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Ramadan et partage: Le soukeurou koor passe de partage à l’impératif qui consolide la place de la femme au sein de sa belle famille Par Khadidiatou GUÈYE Fall, Chef du Desk Société

Les nouvelles mariées risquent cependant de casser le rythme du système

À une dizaine de jours de la Korité, les femmes sont plus que stressées à l’idée de n’avoir pas encore donné le Soukerou koor. Les habituées du système ont leur stratégie pour se procurer un joli panier de produits alimentaires, un riche tissu ou une enveloppe d’argent qu’elles vont offrir à leur belle-famille.

En se focalisant cependant sur les femmes fraîchement mariées, aucun challenge n’est susceptible de briser leur état d’esprit qui est de n’entamer rien qui ne connasse de suite.

Le Soukerou koor est l’une des traditions les plus mal vues par la jeune génération. Elle consistait à aider sa belle-famille sur les denrées alimentaires les plus utilisées durant le Ramadan, à savoir le sucre. En effet, c’est en grande quantité que les Sénégalais en utilisent pour ce mois béni.

Au fil du temps, le Soukerou koor a connu une modernisation que certains qualifient de modernisation négative. Cet acte de solidarité basé sur une distribution a failli à sa mission principale. De nos jours, le soukerou Koor n’est que de nom : les belles-familles reçoivent à la place du sucre des parures en or, des liasses de billets de banque, du tissu ; le soukerou koor a dépassé son objectif devant une obligation et un fardeau chez les belles-filles.

Mais cet acte de bienfaisance ne devient fardeau que pour ceux qui acceptent de se conformer aux traditions et aux normes sociales ou de peur de voir leur ménage brisé ; certaines femmes refusent de suivre la mouvance et de se conformer aux obligations que les belles familles ont fait du soukerou koor.

Ndèye Siré est stagiaire dans une entreprise. Elle s’est mariée au mois d’août dernier. Vivant dans son appartement avec son mari, elle n’est informée sur aucune des traditions similaires avec le soukerou koor. Issue d’une famille bien aisée, elle se donnait souvent la peine de gâter sa belle-mère de cadeaux quand elle en avait envie. Mais pour ce qui est du soukerou koor, c’est hors de question d’entamer des actes qui pourraient être perpétués dans le temps. « Je ne suis pas d’accord avec les soukerou koor, surtout avec l’approche qui lui a été infligée. Je suis nouvelle mariée et c’est mon premier Ramadan dans mon foyer. Je ne cherche à plaire à personne. Mon mari est jeune moi aussi, nous sommes appelés à avoir une maison, et des enfants à nourrir. Donc, ce n’est pas le moment de se mettre dans la tête ces genres de futilités qui, pour moi, n’ont aucun impact positif sur ma vie de couple. Parce que la plupart du temps, ces mêmes personnes, que tu te donnes la peine de surprendre avec une enveloppe d’argent, sont les mêmes personnes qui vont s’immiscer dans ton ménage et le bouleverser du jour au lendemain » critique Ndèye Siré. Néanmoins, il ne trouve pas de problème de faire plaisir à la belle-famille avec des cadeaux qu’elle achète quand elle a de l’argent. « Si je perçois ma prime de stage, je m’occupe des priorités avant d’acheter des cadeaux pour mes belles-sœurs ou pour ma belle-mère. Je le fais sans rien attendre en retour », poursuit-elle.

Ndèye Siré est contre cet acte dont les gens ont fini par en faire une obligation, poussant beaucoup de femmes mariées à s’endetter ou à faire porter le fardeau à leur mari.

Stratégie

Ce sont ces genres de problème que Madame Cissé essaie d’éviter. C’est pourquoi pour son premier Ramadan, elle a décidé de croiser les bras. En effet, Madame Cissé s’est mariée au mois de décembre. Depuis son mariage, son mari qui vit aux Etats-Unis n’est pas encore venu. La moitié de la belle-famille de la dame Cissé vit aux Etats-Unis. Pour ne pas en faire une obligation, elle a trouvé une stratégie pour faire comprendre à la belle-famille que le soukerou koor ne doit pas être un levier pour la stabilité du couple.

« Je suis mariée mais je n’ai pas encore rejoint la maison conjugale. Mon mari vit aux Etats-Unis avec sa mère et ses frères. Il n’y a que ses tantes et ses sœurs qui sont au Sénégal. Mais puisque dans notre pays, tous les cadeaux doivent provenir de la femme, il est important de montrer que ça doit provenir des deux sens. Cette année, je suis devenue madame, donc je suis obligée de donner du soukerou koor. Mais pour faire comprendre à ma belle-famille que cet acte n’est pas une obligation, j’ai décidé d’attendre la fin du Ramadan pour leur donner quelques cadeaux. Je vais leur acheter des tissus comme cadeaux pour ne pas leur donner l’occasion de croire qu’à chaque mois de Ramadan, je leur donnerai un soukerou koor. Ce qui m’aide le plus, c’est mon mari qui est entièrement contre ces genres cadeaux », affirme Madame Cissé.

Pour cet homme, il s’agit d’une corruption déguisée. Moussa Faye n’est pas encore marié, cela ne l’empêche pas de s’informer sur la vie des mariés. Entouré d’amis mariés, Moussa Faye explique que les femmes souffrent, faisant souffrir leurs maris. « Les femmes subissent le poids de la société qui leur impose une distribution de soukerou koor. À leur tour, elles s’en ouvrent à leurs maris qui peinent à satisfaire les listes de leurs épouses. C’est une chaîne en quelque sorte : les belles-mères mettent la pression sur leurs belles-filles qui, à leur tour, mettent la pression sur leurs maris. La plupart du temps, les femmes se lassent de demander à leurs maris une somme d’argent pour le soukerou koor. Elles se rabattent sur des dettes ou demandent à leurs frères de mettre la main à la pâte » fait savoir le célibataire. D’après lui, il n’en est pas question de distribuer du soukerou à sa famille car « certaines femmes le font pour que leur ménage soit stable, sachant l’influence que la belle-famille a sur la santé du couple : elles essaient de les corrompre pour bénéficier des bonnes grâces de la belle-famille et ne pas subir les coups bas ».

Cet acte social que renfermait le soukerou koor a perdu son essence. À la place du sucre, les femmes donnent toutes les merveilles du monde à leur belle famille pour le maintien de leur ménage. Sauf que les hommes se sont joints aux femmes pour paraître adulés.