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Quand la crise inspire les artistes: Des voix dans la contestation Par Mame Gor NGOM, Rédaction centrale, Le Devoir

Les moments de crise ont été toujours inspirants pour les artistes-musiciens. Les récents douloureux événements qui se sont produits à Dakar et à l’intérieur du Sénégal prouvent à suffisance un tel constat. Les rappeurs ont exploité cette séquence. A fond.

Ils étaient nombreux à participer aux manifestations grandioses organisées à Dakar et dans le reste du pays, marquant leur présence physique. Ils ont aussi utilisé leurs voix, à l’image d’Ouza qui a accordé une interview exclusive à votre journal “Le Devoir”. Youssou Ndour qui a vu le siège de son groupe de presse attaqué a lui aussi appelé au calme à une jeunesse, ” sa jeunesse”. D’autres, plus actifs, ont chanté. Ils sont une bonne mesure pour le climat social. En ces périodes incertaines, ils sont nombreux à se singulariser.

Les rappeurs par essence contestataires sont dans la place. Dip Doundou Guiss a été le premier à s’engouffrer dans la brèche “free Sénégal”, du nom d’un hashtag devenu viral. L’artiste de Grand-Yoff, un quartier populeux de Dakar, a fait un procès sans complaisance de la politique de jeunesse du président de la République et a dénoncé avec vigueur les morts notés depuis le 3 mars 2021. Tout en demandant au trio Idy, Macky, Niasse de “dégager”.

« Positive Black Soul » (Pbs), a vivement participé au débat. A sa manière. Dans un single au texte profond, il fustige la violence et s’érige en “conseiller” de jeunes désabusés.

Canabasse est dans le fond dans “khex you bess” (nouveaux combats). Histoire d’expliquer que nos gouvernants sont en retard car d’autres batailles, d’autres combats devraient nous préoccuper en lieu et place du surplace. Il évoque le Capitaine chargé de l’enquête relative aux accusations de viols contre Ousmane Sonko démissionnaire et le juge Mamadou Seck qui s’est désisté pour “convenances personnelles”.

Que de morts, dénonce Canabass avec de fortes images de jeunes en furie et déterminés. Que d’espoirs trahis, ajoute le chanteur qui s’en prend à certains “journalistes achetés” et au Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Jah Man Xpress n’est pas en reste. Lui aussi a jugé nécessaire d’user de son inspiration pour s’insurger contre le pouvoir et surtout contre le chef de l’État.

Passé-présent

Dans un passé pas très lointain, les rappeurs du groupe “Keur gui” ont été les premiers à scander : “diogou fi” du nom de leur opus réquisitoire. “Mêmes chiens, mêmes chats”, avaient crié Kilifeu et Thiaat, les deux membres de ce groupe, membres de Y en a marre et originaires de Kaolack.

Les artistes ont donc pris le pouls du pays. Ils sont sans doute conscients qu’une lecture biaisée du 23 juin 2011 est à l’origine des événements de mars 2021. En 2011, le peuple, les jeunes, déterminés, déçus, oubliés, négligés chantaient avec rage l’hymne national et le chant du refus : “Nous disons non”.  C’était le début de la fin pour Wade. Hélas, l’histoire s’est répétée. Macky doit les écouter attentivement et prendre les bonnes résolutions.

Macky doit changer d’acteurs

Au-delà des mesures fortes attendues relatives à la bonne gouvernance, à l’indépendance de la justice, au réajustement des relations avec le peuple, Macky Sall doit changer les acteurs de sa communication. Surtout ceux qui sont visibles. Certaines têtes ne passent plus à la télé. Certaines voix ne portent plus. Leurs messages passent difficilement. Ces gens doivent se taire. Aller à contre-courant de leur dirigeant, c’est étaler une arrogance repoussante. C’est ne pas rendre service au chef de l’État garant de la sécurité nationale et à tous ceux qui prônent la sérénité. Ils risquent de maintenir la flamme de la colère. La flamme n’est pas encore éteinte. Les arrestations se poursuivent.  Le feu couve.

Et la Covid-19 ? Les cas sont là. La mort est là. Les vaccins sont presque oubliés. La communication déployée contre cette pandémie a été boiteuse.  La crise actuelle l’a mise à l’eau. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge.

Nous vivons une situation anxiogène. Les appels au calme, les discours responsables du président de la République et du leader de Pastef, la compréhension affichée par les manifestants ont baissé la tension. Mais ils n’ont pas pour autant réglé le problème. La situation reste très tendue. Pas encore de paix définitive même si l’on s’éloigne des violences et de leurs lots de méfaits.

 Le chef de l’État qui a montré des dispositions tendant à décrisper les choses devrait pouvoir poursuivre sa démarche apaisante.

Le Devoir