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Parrainage: Une ruse discriminatoire pour un 3ème mandat De notre correspondant en France, Séga Fall MBODJI

Le parrainage est une belle initiative à saluer et ne doit pas être supprimé ; cependant, la vérification de la conformité de la signature du parrain et la gestion des cas de doublons sont discriminatoires et tendent le piège d’un troisième mandat.

Au Sénégal, la préparation des élections est toujours source de polémiques entre les différents partis politiques d’une part, les citoyens d’autre part. Puisque le nombre de candidats est élevé à chaque élection, notamment lors de la présidentielle de février 2019, le chef de l’Etat a mis en place un système de parrainage pour limiter ce nombre. Cette initiative était appréciable, mais n’était-elle pas une stratégie pour éliminer le maximum de candidats potentiels ?

En ce moment, toute l’actualité sénégalaise est focalisée sur la tenue des élections locales et le respect du calendrier électoral. Si l’enchevêtrement des dates d’élection se poursuit à ce rythme, en plus de la ruse d’une politique politicienne à long terme, ces facteurs ne cesseront de bafouer les droits civiques de la Nation sénégalaise ; ce qui nous conduira inéluctablement à un 3ème mandat.

Quant à la faisabilité du parrainage, le Conseil Constitutionnel était chargé de la bienveillance de ce nouveau système invitant chaque candidat à la collecte de parrains. Concrètement, pour être candidat à la présidentielle de février 2019, il fallait être en mesure de réunir le parrainage de 0,8 à 1% du fichier électoral, c’est-à-dire 52.000 à 65.000 personnes, réparties dans au moins 7 régions différentes du pays. Pour des raisons de contrôle, chaque électeur devait décliner l’ensemble de son identité et fournir son numéro de carte d’électeur en sa possession. Le Conseil Constitutionnel s’était confronté à d’énormes difficultés sur deux questions essentielles : la vérification de la conformité de la signature du parrain et la gestion des cas de doublons. Celles-ci parmi tant d’autres avaient suscité l’inquiétude des électeurs et candidats à la candidature sur la transparence du parrainage.

Par conséquent, en tant que citoyen sénégalais, j’avais apporté ma contribution par la conception d’un logiciel de gestion transparente et efficiente afin de pouvoir apaiser le climat électoral. Mon exposé au Conseil Constitutionnel sur la présentation du logiciel s’inscrivit dans une suite logique de collaboration fructueuse pour mener à bien ce parrainage, même si ma proposition avait finalement été rejetée par le Conseil Constitutionnel.

Dans l’arène politique traversée par un vent du désert, une confusion s’installa à travers l’interprétabilité des textes régissant le parrainage. Ce fut une occasion pour moi de réfléchir rigoureusement sur l’applicabilité de chacun des points suivants :

  • Vérification de la conformité d’une signature : il est à noter que ‘conforme’ ne signifie pas ‘identique’. Jusqu’à ce jour, il n’existe aucun logiciel dans ce monde qui permet de vérifier la conformité de 2 signatures d’une même personne. Une solution alternative serait d’effectuer une comparaison à l’œil nu. Avec au plus 65.000 signatures par candidat, cette procédure devient trop complexe et coûteuse en temps de traitement. L’applicabilité de la signature reste donc un point bloquant ; d’où la nécessité de supprimer du parrainage la question des signatures.
  • La gestion des doublons : Si l’électeur E est présent dans plusieurs listes d’un candidat C, alors il est qualifié de ‘doublon interne’. Si l’électeur E octroie son parrainage aux candidats C1 et C2, alors il devient un ‘doublon externe’ pour C1 ou C2. Une fois le parrainage de l’électeur E validé pour un candidat, mon logiciel rejette automatiquement ses autres tentatives et lui associe un compteur mesurant ainsi son niveau de fraude par le cumul des tentatives.
  • Le nombre de chances d’échapper aux doublons est une fonction décroissante de l’ordre de passage pour le dépôt des fiches ou clés usb : plus le candidat tarde à déposer ses fiches au Conseil constitutionnel, plus il est pénalisé par les doublons. Pour pallier cet effet discriminatoire, j’avais donc proposé un système de traitement rotatif qui consiste à traiter de façon circulaire et pour chaque candidat, indépendamment de l’ordre de dépôt des fiches, un nombre fixé de parrains, 5.000 par exemple, jusqu’à recouvrir la totalité de ses fiches. Cela aurait permis une uniformisation des doublons sur l’ensemble des candidats et évité en conséquence les tensions le jour du dépôt des fiches.
  • Priorité selon l’ordre des dépôts : Si A parraine X en premier et que Y qui soit parrainé après par A dépose ses fiches avant X, alors serait-il juste que l’on accepte le parrainage de Y et rejette celui de X ? A ce stade, il est important de rappeler que les textes de lois n’ont pas eu le consentement de tous les citoyens sénégalais et doivent reposer sur le bon sens.
  • Identification unique du parrain : pour le contrôle et la validation des listes de parrains d’un candidat, il est pertinent et suffisant d’identifier de façon unique un parrain par les attributs suivants : Nom, Prénom, Numéro d’Identification Nationale (NIN) et Numéro d’Identification Electeur (NIE). Pour un parrain déjà traité, on lui associe les informations suivantes : date et heure de traitement, statut (validé, rejeté), commentaires (doublon interne/externe, identité non conforme, etc.), candidat choisi (masqué par secret du vote).
  • PV : à l’issue du traitement de l’ensemble des fiches d’un candidat, un PV lui est remis avec les détails suivants : département du candidat, nom du candidat, représentant du candidat lors du traitement, date et heure de traitement, nombre total de parrains, nombre total de parrains rejetés, nombre de doublons, nombre de parrains erronés (identité non conforme), nombre de parrains acceptés, statut de validation du parrainage.
  • Temps de traitement : les tests réalisés ont révélé que 10.000 parrains sont traités en moins de 5 minutes.

Le parrainage est une belle initiative à saluer et ne doit pas être supprimé. Le logiciel conçu pour la présidentielle de 2019 est toujours exploitable pour le bon déroulement des prochaines élections locales et législatives. Toutes les informations détaillées du logiciel garantissent une transparence du processus. Une meilleure maîtrise des litiges éventuels pouvant opposer certains candidats assure une stabilité politique du pays. Pour plus de transparence lors des élections à venir, nous pouvons dès maintenant anticiper sur le parrainage avec des modalités faisant l’unanimité au sein des candidats. Le logiciel est déjà prêt et je reste à la disposition de l’État du Sénégal.

Séga Fall MBODJI, Lille