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« Une ligne éditoriale très soixante huitarde, une approche iconoclaste sur fond de culture humaniste ».

Maternité africaine de Dakar : Souvenirs, souvenirs,…

Maternité africaine de Dakar

 

Adieu mon premier souvenir….

Plus de mères, plus de souvenirs, plus d’eau, l’eau

primordiale, la ” première eau ’’, celle de la poche

d’eau qui annonce la naissance…

 

J’ai perdu mon ” premier souvenir ” comme des milliers de Sénégalais, de Maliens, de Mauritaniens, de Nigériens, de Dahoméens, de Togolais, d’Ivoiriens, de Cap-Verdiens et de Gambiens…

Mais aussi comme toutes celles et tous ceux dont les mères qui les portaient étaient de passage à Dakar lorsque survint leur naissance, à la  “maternité africaine “, près de la mer…

C’était la nôtre, notre ”  maternité africaine’’,  notre point géographique originel , situé dans la presqu’île du Cap-Vert…

Un jour la presqu’île deviendra île…

La  “maternité africaine ’’ n’existe plus : son ” cœur marin ’’ a cessé de battre…

Plus de mères, plus de souvenirs, plus d’eau, l’eau primordiale, la ” première eau ’’, celle de la poche d’eau qui annonce la naissance…

Eau pour eau, homme, il est temps de choisir ton eau, la dernière, celle que tu connais si bien et que tu as versée sur des corps où l’âme s’était envolée, au ” bout du petit matin’’…

La  “maternité africaine ’’ de l’hôpital Aristide le Dantec a été ensevelie sous les décombres…

Qui l’eût cru ?

Les pierres, murs et toitures sont tombés…

Bombardements de Dakar comme au mois de septembre 1940 ?

Non, destruction matinale, on casse à l’aube, les oiseaux ne chanteront plus…

Cachalots, baleines, sirènes et les peuples de la mer qui vivent toujours à ” trois jets de fleurs ’’ de la  “maternité africaine ’’…

La mer a remplacé la mère…

La mer gardera, dans sa mémoire étendue, mon ” premier souvenir ’’ car la mère, premier gardien du souvenir de  toute naissance, est partie avant le ” désordre ’’ des pierres et la ” chute du sens de la vie ’’…

Les ” premiers cris ’’  enregistrés dans les enceintes de cette belle maternité n’existent plus…

Il est rare qu’une maternité soit dessinée comme on dessine une vie avec ses traits qui deviennent perspectives, beauté pure dessinée dans la pierre, ornements, frises, piliers, couleurs ocres, en un mot comme en cent : “ architecture soudano-sahélienne ’’…

La ” maternité africaine ’’ était un  ” patrimoine architectural ’’ de la capitale, Dakar…

Dakar, mer…

Dakar, terre…

Dakar, soleil

Dakar, mère…

Où est la mère ?

Où est la ” maternité africaine ’’, celle qui existait sur cette longue route qui mène vers tout ?…

Là-bas, derrière la mer, mon ” premier souvenir ’’ voyage désormais sur la ” crête des vagues ’’…

En partance, comme le vieux paquebot….

Larguez les amarres…

” Et je me suis assis sur la vague de ce fleuve lointain, gaufré de soleil vert…’’

Le poète Paul Eluard connaissait-il Dakar et la ” maternité africaine’’ ?

La naissance est d’abord un cri, le ” cri primal ’’ poussé par le nouveau-né, en direction du monde des vivants qu’il rejoint après des semaines de ” vie autre ’’ et de vie à l’intérieur d’une mère, celle grâce à qui la vie commence au grand jour de l’éternité…

Le ” premier cri ’’, acceptons-le définitivement, est une longue vibration…

Au ” premier cri ’’, l’homme ne pourra opposer que ‘” le dernier souffle ’’, une autre longue vibration…

Toutes celles et tous ceux qui sont nés là-bas, un jour ou une nuit, ont su quelques années après avoir ouvert les yeux qu’un autre espace existait non loin de ” là-bas ’’, où la naissance se transformait en son contraire….

Naître et mourir, la géographie ne sert plus seulement à faire la guerre ; dans la ville-capitale, la main de l’homme et son esprit ont relié la vie et la mort, ” un pont de douceur les relie…’’

Deux espaces au contenu diamétralement opposés, l’un comportant dialectiquement l’autre, ont existé sans jamais s’ignorer…

Nous avons appris à poser nos repères dans la ville…

Depuis quelques jours, la ” maternité africaine ’’ a été détruite et le deuxième espace est devenu orphelin…

Jamais de mémoire d’homme un espace contenant l’opposé de la vie n’est devenu orphelin car il y aurait alors une grosse contradiction dans les termes…

Si j’ai écrit ces quelques lignes tirées de l’ombre mais aussi de la lumière du grand soleil de Dakar, c’est pour dire avec des milliers de ” bébés devenus adultes…’’ toute ma tristesse de voir une ” pierre philosophale’ ’ détruite peut-être pour l’éternité…

Les architectes de la capitale écriront bientôt….

Après, nous irons dormir près de la mer et nous attendrons la ” re-naissance’’…

Vovo Bombyx

22/11/2022