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Pétrole 2.0 : En eaux troubles

Débat

Le pétrole en eaux troubles

Une mauvaise maîtrise des coûts et une défaillance dans la gestion synchrone des deux projets GTA et Sangomar expliqueraient les différents reports qui irritent aujourd’hui les Sénégalais et certains techniciens.
Après le Dr Momar Samb (Le Soleil n° 6093 du 24 janvier 2024, page 4), les spécialistes consultés par Le Devoir ne s’étonnent guère devant les manquements notés. Alors que LSS flotte vers le Sénégal.

J’ai lu l’article le 24 janvier du Dr Momar Samb, mon camarade de promotion. Je partage entièrement son avis quant à la «  gestion synchrone » des deux projets : GTA (gaz naturel + gaz naturel liquéfié) et Sangomar (pétrole brut).
Le financement des projets gaziers et pétroliers est très lourd ; les schémas de financement ne sont connus que par les acteurs alors que les ressources naturelles appartiennent au peuple (article 25-1 de la Constitution). Le problème de l’audit des coûts gaziers (coûts pétroliers également à réaliser) devait tôt ou tard se poser. Il a été annoncé par les autorités. Il y a fort à parier que l’audit des coûts gaziers sera confié, suite à un appel d’offres, à un cabinet international.
J’avais recommandé dans une note rédigée au mois de décembre 2016 (il y a sept ans) que des experts sénégalais soient formés aux principes de gestion (analyse des coûts) du «  cost oil » ; rien n’a été fait ni au Sénégal ni, je crois, en Mauritanie.
« Gérer, c’est prévoir ».
La Mauritanie a déjà été confrontée à ces problèmes car elle a exploité le champ offshore de Chinguitti (pétrole brut) ; même si ce champ était de taille modeste, la Mauritanie a accumulé de l’expérience.
Par ailleurs, j’avais également recommandé la création d’un comité d’experts sénégalais qui serait placé sous l’autorité du parlement ; les députés, à une ou deux exceptions, élus par le peuple propriétaire des ressources naturelles, ne disposent pas de compétences distinctives (gaz et pétrole) qui leur permettent d’exercer un contrôle effectif. C’est un problème à résoudre.
Le débat devrait prospérer car les vingt candidats officiels à l’élection présidentielle du 25 février 2024 devront exposer les grandes lignes de leur future politique pétrolière et gazière.
La loi relative au contenu local est bonne dans son principe mais son application au secteur oil & gas ne sera pas simple car il aurait fallu associer lors de la rédaction du projet les experts du secteur.
Un vrai débat sur l’application de la loi relative au contenu local devrait être instauré et je pense que ce débat nous réserve bien des surprises.

J’ai lu ; il a raison sur l’audit des coûts : matériellement, cela va prendre du temps.
Tout ce temps depuis 2016, s’il était consacré à Cayar malgré la Covid, on aurait pu commencer la production depuis 2022.
Sur Gta, on a perdu le contenu local, du temps contre Cayar, et la production tarde à venir. C’est sur ce contexte que le Sénégal avait une marge de manœuvre pour choisir de privilégier Cayar qui donne le double de la production de Gta, sans compter tout le contenu local capté à 100%.
Sur le plan obligations, le Sénégal devait faire poursuivre les travaux de Sangomar, on y avait intérêt, et sur Gta, on avait le même opérateur que sur Cayar ; un moment, il y a eu des négociations avec la Mauritanie pour le partage. Ça a pris 2 ans avant l’accord ; pendant ce temps, le projet de Cayar était laissé en rade. L’erreur stratégique, c’était de privilégier Gts sur Yakar Teranga de Cayar.

Pendant ce temps, LSS flotte

L’Unité flottante de Production, de Stockage et de Déchargement, (Fpso) “Léopold Sédar Senghor” du projet Sangomar a quitté le chantier naval de Seatrium à Singapour le vendredi 22 décembre 2023 et fait cap sur les eaux sénégalaises ; elle est attendue attendue en février 2024, peut-être un peu avant la Présidentielle, pour être présentée comme un trophée de guerre.
Il s’agit de l’unité flottante (Fnlg) qui permettra de transformer le gaz naturel après traitement (Fpso) en gaz naturel liquéfié.
BP qui est l’opérateur de la JV (site de production GTA) aurait dû prendre le temps, dans son communiqué, d’expliquer aux Mauritaniens et aux Sénégalais pourquoi la mise en place de l’unité flottante Flng précède le positionnement sur site du Fpso destiné à stocker le gaz naturel extrait du champ et à le traiter.
L’unité flottante a été réceptionnée par l’opérateur mais les réserves émises ne pourront être levées qu’après la mise en service de l’unité et les tests qui seront effectués sur site.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette unité industrielle.
Il faut comprendre et surtout expliquer aux Mauritaniens et aux Sénégalais que nous serons en présence de deux activités qui vont coexister sur le même site :
1- une activité d’extraction et de stockage du gaz naturel ;

2- une activité industrielle (transformation du gaz naturel en gaz naturel liquéfié).
J’insiste depuis au moins trois ans (2021) sur la nécessité d’écrire toutes les procédures douanières liées aux deux activités. Et rappeler que les procédures douanières appliquées en Mauritanie sont certainement différentes des procédures douanières appliquées au Sénégal.
Dans le cadre de la gestion commune des ressources du site de GTA, les deux administrations douanières (Sénégal et Mauritanie) ont certainement retenu des procédures faisant « consensus ».
Les deux États doivent exposer clairement les règles de gestion administrative (gestion douanière) qui seront appliquées dès le démarrage de la production.
Les douanes mauritaniennes ont eu le temps d’expérimenter et de tester leurs procédures car le champ de Chinguitti (extraction de pétrole brut) est un champ offshore qui a vu son exploitation démarrer il y a quelques années. De ce point de vue, le Sénégal devrait pouvoir bénéficier de l’expérience mauritanienne.
Toutes ces questions auraient dû être traitées et réglées avant l’arrivée du Fpso, du Fnlg et du démarrage de la production de gaz naturel et de sa transformation.