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Mois de la femme-Magatte Diop, le nénuphar flamboyant malgré son handicap: Elle rampait pour aller au centre Propos recueillis par Khadidiatou GUÈYE Fall, Chef du Desk Société

La poliomyélite est passée par là et les béquilles ne supportaient pas son poids

On ne peut pas tout avoir dans la vie. Notre rencontre avec Magatte Diop Coulibaly donne l’exemple. Étant une femme à mobilité réduite, Magatte marque une grande différence avec les femmes dans la même situation : elle est coiffeuse, vendeuse, couturière pour ne pas susciter la compassion aux yeux des gens. La polio lui a arraché la mobilité des jambes très tôt. Elle rampait alors que ses béquilles n’arrivaient plus à supporter le poids de son corps. Une tragédie qu’elle accepte et vit entourée de sa famille. Magatte est le nénuphar qui clôt le mois des braves reines.

Parlez-nous de Magatte Diop.

Je m’appelle Magatte Diop. J’habite aux Parcelles assainies, unité 12. Je suis handicapée. Je suis couturière, coiffeuse et vendeuse parfois. Dans ma vie, la naissance de mon enfant est la chose qui m’a le plus marquée. Le décès de ma mère m’a beaucoup affectée. À l’époque, ma grande sœur m’a appelée tard dans la nuit pour m’annoncer la nouvelle, alors qu’il m’était impossible de me déplacer à cause de ma mobilité réduite.

Qu’est ce qui a été bouleversant dans votre vie ?

J’étais avec Siga Sèye Coulibaly à la Sicap Liberté 3 qui gérait le centre social. Je rampais pour y aller. C’est au niveau du centre que j’ai eu à avoir de l’aide avec le service social. Par la suite, j’ai reçu une intervention au niveau des jambes et de la taille. J’utilisais des béquilles mais mon poids pesait trop sur les béquilles qui ne pouvaient plus soutenir ma taille. C’est ainsi que je me suis retrouvée à arrêter les béquilles pour ramper.

Depuis quand avez-vous perdu la mobilité de vos jambes ?

Ça m’est arrivée quand j’avais 3 ans à travers la maladie qu’on appelle la poliomyélite. C’était un jour où mon père venait du travail. J’allais à sa rencontre quand mon papa a remarqué une anomalie sur ma démarche. Mes parents avaient commencé à m’amener chez les marabouts qui leur disaient tout le temps qu’il s’agissait de forces extérieures qui sont à l’origine de cette maladie. C’est un certain Thié Codou qui se trouve à Touba Toul qui leur a dit d’aller voir la médecine moderne. À l’époque, ils avaient de l’intervention chirurgicale ; donc ils avaient décidé de me laisser avec la maladie jusqu’à ce que je commence à ramper.

Comment vivez-vous votre handicap ?

Je la vis avec philosophie, sans stress ni souci. C’est un malheur qui est tombé sur moi et j’accepte la volonté divine. Je vis bien en société, surtout avec ma famille, sans le moindre geste de stigmatisation. Je fais tout ce qu’une femme doit faire dans la maison. Je maîtrise les tâches ménagères. Du côté de mon mari, j’essaie d’assurer mes devoirs de femme. Je vis dans une famille avec mes frères et leurs femmes et franchement ils soutiennent. Mon handicap, je ne le sens que quand je dois prendre les escaliers, qui n’ont pas de rampes. Le reste, je suis peinarde quand mes proches montrent du respect à mon égard.

Quelle est votre profession principale ? votre travail en parallèle ?

Je travaille sur plusieurs choses. La femme ne doit pas se limiter à une seule tâche. Elle doit avoir plusieurs travaux pour être indépendante. Parce que le cumul de fonctions ou un autre travail permet de satisfaire ses besoins, même si le travail principal ne fait pas de rentrées. Ceci aide beaucoup les femmes braves. Les femmes ne doivent pas baisser les bras et se décourager. J’ai commencé avec la coiffure. Je faisais des tresses depuis mon enfance et on me payait pour chaque commission. Et depuis, je ne cesse d’être sollicitée pour faire des tresses. Je suis aussi dans la broderie manuelle. Actuellement, je suis lancée dans la couture. J’ai cumulé toutes ces activités pour me préparer à certaines circonstances. D’autant plus que la vie est devenue très chère. Si on ne le fait pas, il sera très difficile de parvenir à joindre les deux bouts. En plus nous sommes des femmes qui vivons avec nos maris, nos enfants, donc avec des charges familiales. Nos maris veulent faire plus, mais les moyens ne sont pas là. Donc c’est à nous de faire un peu d’effort. Les femmes doivent se lever pour mener plusieurs activités à la fois ; en plus, ce n’est pas difficile de cumuler le ménage, la vente et la coiffure.

