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La Ligne du Devoir

Quel avenir pour Amadou Bâ, Makhtar Cissé et Mimi Touré ?

APR : UN PARTI COUPE TÊTE?

 

On dirait que la malédiction frappe tous ceux qui ont (ou du moins à qui on prête) des ambitions politiques. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire politique du Sénégal, il est facile de constater que c’est la rivalité qui est à la fois, et paradoxalement, le poumon et le poison de la politique. Du Parti socialiste à l’APR en passant par le PDS, les joutes politiques ont été très souvent fatales aux principales « promesses » d’épanouissement politique des collaborateurs des Présidents.

C’est vrai, la politique n’est guère une instance de fraternité religieuse, mais au rythme de la culture d’élagage systématique des potentiels aspirants à remplacer le roi, il y’a à craindre. De Mamadou Dia du temps du PS à Macky Sall du temps de Wade ; l’histoire politique du Sénégal est rythmée de cortèges funèbres, faisant une procession incessante vers les cimetières politiques. Que d’énergie épuisée dans des luttes fratricides ! Que de génies sacrifiés sur l’autel de luttes politiques stériles pour le bien de la nation ! Alors qu’on regrette aujourd’hui encore le divorce fatal entre Senghor et Mamadou Dia, alors que la dislocation du parti libéral en mille morceaux est encore fraiche dans les mémoire, l’histoire semble se répéter pour l’Apr. Ça combine de partout, ça cafouille, ça complote de toutes parts et tout se chamboule comme un château de cartes.

A la manière des protagonistes de l’allégorie de làmbi golo, toutes les têtes qui dépassent sont systématiquement coupées et personne n’est désormais assuré de la plus petite parcelle de force politique susceptible d’être une soupape de protection pour le président qu’ils sont d’abord censés servir. En s’affaiblissant réciproquement, tous ses protagonistes ou potentiels aspirants minent le terrain de leur propre survie. Malheureusement l’histoire est tellement imbibée de passions que les hommes ne savent que très rarement en tirer les leçons pour éclairer leur avenir. Le sort qui sera réservé aux différents protagonistes dans cette sourde lutte à la succession de Macky pourrait être fatale non seulement aux prétendants, mais aussi au parti présidentiel lui même.

Le Parti socialiste s’est écroulé par suite d’une asphyxie découlant du poids insupportable des contradictions qui l’ont miné de l’extérieur. Le PDS a eu pratiquement le même sort : les luttes accessoires ont pris le dessus sur le combat principal. Les protagonistes se sont épuisés et perdu le goût de mener l’âpre combat pour le parti lui-même. Qui pour dire à Mimi Touré, à Amadou Bâ, à Makhtar Cissé et aux autres qu’on ne grandit pas forcément en éradiquant toute grandeur devant soi ?

C’est vrai qu’il peut paraître insensé de conseiller à des rivaux politiques de faire preuve de loyauté même dans l’adversité, mais sur le thème du pragmatisme politique proprement dit, ils devraient être suffisamment outillés pour comprendre que la rivalité entre frères de parti doit avoir des limites. Quand on s’élève au-dessus de tous ses frères de parti sur la base d’intrigues, de complots et de lynchages médiatiques, on triomphe seul et très modestement. Et quand on triomphe après avoir écarté tous ses amis et alliés, la défense de son butin devient compliqué faute de soldat capable de comprendre son propre commandement. Il y a une sorte de synchronicité entre la promotion de certains cadres de l’Apr et la vague de vindicte populaire qui les poursuit ne relève pas du hasard. Qui pouvait croire qu’Amadou Bâ pouvait se retrouver, quelques mois seulement après les élections présidentielles pour lesquelles il s’est presque surhumainement investi, dans une si mauvaise passe ? Et là où le bât blesse, c’est que ce sont exclusivement des querelles politiques qui constituent l’essentiel des nuages qui menacent d’assombrir son avenir politique. Aura-t-il la patience, la discrétion conquérante et le génie, requis pour dissiper tous ces nuages ? L’avenir nous édifiera, mais on peut d’ores et déjà présumer qu’en tant que politique, il sait lire les signaux et transformer le chant de cygne en prémices d’un avenir politique maîtrisé Mimi Touré fait constamment l’objet d’attaques alors même qu’elle n’est plus directement dans l’appareil gouvernemental.

Le plus intriguant dans ces « gémonies du Capitole » où sont exposés les potentiels aspirants au trône, c’est qu’elle vient davantage des membres du parti au pouvoir que de l’opposition. Cette dernière est à la limite assignée au rôle de broyeur de cadavre déjà exécutés à l’intérieur de la maison. La liquidation par presse interposée ne peut être effective que si le nom de l’adversaire à abattre est associé à un « crime » de dimension nationale. L’habileté de Mimi Touré sera jugée en fonction de sa capacité à savoir ce qu’il doit faire en temps de marée haute et ce qu’il doit faire en temps de marée basse. Car la politique ne souffre pas de congé : quelle que soit la conjoncture, il y a des actes à poser pour ne pas tomber dans l’oubli ou être la proie facile des prédateurs de toutes parts. On ne peut pas, de façon catégorique, dire que tout ce vacarme qui poursuit Makhtar Cissé est artificiel et sans fondement, mais ce serait difficile de ne pas y voir une main politique sournoise. L’on nous rétorquera que c’est la logique de la compétition politique : soit on dévore soit on est dévoré. Mais quel intérêt de telles pratiques ont-elles pour la démocratie et, surtout, pour le pays ?

Il n’a pas de gloire à remporter une joute dans laquelle on s’est arrangé pour n’avoir que des adversaires mutilés. La compétition au sein d’une formation politique au pouvoir est doublement utile en démocratie. D’abord parce qu’elle suscite l’émulation, forge le caractère des siens et les aguerrit pour faire aux adversaires extérieurs au part. Ensuite parce que la compétition, si elle est saine, incite à l’exemplarité morale qui servira de ceinture de sécurité contre les risques dépravation. Nos démocraties méritent que des courants de partis adossés à des principes et à des idées économiques claires animent la démocratie interne. On ne peut pas, dans ce Sénégal du XXIe , assujettir tout le débat politique autour de personnes. Une démocratie mature est celle où les personnes sont moins importantes que les idées. Les idées, les réformes politiques et économiques que proposent les hommes politiques et qui, dans une certaine mesure, constituent la matière à partir de laquelle ils pétrissent leur personnalité et leur charisme.

Pape Sadio Thiam