Migration clandestine : Une botte dégressive
Migration clandestine
Coups de pioche
aux jeunes africains
Entre 2004 et 2009, les statistiques de la Croix-Rouge espagnole ont révélé avoir enregistré l’arrivée de 119.806 migrants en provenance du Maroc, d’Algérie, du Sénégal, du Nigéria, de la Guinée Equatoriale, du Mali et de la Gambie, ainsi que des pertes en vies humaines à hauteur de 7.903 personnes, en plus des morts par inanition enregistrées dans les déserts de l’Algérie, du Sahara, de la Mauritanie et de la Libye.
On chasse le drame, il revient au galop. La migration clandestine ou irrégulière est une botte dégressive qui vient au rempart des jeunes à tout moment. Elle se montre principalement sur deux pistes : les voies terrestres et le grand bleu. Des chemins aux obstacles périlleux laissent derrière eux des hécatombes d’une effroyable écœurante.
Comment en est-on arrivé à ce point ? Quelles sont les réponses des autorités politiques et étatiques du continent africain et des partenaires concernés ?
Naturellement, la mobilité des hommes est aussi vieille que le monde. Les peuples, quelle que soit leur origine, ont connu différentes formes migratoires : régulière, irrégulière, légale ou illégale ; c’est selon les cas. Et cela a servi au peuplement du monde.
En vérité, reconnaissons en l’homme sa faculté d’adaptation, son esprit de créativité qui lui a permis de façonner le milieu et d’y évoluer en toute circonstance. Mais l’évolution exponentielle de la migration a placé le sujet parmi les questions les plus pressantes quiagitent le monde du XXIème siècle, car en 2007, on estimait à 200 Millions le nombre de migrants dont 13 Millions de réfugiés vivent en dehors de leur pays de naissance. A ce rythme, cela induit que un sur 35 dans le monde est un migrant.
La mondialisation aux conséquences bouleversantes avec ses flux rocambolesques (flux d’informations, flux migratoire, flux de marchandises et de biens matériels) auxquels viennent s’ajouter l’uniformisation de l’économie et des cultures facilite le rapprochement des hommes. Dans ce contexte, les barrières techniques et linguistiques sont levées, les frontières ne sont que des facettes devant le besoin de vouloir vivre ensemble.
Rapidement, les pays du sud (Afrique, Asie) frappés par les mesures drastiques de stabilisation et d’ajustement structurel de l’économie impériale imposées par les institutions de Breton Woods, à savoir FMI et Banque mondiale, se sont mêlés au fléau à un rythme cadencé avec une certaine forme aux antipodes des normes de voyage, aux comportements suicidaires en utilisant des barques de fortune pour traverser l’Atlantique et la Méditerranée dans des conditions dramatiques qui rappellent ce voyage triangulaire des temps anciens dont on ne saurait dire le nom .
Dépitée par ce fléau nouveau des temps modernes avec ses lots de morts, l’intelligentsia sénégalaise s’est élevée pour condamner vivement ce phénomène en apposant le terme de clandestinité à cette forme de migration suicidaire, d’où son appellation de migration clandestine : donc le concept est typiquement sénégalais.
Cette nouvelle donne qui bouleverse le système migratoire en Afrique qui était bâti jusque-là sur un mouvement circulaire de migrants. Cette migration circulaire traduit une certaine forme de relations d’intérêts entre les différents pays de la région. L’énorme contraste de développement relatif à l’accroissement du taux démographique opposé à une faiblesse notoire de la courbe de croissance a beaucoup pesé sur les économies des Etas du Sud. Le vaste continent africain est de ce fait assailli par les phénomènes nouveaux : migration clandestine, le terrorisme, les fléaux endémiques, les catastrophes naturelles, etc.
CARACTERE SUICIDAIRE
A l’orée du 21ème Siècle, la migration circulaire a connu ses limites ; ainsi on observe une nouvelle tournure : il s’agit de la migration clandestine ou irrégulière obstinément destinée à regagner l’Europe.
