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Passé-présent: Major Taylor, premier athlète noir de la planète Par Hugo FONSÉCA

Le premier roi de la petite reine s’est éteint dans la pauvreté, la solitude et l’anonymat le plus complet

Savez-vous quel était le sport le plus populaire dans les années 1890 aux Etats-Unis ? Le baseball ? Le basketball peut-être ? La course ? Non, cette fin de siècle marque l’âge d’or du cyclisme. La bicyclette vient de naître, plus confortable que ses ancêtres. Et tout le monde en veut une pour partir travailler cheveux et robes aux vents les jours de beau temps. Le but ? Avaler les kilomètres bien plus vite qu’en marchant et même battre de nouveaux records ! Et à cette époque là, Marshall Walter Taylor a 12 ans quand il reçoit son premier vélo. Un cadeau qui va changer sa vie…qui va cependant s’éteindre dans la pauvreté, la solitude et l’anonymat le plus complet.

Par : Hugo FONSÉCA,

frcyclingheros.com

10 mai 2020

Major Taylor est le plus grand cycliste de son temps, mais voilà : il est noir. Et à la fin du 19ème siècle, pour être noir et réussir dans l’Amérique ségrégationniste, il faut être sacrément fort. Récit d’une vie où la quiétude a longtemps dominé la haine.

Major Taylor premier cycliste professionnel noir sportif athlète

Le 21 juin 1932, le service de charité du Cook County Hospital du quartier de Bronzeville à Chicago voit s’éteindre dans la pauvreté, la solitude et l’anonymat le plus complet un homme qui était devenu quelques années auparavant la première grande star internationale de l’histoire du sport : Marshall Walter Taylor, plus connu sous le nom de Major Taylor. Une situation bien étrange pour un homme à l’histoire grandiose, rattrapée sur la fin par une condition que l’Amérique blanche voulait voir collée à la peau des Noirs, celle de la pauvreté et de l’invisibilité. Pourtant, Marshall Taylor avait su, tout au long de sa carrière sportive, imposer aux autres la grandeur de sa personne.

Né en 1878, soit 13 ans après la fin de la guerre de Sécession, Marshall Taylor grandit dans l’Indiana que ses parents avaient rejoint pour fuir le Kentucky où sévissait le Ku Klux Klan. Après que la famille qui employait son père lui a offert son premier vélo, il montre très vite de belles dispositions pour le cyclisme. Son aisance lui vaut d’ailleurs d’être repéré par un vendeur de cycles d’Indianapolis, Tom Hay, qui lui propose de l’employer pour nettoyer et faire des démonstrations devant son magasin. Affublé d’une tunique militaire qui lui vaut le surnom de « Major », ses pirouettes plaisent et lui valent une petite renommée. Le phénomène « Major Taylor » est né.

Religion contre discrimination

En grandissant à Indianapolis, Major Taylor ne connaît pas la terreur des crimes raciaux du sud des États-Unis (entre 1890 et 1900, plus de 1.200 Afro-américains y sont pendus, ndlr), mais il souffre tout de même largement d’une discrimination omniprésente dans le pays. De celle-ci, Major Taylor garde une forte conscience de sa condition, et poursuit l’obsession de devenir l’égal des Blancs. C’est un autre vendeur de cycles, Birdie Munger, qui va lui permettre de montrer qu’il l’est bel et bien. Ancien coureur de renom, il l’entraîne et parvient à faire accepter qu’il participe aux compétitions organisées par la fédération nationale. C’est donc grâce à lui, mais surtout grâce à un entraînement militaire et un talent hors-norme, que Major Taylor peut participer à sa première course en 1895. Seul Noir à prendre le départ, une partie du public le prend en grippe et le surprend au détour d’un virage en lui balançant un seau d’eau glacée sur la tête. Le choc thermique lui fait perdre conscience et la course en même temps. Mais Major Taylor n’en a que faire, il reste digne, calme, continue à bosser et à prier, persuadé que la bonté est plus forte que la haine. Quand on ne lui met pas de bâtons dans les roues, « Major » écrase la concurrence et survole le championnat des États-Unis. Malgré sa supériorité, il est interdit de courir dans les principales villes du Sud du pays, ce que son manager Brady entend parfaitement : « Bien sûr, je comprends que ce soit humiliant qu’un garçon de couleur remporte la course »,  écrit-il aux promoteurs sudistes.

