par Habib KÂ

Les libéraux ont le vent en poupe devant la déconfiture de l’héritage senghorien, laissant peu d’espoirs  pour un retour des socialistes et de la social-démocratie au pouvoir. Le prophète Abdoulaye Wade pourrait bien avoir raison : les Libéraux sont là pour au moins cinquante ans.

Des années 1970 à 2000, date de la première alternance, le Sénégal était marqué par un dualisme politique : Parti socialiste (Ps)-Parti démocratique sénégalais (Pds), auquel se greffaient des partis radicaux de Gauche d’obédience marxiste-léniniste dont la Ligue démocratique (LD), le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), And Jëf/Mouvement révolutionnaire pour la Démocratie nouvelle, ainsi que quelques partis nationalistes tel le Rassemblement national démocratique (RND) du professeur Cheikh Anta Diop,

Aujourd’hui, la situation se présente autrement : depuis la fin des idéologies, les clivages politiques ont disparu comme par enchantement, les lignes de démarcation, tels des feux-follets, se sont volatilisées.

Ainsi, depuis les lendemains du Premier novembre, jour de Toussaint, où Idrissa Seck tenait sa conférence de presse pour livrer aux Sénégalais les plans concoctés avec le président Macky Sall, le renvoi d’illustres ministres de la République, l’entrée d’Oumar Sarr, de Yankhoba Diatara et de Aly Saleh Diop dans le nouveau gouvernement, l’aire politique est sens dessus-dessous. Toutes les certitudes se sont effondrées.

En effet, c’est dans les réflexes du Lion, même dormant, de réagir vite et porter le coup de grâce. Tout le monde est pris de court, knockouté.

Face à cette situation, chaque parti ou groupement est contraint de faire l’inventaire de ses forces, surveiller ses arrières, réévaluer sa perspicacité organisationnelle afin de se repositionner durablement dans un camp ou dans un autre, de crainte d’être sabordé.

 « Waxu mag du fannan alla »

Les prophéties du Pape du Sopi sont-elles entrain de se réaliser ? Douze ans de Wade, douze ans de Macky, à mi-parcours du chemin, les libéraux pourront-ils encore régénérer suffisamment de force, avec le plan machiavélique déployé par l’actuel locataire du palais, pour réussir une alternance in vitro ? C’est le rappel des troupes, de tous les frères libéraux pour la reconstruction, la consolidation de la maison familiale. Tous les scénarii sont possibles, envisageables puisque Idrissa Seck n’est juste qu’un appoint.

Les libéraux ont le vent en poupe, pendant que toutes les fractions Ps ont baissé la garde devant Macky Sall, complètement aplaties : Aissata Tall Sall (Oser l’Avenir), Robert Sagna, Abdoulaye Matar Diop, Moustapha Niass (AFP), Ousmane Tanor Dieng (PS), Djibo Leyti Kâ (URD).

Que reste t-il alors de l’héritage senghorien pour se repositionner sur la géopolitique sénégalaise comme alternative pour le retour des socialistes et de la social-démocratie au pouvoir ?

Presque rien du tout sinon des jeunots censés porter l’étendard des Verts de Colobane qui préfèrent faire profil bas, par voie de contournement, pour rejoindre les prairies marrons-beiges, comme l’actuel ministre de la pêche Alioune Ndoye, maire de Dakar-Plateau, le très agité Bamba Fall, maire de la Médina, Malick Noël Seck, Moom Sa Reew.

Le mérite de Macky Sall, c’est d’avoir su contenir tous les hiérarques du Parti socialiste quel que soit leur prix, leur susceptibilité pour un jappo-bennoo qui les oblige à renoncer à toute prétention de briguer librement un mandat : à chacun, un marigot encagé est aménagé pour permettre au caïman de se dorer : Assemblée nationale, Haut conseil des Collectivités territoriales (HCCT), ANAT. Il ne reste que le mouvement And Doolel Khalifa dont Dias fils est entrain de ravir la préséance à l’initiateur, très émoussé par son séjour carcéral à Rebeuss.

