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Recherches-Moi, femme de Tirailleur

Recherches

Moi, femme de Tirailleur

Peu de livres ont été consacrés aux épouses des Tirailleurs, intendantes dans l’Armée mais aussi « gage de stabilité pour les soldats ».
Qui alors pour en parler sinon une dame même ?
Il faut ainsi remettre en exergue les travaux de Duparc Camille, professeure agrégée d’histoire-géographie au lycée Maupassant de Fécamp et université Le Havre Normandie.
Sa contribution intitulée « Le genre à l’épreuve de l’empire et des armes, Les femmes des tirailleurs sénégalais (1857-post-indépendances) parue dans la Revue Historique des Armées 2022/3 (N° 306) reprend en fait « Les femmes des tirailleurs sénégalais de 1857 à nos jours », Master 2, John Barzman et Abdoul Sow dir., Université du Havre, 2009.

Le tirailleur sénégalais est une figure bien connue de la colonisation ouest africaine, mais sa femme est restée dans l’ombre. Pourtant, ce n’est pas une femme ordinaire, elle occupe elle aussi une place à part au sein de la société coloniale. Les femmes ont joué des rôles divers tout au long de l’histoire des tirailleurs sénégalais et c’est ce rôle que nous avons tenté de mettre en lumière.

Le mémoire s’organise en deux parties, la première présente d’abord un bilan historiographique pour l’histoire africaine, l’histoire du genre en Afrique, l’histoire de l’armée coloniale et les sources orales. Vient ensuite la présentation des sources utilisées : les archives de l’AOF à Dakar, des témoignages d’officiers coloniaux, des sources orales récoltées lors de deux campagnes d’entretiens auprès des femmes d’anciens combattants, et des sources iconographiques.
La deuxième partie présente le résultat de la recherche.
La première partie concerne les femmes en elles-mêmes. Comment concilient-elles leur rôle de mère, d’épouse et le fait d’être une femme dans un monde militaire ?
Pour évoquer le rôle d’épouse et de mère, nous présentons les fonctions des femmes pendant la conquête militaire en détaillant les avantages et les inconvénients que représentait cette vie, ainsi que les événements particuliers dans une vie de famille traditionnelle : mariages, naissances, divorces. Malgré ce cadre de vie différent, la femme du tirailleur reste une femme, c’est pour cela que nous nous sommes intéressés aux représentations de leur féminité, afin d’appréhender en quoi l’observation des femmes et leur description ont contribué à créer dans la métropole un imaginaire les concernant. Enfin, dans une dernière sous-partie, nous nous sommes penchés sur les rapports sociaux de sexe entre l’homme soldat et sa femme.
Dans une seconde partie, il s’agit d’aborder l’utilisation des femmes par la puissance coloniale, montrer comment la femme pouvait elle aussi tout comme son mari être assimilée à un agent de la colonisation. Tout d’abord à travers sa présence dans les colonnes militaires ou elle assure l’intendance. Mais aussi parce que la femme est un gage de stabilité pour les soldats. Les dépenses nombreuses qui sont faites pour emmener les femmes dans les campagnes extérieures de l’Afrique montrent bien l’importance de leur présence pour l’autorité militaire.

Deuxième aspect de l’utilisation des femmes : la correspondance. Cette partie permet d’abord de montrer comment s’organisait le lien entre l’arrière et le front en période de guerre. Le détail des modalités de correspondance pour chaque conflit montre des problèmes récurrents : d’adresse, de nom, de censure, les lettres aux prisonniers, les cartes types… Mais ensuite cette partie souligne que l’importance accordée à la correspondance par les autorités coloniales relève plutôt d’une volonté de continuer d’assurer le bon moral des troupes que ce soit au front ou dans les camps de prisonniers, d’assurer une combativité optimale, et de tranquilliser les familles dans les colonies pour éviter les problèmes. Cela nous amène à aborder en troisième lieu l’instrumentalisation des femmes et à décrire le système de propagande dans lequel elles prennent place. En contrepartie de cette utilisation, une certaine sollicitude envers elles est quand même à noter. L’attention dont elles sont l’objet leur a permis tout de même d’avoir une condition de vie différente de celle des autres femmes indigènes.
Enfin, la dernière partie du travail a consisté à s’intéresser au temps court de la guerre à travers les impacts des conflits sur les femmes. On s’est intéressé en particulier aux bases réglementaires et aux aspects sociaux les concernant : le système d’allocation et les différentes contributions existantes comme l’indemnité de séparation, l’allocation aux familles nécessiteuses, le secours d’urgences, les pensions de veuves …
Un autre aspect de la vie sociale a été perturbé par la guerre : le mariage. Le mariage ouvre le droit à des avantages surtout financiers et il est donc très surveillé. Nous nous sommes intéressés aux différentes procédures et aux problèmes rencontrés par les femmes et les tirailleurs. La question des mariages mixtes (avec des femmes venant d’autres colonies puis avec des femmes européennes) a particulièrement retenu notre attention. Enfin, qui dit départ en guerre dit deux périodes : celle de l’absence du mari et celle de son retour. Cette partie nous permet d’aborder l’expérience de vie des femmes en l’absence du mari, les possibilités d’émancipation, leur lieu de vie : chez la belle-famille ou encore seule et les risques de dérives que cela induit comme par exemple la prostitution. La fin de la guerre marque l’arrêt de tout cela si l’homme revient sain et sauf. Les brèches furtivement ouvertes par les guerres qui ont pu offrir à la femme un semblant d’émancipation sont vite colmatées par le retour du guerrier, les femmes qui en étaient sorties sont renvoyées à la sphère privée.

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« Les femmes des tirailleurs sénégalais de 1857 à nos jours »,
Master 2, John Barzman et Abdoul Sow dir., Université du Havre, 2009.