Celle-ci a pris subitement de l’ampleur dans certaines contrées africaines avant de se généraliser. Elle se singularise par son caractère suicidaire, entraînant un nombre exponentiel d’êtres humains dans le système. Le Sénégal, du fait de sa position stratégique sur l’Océan Atlantique, plaque tournante de la migration clandestine en Afrique de l’ouest, désigne le projet pour « Barça ou Barsakh » (Barça pour dire Barcelone, Barsakh désignant le jour du dernier jugement dans l’islam). Les pays africains ne sont pas toujours prompts à affronter les fléaux, ils ne sont pas dotés de forteresses et ils ne sont non plus doués pour se prémunir des dangers. Le plus préoccupant pour ces jeunes nations est d’assurer la survie des populations. Les plus nanties sont souvent ankylosées dans des batailles pour la conquête du pouvoir sans le moindre recours à la démocratie ou aux pressantes questions de sous-développement. C’est le sauve qui peut. Les jeunes dans leur ensemble perdent espoir dans la recherche d’une meilleure condition de vie et du relèvement de leur bien-être. Les premières victimes de ce marasme économique sont les populations de pêcheurs, elles ont pour nom : Lébous, Nomincas, thioubalos (Sénégal, Gambie, Guinée), les Imraguems en Mauritanie, les Bozos au Burkina-Faso et au Niger et les agriculteurs. En somme, cette importante frange de la population africaine a subi les mesures drastiques de la politique d’ajustement structurel des années 90 ainsi que la dévaluation du franc CFA et les fameux accords de pêche avec l’Union Européenne et l’absence de politique de gestion de leurs ressources halieutiques.
Entre 2004 et 2009, les statistiques de la Croix-Rouge espagnole ont révélé avoir enregistré l’arrivée de 119.806 migrants en provenance du Maroc, d’Algérie, du Sénégal, du Nigéria, de la Guinée Equatoriale, du Mali et de la Gambie, ainsi que des pertes en vies humaines à hauteur de 7.903 personnes.
Un véritable drame qui ne cesse de s’alourdir, jusqu’au naufrage de Lampedusa du 03 octobre 2013 qui a fait plus de 366 morts, bilan macabre auquel viennent s’ajouter les nombreuses morts par inanition enregistrées dans les déserts de l’Algérie, du Sahara, de la Mauritanie et de la Libye.
Toute l’Afrique s’est embrasée. Le golfe d’Aden pour les pays de l’Est, les ressortissants des pays du Maghreb piqués par le printemps arabe et la destruction de la Libye après le décès de leur souverain en 2011 prennent d’assaut les chemins de l’eldorado. La migration clandestine a encore enregistré le drame le plus meurtrier de la méditerranée de ce 21ème siècle à Lampedusa à plus de 110 km de la côte libyenne avec plus de 800 naufragés le 19 avril 2015, une embarcation de plus de 900 migrants composés d’Asiatiques, de Somaliens, de Magrébins et de diverses autres nationalités africaines sous l’aveu impuissant des autorités politiques africaines.
La communauté internationale, au vu de la montée en puissance de la migration clandestine depuis 2015, par la voie diplomatique, pose des jalons assez timides qui ne semblent pas vaincre le combat. L’Union européenne qui mène les opérations n’a pas encore trouvé des interlocuteurs africains capables de faire face à la situation. Les mouvements groupés du Frontex sur la Méditerranée ont été toujours déjoués par les trafiquants soucieux de préserver leur avenir dans cette pratique à risque et bien entretenue.
Le fléau est devenu mondial : à l’instar des côtes africaines, la migration clandestine prend des proportions inquiétantes, il convient de la gérer avec plus de diplomatie. La concertation entre partenaires peut à coup sûr déboucher sur des solutions de coopération féconde et prospère. Il est d’une nécessité, de la part de nos gouvernants, d’être pro-actifs et de faire preuve de responsabilités pour engager la jeunesse africaine dans la prise de conscience des réalités du développement de nos terroirs. Cela passe forcément par la revalorisation de son capital humain en majorité de jeunes qui ne sauraient se comporter en éternels consommateurs.
Daouda DIOUSSE, consultant,
Spécialiste des questions migratoires
Auteur du sujet de recherche intitulé :
Le phénomène de la migration clandestine
au Sénégal et ses effets sur les relations internationales
Email : daoudadioussepop@yahoo.fr