Dans le Sud, mais aussi ailleurs, Major Taylor n’a jamais fini de se battre contre la haine : dans le New Jersey, il reçoit des menaces de mort à quelques instants du début d’une course et décide de rester dans le vestiaire. Cela ne suffit cependant pas à calmer ses adversaires qui le pourchassent pour lui faire la peau, dont Becker, un de ses plus grands rivaux : « Taylor m’inspire la même rage que celle que ressentait mon grand-père quand il fouettait ses esclaves », expliqua-t-il à la presse après avoir tenté de l’étrangler.

Star internationale, envers et contre tout

Nous sommes à la fin du 19ème siècle, et les mentalités sont encore profondément marquées par l’esclavage, aux États-Unis, certes, mais aussi ailleurs. Lorsqu’il gagne l’épreuve de sprint sur 1 mile des championnats du monde de 1899 à Montréal, il est copieusement sifflé par le public. Mais là encore, Major ne voit et n’entend que ce qui lui importe : « Je ne me suis jamais senti aussi Américain qu’au moment d’entendre l’hymne sur le podium », écrit-il des années plus tard dans ses mémoires. Et à force de faire fi de ses opposants, et surtout à force de victoires comme celle-ci, Major Taylor parvient à faire oublier sa couleur de peau. Il est invité partout, son talent n’ayant pas d’égal sur la planète. À l’époque, les courses cyclistes ont les faveurs des parieurs et l’argent coule à flots dans les vélodromes. Alors Major empoche sa part du gâteau, et la foule qui adorait le détester l’acclame désormais. Il est affiché partout, affublé de surnoms douteux tels que « cyclone noir » ou « Nègre volant », et va même jusqu’à être sponsorisé par le magnat du pneu John Dunlop. Véritable star internationale, il parcourt la planète pour affronter les grands champions des autres pays, en France, Belgique, Danemark ou Australie.

Fréquemment interrogé sur sa condition de Noir lors de ses voyages en Europe, Major Taylor fait attention à ne pas choquer et à ne surtout pas se mettre les Blancs à dos. Il garde un discours pacifiste, persuadé que la meilleure façon de lutter contre le racisme est de prouver que les Noirs sont l’égal des Blancs au travers de leurs actions et de leurs réussites. En d’autres termes, prendre exemple sur lui. Pendant ces années de voyage et de promotion, Major Taylor devient le sportif le mieux payé au monde et assure à sa famille un train de vie plus que confortable. Cette période faste de sa vie durera une dizaine d’années, jusqu’en 1910 où, à l’âge de 32 ans, il décide d’arrêter une carrière épuisante et de rentrer aux États-Unis.

L’histoire pourrait se terminer ici mais, habitué aux fastes d’un train de vie luxueux et à gâter sa famille, Major Taylor se lance sans rien n’y connaître dans l’industrie du pneu. Il investit une grande partie de sa fortune dans l’aventure mais n’y connaît pas le succès qu’il avait rencontré sur les pistes cyclistes. Rapidement relégué au rang de vieux phénomène un peu ringard, Major Taylor ne parvient pas à conserver son statut d’icône et perd progressivement de sa superbe. Il s’enferme dans le silence, s’éloigne de sa femme et ne parvient pas à enrayer son déclin. Vivant désormais seul, il investit ses dernières économies dans la publication de son autobiographie, The Fastest Bicycle Rider in the World. Celle-ci sort en 1928 mais, là encore, tourne à l’échec, ultime preuve que ses exploits sont bel et bien oubliés.

Après le krach boursier de 1929, la Grande Dépression s’installe dans tout le pays et Major Taylor ne devient qu’un inconnu parmi d’autres dans un foyer pour chômeurs de Chicago. C’est là qu’il meurt, suite à une crise cardiaque, dans l’indifférence générale. L’Histoire aura su redonner à Major Taylor la place qu’il mérite d’occuper dans le panthéon du sport mondial, celle du premier grand sportif de la planète. Tout simplement.

 

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Avec

Bababam

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