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Politique et stratégie de communication: De plus simples expressions pour ‘’manipuler’’ ou ‘’réduire ‘’? Dirigé par Chérifa Sadany Ibou Daba SOW

Marketer, Communiquant et Analyste politique, Amadou Djigo trouve utile de percer le mystère autour de la stratégie de communication des leaders politiques. Selon lui, ces leaders font évoluer la perception de certains Sénégalais sur la réalité politique en se basant sur des stratégies de communication bien huilées. Les points essentiels sont développés au cours de cet entretien.

Monsieur Djigo, pouvez-vous nous dire comment vous décryptez les mécanismes rhétoriques des leaders politiques sénégalais ? Et surtout comment selon vous les Sénégalais sont-ils censé y résister ?

Cette question est d’une grande importance. Pour moi, si on veut résister à certaines techniques rhétoriques utilisées dans le champ politique, il nous faut au moins que chacun d’entre nous puisse les reconnaitre. Prenons quelques exemples. Certains hommes politiques sont devenus populaires du jour au lendemain. C’est grâce à des stratégies qui utilisent nos biais cognitifs comme l’effet de simple exposition et la rhétorique du martèlement. Vous savez, l’effet de simple exposition qui est un biais cognitif qui se caractérise par une augmentation de la probabilité d’avoir un sentiment positif envers quelqu’un ou quelque chose par la simple exposition répétée à cette personne ou cet objet. Il a été décrit par Robert Zajonc grâce à une expérience où des mots sans signification présentés comme turcs, étaient exposés à des sujets entre 1 et 25 fois. Les mots présentés plus souvent ont été jugés comme ayant un sens plus positif que les mots présentés rarement. La rhétorique du martèlement ! Entre 2019 et 2020, Ousmane Sonko était qualifié de cohérent, pertinent et constant. Ses positions ayant changé et évolué, on l’appelle maintenant “Mou Sell Mi” et ils font tout pour présenter cette idée préconçue pour vous.

Cohérent, pertinent, etc ont disparu des radars et presque toutes les photos comme celles que vous voyez en ce moment ont été retirées parce qu’il est devenu presque impossible à présenter comme cohérent et constant.

Donc aux Sénégalais, pour résister face à l’effet de simple exposition et à la rhétorique du martèlement, l’une des options qu’ils ont, c’est de se demander pourquoi le choix de ces mots. En effet, les mots choisis ne le sont pas au hasard. Ils sont généralement utilisés comme cache-bazard. Il faut donc soulever le tapis pour voir beaucoup de poussières.

Les citoyens doivent-ils alors rester sensibles aux effets langagiers du discours politiques ? Comment feront-ils pour y résister ?

Absolument !

Cette question me permet, par exempe, de parler du sophisme de l’homme de paille. Voyez ça ! un Peulh qui soutient le président actuel, c’est du “neddo ko bandoum” ; un jeune qui soutient Bougane, c’est quelqu’un d’inintelligent, celui qui dit que dans l’affaire Adji Sarr on doit connaître les tenants et les aboutissants est un comploteur, un vendu ou payé par Macky Sall. En effet, le sophisme de l’homme de paille, très courant, est le fruit médiocre d’une manifeste malhonnêteté intellectuelle. Il consiste en effet, à attribuer des idées ou des paroles (purement inventées) à ceux ou à celles que l’on veut dénigrer. Les idées et les paroles en question étant bien entendu choisies pour être facilement critiquées.

Le faux dilemme est un autre exemple. Il consiste à forcer deux options. Pour certains par exemple, on dirait que la seule alternative à Macky, c’est Sonko ; or nous avons du Bougane, du Khalifa, du Barthélémy, du Karim ou même vous. Toutes ces personnes sont aussi des alternatives et tant d’autres même.

L’objectif de ces stratégies, c’est de proposer au cerveau une solution toute faite afin de l’accompagner dans son processus de réflexion. Comment y résister ? Je dirais que face à l’homme de paille et au faux dilemme, il faut se demander toujours pourquoi on veut vous forcer une seule alternative et pourquoi on veut déformer vos arguments. La raison est généralement simple, d’où l’incapacité de vous répondre.

Vous ne pensez pas que certains Sénégalais eux-mêmes ont choisi d’être manipulés, si manipulation y a ?

Choisi ??? Je ne crois pas. Mais il y a des gens qui acceptent de subir inconsciemment des techniques de manipulations. Prenons ces deux exemples. D’abord , la manipulation par la réactance qui est la théorie détaillée par Sharon Brehm et Jack Brehm en 1981 ; elle repose sur l’analyse du fait qu’un individu dont la liberté personnelle est réduite, supprimée ou menacée, aspire à vouloir retrouver une certaine marge de manœuvre. En d’autres termes, une trop grande contrainte sur cet individu peut le pousser à se comporter à l’opposé de l’objet de la contrainte, quand bien même cette contrainte était au départ cohérente avec son attitude.

Par exemple, pendant la période de couvre-feu, on voyait des jeunes sortir, défier l’autorité étatique car ils pensaient que nous développions des mesures dictatoriales.

Ensuite, la soumission librement consentie qui décrit la conséquence d’un procédé de persuasion qui conduit à donner l’impression aux individus concernés qu’ils sont les auteurs de certaines décisions. De cette manière, une personne pourrait ainsi modifier son comportement, ses objectifs et ses choix avec le sentiment d’être responsable de ces modifications. Par exemple, ceux qui disent : ” Je n’ai pas besoin de parler de Sonko ” et qui pourtant ont juste peur de recevoir des insultes et des attaques.

Ainsi, les deux techniques semblent contradictoires mais quand on les fusionne, on détient la technique ultime de manipulation. Tu affirmes partout que ton adversaire est un dictateur, antidémocrate, autoritaire qui s’attaque à notre liberté pour activer la réactance psychologique chez les citoyens. Et en même temps attaquer, insulter, menacer… toute personne qui émet une critique contre votre politique ou votre leader afin de les dissuader de recommencer grâce au levier de la soumission librement consentie. C’est juste diablement efficace. Parfois, la soumission et la servitude sont bien drapées. Et la politique ne doit pas être accompagnée par la peur de s’exprimer mais par l’espoir de pouvoir contribuer sans ressentir la menace d’une épée de Damoclès qui est juste souvent fictive.