Pourquoi avoir porté votre choix sur ces métiers ?

J’ai choisi ces trois métiers parce qu’ils rapportent bien et la demande est là. Pour la coiffure, toutes les femmes se tressent. Elles renouvellent tout le temps leur coiffure pour se faire belles. Pour ce métier, je ne manque pas de clients.

En ce qui concerne la broderie, les gens l’aiment bien, de même que la couture qui est d’ailleurs très prisée par les filles qui ont abandonné très tôt l’école. Ces trois activités ne m’empêchent pas de mener un petit commerce dans le coin. Je fais tout ça pour ne pas rester les bras croisés puisque c’est de mon devoir d’apporter mon soutien à mon mari et de participer aux dépenses quotidiennes. Il suffit juste de ne pas désespérer.

Je me suis lancée dans la couture parce que parfois je supporte mal la position assise. C’est de faire des tresses des personnes qui te payent normalement. Les revenus de la coiffure ne permettent pas de faire certaines dépenses. C’est pourquoi je mise plus sur la couture. En plus, les femmes aiment les créations qu’offre la broderie faite à la main. Je suis plus sur la couture avec la broderie.

La couture est une passion pour moi. Je l’aime beaucoup. Depuis toute petite alors que j’habitais à Usine Niary Tally, aux temps de Abdou Diouf, on avait proposé aux femmes mendiantes de quitter les rues. À l’époque, j’évoluais dans la coiffure.

Une personne envoyée pour les enquêtes est venue me trouver en train de coiffer une cliente. Elle m’a aussitôt complimentée et encouragée. Donc je n’ai jamais accepté de quémander dans les rues. Dieu ne m’a pas tout donné certes mais je lui rends grâce. Je suis passée par un centre mais malheureusement je n’y ai pas duré.

Je ne veux dépendre de personne. Et ceci me pousse à travailler d’arrache-pied. Je ne veux en aucun cas mendier dans les rues. Toutes les femmes à mobilité réduite doivent avoir un travail décent. Voilà ce qui me motive, le fait de vouloir satisfaire tous mes besoins sans cumuler des dettes et ne pas dépendre des autres. Je suis mère de famille et cela fait partie de mes devoirs de soutenir mes enfants. Je reçois beaucoup de commandes. Parfois aussi, je reçois des commandes pour la fin du mois. Certains des clients n’honorent pas leur promesse à la fin du mois. Mais on reste tolérant car chaque métier a ses inconvénients.

Selon vous, en quoi consiste la journée du 08 mars et quel en est l’impact ?

Le 08 mars est pour les femmes une journée de revendication des droits de la femme. C’est une occasion pour nous de montrer notre valeur et notre importance sur la société. Je suis contre les femmes dépendantes, qui se lèvent tard. Chaque jour est un 8 mars pour nous. Les femmes doivent se réveiller

Impact

En tant que femme, et selon vos domaines d’activité, qu’attendez-vous de l’Etat pour cette journée de revendication ?

Les femmes doivent redoubler d’efforts. Nous devons croire en nous et persévérer dans notre travail. Savoir où elles veulent aller avec leur travail. La journée devait avoir un impact positif sur notre vie en tant que femme. Après chaque journée de la femme, nous devons sentir des changements dans le cadre du travail. Mais ce qu’on constate, c’est tout le contraire : des applaudissements, de la danse, du folklore sont des choses à bannir durant la journée.

Nous ne devons pas attendre que l’État vienne nous aider. Nous devons y aller avec nos propres moyens. Quitte à ce que l’Etat vienne nous rejoindre. Cela n’exclut pas le fait qu’on ait besoin de l’implication de l’État du Sénégal dans nos activités. On ne demande que des financements. Parfois le pourcentage qu’on ajoute au financement est excessif par rapport à nos revenus. L’État doit tenir compte de cela pour nous venir en aide

Que conseillez-vous aux femmes de manière générale ?

Je leur demande de chercher du travail quoi qu’elles puissent faire pour gagner de l’argent ; je conseille d’aller de l’avant car on n’a plus de temps à perdre : c’est le travail qui paye. Ne sous-estimons aucun boulot. Moi-même je suis en train d’aider des gens en leur proposant des métiers, je leur conseille de n’attendre personne. Nous voulons aussi des conditions favorables pour notre association. Nous avons créé notre association et nous voulons un lieu fixe pour la rencontre des membres parce qu’en réalité nous n’avons pas ça. Alors qu’un siège fait partie de nos projets du moment. Actuellement il y a quelqu’un qui travaille avec moi. Si on avait un lieu de rencontre, ça nous faciliterait la tâche et nous permettrait de nous entre-aider en tant que femmes.