L’AFP de Moustapha Niass, le PS de Aminata Mbengue Ndiaye, préoccupé l’un par le retour de Malick Gackou du Grand Parti dans le gouvernement, l’autre, par les cognées de Serigne Mbaye Thiam pour la direction du Parti, sont restés aphones et complètement sonnés, surtout par le retour à la maison mère des Oumar Sarr, Idrissa Seck et pourquoi pas du fils du Pape du Sopi.

L’enjeu reste les élections présidentielles de 2024

Le pouvoir reviendra t-il encore aux libéraux programmés par le Pape du Sopi pour y rester 50 ans ? Une large coalition autour de Ousmane Sonko et du Pastef  ou  un pôle en cours de constitution créera-t-il la surprise en instaurant une troisième alternance ?

Quand père Wade projette les sentiments qu’il nourrit pour son fils dans la scène politique sénégalaise, il s’auto-exclut du processus de réconciliation et court le risque gros d’être l’artisan de sa propre extinction politique, ignorant le dicton foulbhe qui dit que « bidho artataa, arat » (On ne naît pas tel qu’est le père, on le forge en soi pour le devenir).

Politiquement, Karim Wade n’est pas le fils de son père. S’il l’était, comme son père, comme son ancien directeur de cabinet Boubacar Camara, il allait faire du “Jeengu”, descendre et marcher sur Dakar, défier le régime du Lion qui dort, jusque dans sa tanière. Mais il attend tout du père jusqu’à la tétine.

Pour son Karim Meïssa,  Me Wade est allé trop loin, au point de se séparer de tous ses autres enfants, les plus valeureux d’ailleurs, ceux qui ont cru depuis l’aube et se sont dévoués corps et âme pour ses bonnes intentions pour le Sénégal, son programme Sopi ; pour lui, il est allé jusqu’à conseiller à ses électeurs et sympathisants de brûler leur carte, parce que Karim est exclu de la compétition électorale. Également, il a prôné le boycott, refusant de voter pour le candidat le mieux en vue de l’opposition, Idrissa Seck ou Ousmane Sonko, facilitant le passage de Macky Sall au premier tour.

La question sous-jacente est :  Abdoulaye Wade bénira t-il une alliance des libéraux où son fils n’est pas le candidat officiel pour la prochaine présidentielle ?

Toutefois, Abdoulaye Wade bénéficie encore d’un capital de sympathie incommensurable chez les sénégalais. La détention en prison à ciel ouvert à Qatar de Karim Meïssa commence à en agacer plus d’un, quand des scandales financiers s’amoncellent sous le coude du président de la République et que, depuis sa condamnation et celle du maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, personne d’autre n’est allé goûter à l’aigreur de Rebeuss. Ou alors toutes les mains sont-elles devenues subrepticement propres ?

Maître Abdoulaye Wade est incontournable dans le Grand jeu ; en plus d’être la pièce manquante du puzzle, il détient l’As, l’as de cœur : Abdoulaye Wade bénéficie auprès des Sénégalais d’un capital de sympathie et de confiance pour son patriotisme économique et l’indépendance de ses choix politiques, en plus de disposer d’un parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS), suffisamment réseauté pour mailler le pays.

Le Parti démocratique sénégalais saura t–il tirer son épingle du jeu ? Wade vivant, tous les chemins mèneront à Mermoz, rien de décisif ne se fera sans son estampille. Il a encore les ressources pour impulser son aura sur le cours des choses. Snobé par Macky Sall ou certains wadaillons, il peut inverser les tendances d’une claque de doigts, parce qu’il est le faiseur de roi.

