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Mamadou Berthé, Architecte, Consultant International: « Il serait incongru de démolir le bâtiment du marché Sandaga pour ensuite le reconstruire »

Sandaga peut encore vivre deux siècles

L’architecte Mamadou Berthé s’oppose catégoriquement à la volonté de l’Etat du Sénégal de détruire avant de reconstruire le marché de Sangada. Ce consultant international, ayant travaillé avec l’Unesco sur toutes ces questions en tant que vice-président mondial du Conseil international des Cités monuments, estime qu’il est incongru de passer par cette étape car le bâtiment peut encore vivre plus de deux cents ans.

«Je pense que le bâtiment principal est un monument classé par rapport à des valeurs, par rapport à des critères de notion d’histoire, d’esthétique, de technique. Il y a une histoire culturelle de la ville de Dakar derrière. Parce qu’à côté du marché européen qu’était Kermel, on a créé un marché africain qui était Sandaga auquel on a voulu donner un caractère éminemment africain. En s’inspirant de l’architecture africaine des zones urbaines urbanisées, de la vallée du Niger notamment. C’est l’architecture sahélo-sahélienne qui a été suivie après par les édifices de la maternité de la Polyclinique, etc. Dans cette même mouvance, ils ont réalisé la capitale de Dakar dans un style plus ou moins byzantin avec des systèmes de la zone de Toumbouctou. C’est pour dire que, dans le cheminement de l’histoire, les toutes premières créations d’architecture d’inspiration soudano-sahélienne et africaine ont été réalisées à travers ces ouvrages-là.

L’autre histoire, c’est que Sandaga est une carte postale de Dakar et du Sénégal. Vous allez partout, on vous parle de Sandaga. Sandaga est devenu un symbole à travers cette carte postale dont je parlais qui reflète à la fois le bon vivre sénégalais, la Teranga dont il est devenu le symbole et qui concrétise aussi tout ce qu’il y avait comme envie. Vous savez, quand nos populations viennent en ville sans spécialisation, sans formation particulière, elles vont vers le secteur du commerce. Donc, il y a le secteur du commerce qui devient un vivier important sur tout cela et qui les intègre dans l’urbain.

Maintenant, il y a beaucoup à dire dans l’intégration, dans le secteur où ils évoluent. Mais, ce qu’il faut retenir, c’est qu’à partir des années 60-63, à peu près, quand l’excellent gouverneur de Dakar que nous avons eu à Dakar, Thierno Birahim Ndao, a pensé à trouver un lieu d’épanouissement pour ces populations autour du marché central, ce n’était pas dans l’idée d’étouffer ce marché. Mais, malheureusement, avec l’évolution, ces activités ont étouffé le marché et même le centre-ville.

Réorganisation

Donc, le problème qui se pose, c’est la réorganisation du tissu marchand. Le bâtiment historique ne souffre de rien du tout. Il a quelques bobos comme bâtiment d’un certain âge qu’il faut réparer et puis on évolue. Pour moi, ce n’est même pas imaginable de le démolir. C’est exclu. Quand j’entends certains parler de sa démolition, et le reconstruire à l’identique, je ne vois pas la raison pour laquelle on le ferait. Vous avez un tableau, une œuvre d’art qui remonte à 100 ans, on me dit oui, on va la démolir et la refaire. Vous voyez comme c’est incongru ?

Gâchis

Mais attendez, avant l’annonce des dix milliards Fcfa, ils avaient dit également 70 milliards Fcfa. Tout ça, il faudrait que vous en parliez. Vous voyez comme c’est incongru ? Une œuvre d’art qu’on va détruire, la refaire pour lui donner une seconde vie. Où est-ce que vous avez vu ça dans le monde ? Alors, quand je vois des gens que je respecte beaucoup, pour qui j’ai même beaucoup d’estime se tromper d’approche, avoir des vues d’esprit de cette sorte, ça me gêne beaucoup et ça m’indispose.  Et j’espère que tout le monde va revenir à cette façon ancienne que nous avions dans le processus de prise de décision consistant à se concerter et à aller vers ce qui apporte le plus. Et ce qui apporte le plus, c’est ce qui va faire le rayonnement de la ville de Dakar et du Sénégal à travers cet ouvrage restauré et non pas reconstruit. Il n’y a rien à reconstruire.

Le bâtiment tient bon 

Techniquement, le bâtiment tient très bien. Il vivra encore deux cents ans et même davantage si on le laisse en l’état. Donc, je ne vois pas pourquoi on devra le reconstruire. Je suis spécialiste de cette question ; je suis consultant international. J’ai travaillé très étroitement avec l’Unesco sur toutes ces questions en tant que vice-président mondial du Conseil international des Cités monuments. Donc, je suis un sachant. En l’espèce, franchement, je peux dire que ma parole vaut son pesant d’or. Mon point de vue également.

C’est la première fois que je vous dévoile tous ces aspects-là parce que, quand même, à un moment donné il faut qu’on se regarde dans les yeux et qu’on se dise la vérité. Ce bâtiment ne souffre de rien. Je vous garantis même l’inspection faite par la Direction de la protection civile. Elle a constaté que le bâtiment tient bon. Elle a constaté qu’il y de petits problèmes de gargouille, de petits problèmes d’eau, de clocher, de l’oxydation. Mais, ce sont des choses qu’on répare. Même au niveau des fondations, ce sont des choses qui se réparent.  Je viens de le faire à Saint-Louis. Des fondations abimées, on les répare et on avance. Ce n’est pas parce que la fondation est partiellement abîmée qu’on va détruire le bâtiment de manière intégrale. Non seulement, du point de vue économique, c’est un gâchis mais ça ne s’explique pas. Vous détruisez une œuvre d’art soit disant que vous allez la refaire. Dans ce cas, elle perd toute sa valeur. Or, ce bâtiment faire l’objet d’inspection du patrimoine mondial. Il y a des arguments qu’il faut mettre sur la table. C’est pourquoi il doit garder son authenticité, c’est-à-dire les techniques de construction, le langage architectural, les matériaux et tout ce qui va autour. Maintenant, les fonctions, c’est un bâtiment assez large».

Propos recueillis par Charles SENGHOR