Incontestablement, Ousmane Sonko et son parti le Pastef se sont imposés comme forces incontournables et crédibles avec lesquelles il faut désormais compter. Ils ont innové en allant fouiller dans les poubelles du système des dossiers compromettants, très sensibles de détournements de derniers publics, de passation frauduleuse de marchés, d’entente avec des sociétés fictives pour spolier le peuple sénégalais de ses richesses minières, pétrolières et gazières. Suffisamment nantis de jeunes cadres intellectuels patriotes et qui ont des expertises avérées à revendre, très méthodiques, très pointilleux, Sonko et ses hommes  éventent des dossiers lourds qui suffisent à sensibiliser les citoyens sur la mal-gouvernance, les crimes économiques.

Sur les plateaux de Tv et de radio, pas moins de huit cadres sont déployés pour battre en brèche les thèses des “gens du système” groggy.

Sur les réseaux sociaux, des jeunes pastefiens sont aux aguets, prêts à casser de l’Apr. Mieux, pour un coup d’essai, le jeune Ousmane Sonko a frappé le système de Macky Sall au point le plus névralgique de son dispositif politique, la Diaspora de l’Amérique du Nord et de l’Europe où le président de Pastef a raflé presque toute la mise.

Pastef sera un pôle et avec des partis particulièrement constitués de jeunes autour qui feront une jonction des revendications politiques avec les luttes démocratiques et syndicales, qu’ils ont jusqu’ici inspirées.

Un autre camp se constituera à mi-chemin entre les deux pôles, qui regroupera d’anciens cadres, d’anciens fonctionnaires, d’anciens ministres, des dissidents de l’APR qui viendront défier le régime de Macky Sall. Les Tekki, Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Moussa Diop pourraient être de ce lot.

De toutes les façons, les élections municipales prochaines seront un test grandeur nature de ce que sera la présidentielle de 2024.

D’ici là, le président Abdoulaye Wade aura la latitude de jouer son jeu favori : le suspens, acculer l’autre au bout du précipice, le faire chanter pour obtenir gain de cause. Mais, tant que le père voudra faire prendre les Sénégalais des vessies pour des lanternes, il ne passera pas : le peuples sénégalais qui est hors des partis et des regroupements de partis, hors des états-majors politiques tranchera selon les offres qui lui seront faites.

Pour rappel les résultats de la présidentielle de 2019 qui vont aider à comprendre pourquoi le président Macky Sall a une hantise quasi-obsessionnelle des Municipales, puis des Législatives à venir et pourquoi il est prêt à tout pour renverser les tendances.

Les résultats de la présidentielle du 24 février 2019 sont ainsi établis :

Inscrits : 6.683.043

Votants : 4.428.680

Bulletins nuls : 42.541

Suffrages valablement exprimés : 4.386.139

Majorité absolue : 2.193.070

Ont obtenu :

Macky Sall : 2.555.426 (58,2%)

Idrissa Seck : 899.556 (20,5%)

Ousmane Sonko : 687.523 (15,6%)

El Hadji Sall : 178.613 (4,0 %)

Madické Niang : 65.021 (1,4%)

Ces résultats auraient pu faire l’objet de contestations auprès du Conseil constitutionnel, nonobstant quelques fraudes et irrégularités inhérentes à tout scrutin ; on comprend aisément aujourd’hui pourquoi Idrissa Seck arrivé deuxième du scrutin n’a pas daigné introduire un recours.

Ce qui est évident, c’est que Abdoulaye Wade aurait donné les consignes de vote pour n’importe lequel des trois candidats arrivés derrière lui, qu’il fléchirait les tendances et renverrait dos à dos le candidat Macky Sall et son suivant direct pour un deuxième tour, tour qui n’a jamais été facile jusqu’ici pour un président. Il semblerait que dans les secrets du vieux président, Macky Sall réélu ne ferait que cinq ans. Un autre ferait dix ans.

Au vu du tableau ci-dessus, des enseignements sont à tirer.

Le premier objectif des acteurs politiques serait d’intéresser les populations à s’inscrire en grand nombre pour l’expression démocratique du droit des citoyens. Aussi faciliter aux primo-votants leur inscription sur les listes électorales. L’enjeu central des élections reste le contrôle et la fiabilité du fichier électoral.