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Macky face à la crise, Sonko devant ses responsabilités: Comment quitter la fausse route… Par Mame Gor NGOM, Rédaction centrale, Le Devoir

Une histoire de viol, une accusation, des atermoiements, une arrestation pour “troubles à l’ordre public”, des dégâts incommensurables. Des morts. 3, officiellement, ce samedi. Macky Sall traverse sa première grave crise, à peine un an après sa réélection. La gestion de cette affaire est approximative. Obligé de se ressaisir, que doit-il faire ? Quelle posture pour Ousmane Sonko l’opposant à l’origine de ces événements dramatiques inédits au Sénégal ? Réponses.

Ousmane Sonko en garde-à-vue depuis le mercredi 3  février 2021 pour “troubles à l’ordre public”, s’est vu décerner un “mandat d’amener”  pour faire face au Juge Samba Sall le 5 février. Initialement, il était prévu qu’il soit interrogé par Mamadou Seck du huitième cabinet qui s’est dessaisi “pour convenances personnelles” et “affaires familiales”, nous apprend-on. Il est clair que la pression inhérente aux violentes manifestations à Dakar et dans des  localités du pays avec  leurs lots de victimes n’est pas étrangère à une telle décision. Un mort à Bignona, un jeune de 20 ans atteint d’une balle. Un autre de 17 ans à Yeumbeul, dans la lointaine banlieue dakaroise. Lui aussi touché par un tir…ailleurs. Keur Massar a brûlé. Deux victimes retrouvées au lendemain de l’attaque d’un supermarché Auchan. La liste n’est peut-être pas exhaustive. Les dommages sont nombreux. Les dégâts collatéraux considérables. La tension est toujours vive.

Que faire ? 

La responsabilité des autorités au premier rang desquelles se trouve le président de la République est engagée. Macky Sall qui traverse sa première véritable grave crise depuis le début de son “règne” est dans l’obligation de prendre la mesure réelle des choses, pour trouver le chemin idéal de sortie….de crise. Celle qui est empruntée jusqu’ici n’est pas la bonne route. Car, s’il y a des manifestations aussi massives, des soutiens aussi massifs après l’interpellation d’un opposant gravement accusé de “viols répétitifs avec menaces de mort”, c’est qu’il y a des raisons qui vont au-delà du factuel.

Le pouvoir doit être capable de saisir le sens des ces événements inédits. Et ne surtout pas vouloir  vaille que vaille imputer ce déferlement, ce défoulement, au leader de Pastef. Ce serait  lui donner une force qu’il n’a certainement pas.  Ce serait montrer les failles des Renseignements généraux et d’une administration réputée très avertie si bien sûr la thèse d’une “coordination” des casses est prise au sérieux, comme le disent  à visage découvert certains responsables de l’Alliance pour la République (Apr), le parti présidentiel.

Diouf avait sa “jeunesse malsaine”, Macky et sa “jeunesse malfamée”

Qui sont les manifestants ?

Il y a en eux des militants de Pastef certes mais il y a beaucoup de profils qui renvoient l’image d’une jeunesse malfamée. Cette ruée  vers les grandes surfaces, qui “appartiennent aux Français” selon leur expression, cette volonté affichée et acharnée de goûter aux produits alimentaires et d’en emporter, illustrent à suffisance une situation précaire liée au manque de travail, de préoccupations sérieuses.

Avec cette conjoncture sanitaire, les choses se sont compliquées. Le couvre-feu qui perdure dans les régions de Dakar et de Thiès a fini de “tuer” l’économie du soir qui nourrissait une bonne partie de ces jeunes. Il a aussi anéanti leur épanouissement récréatif. Le rêve d’un ailleurs meilleur remisé par des contraintes objectives et des mesures drastiques, les voilà sans repères. L’affaire Sonko a servi pour une sédimentation des frustrations longtemps tues ou vite étouffées par l’État lors de la première vague de la pandémie de la Covid-19. Un trop qui déborde. Il se déverse aujourd’hui partout.  Si l’on a connu les émeutes de l’électricité sous Wade, aujourd’hui, on peut soutenir que ce qui se passe, ressemble, à  bien des égards,  à des “émeutes de la faim”. Abdou Diouf avait sa “jeunesse malsaine”, Macky Sall tient sa “jeunesse malfamée”.

L’on ne doit pas non plus passer sous silence le fait qu’en pareilles circonstances insurrectionnelles, chacun vient avec son agenda caché. A côté des casseurs, il y a de véritables brigands, des saboteurs. Pire : le Sénégal qui est entouré par un cercle de feu doit surveiller ses arrières pour éviter que le terrorisme qui aime si bien le désordre y trouve un terreau fertile.

“Macky-le-génie” à la place de “Macky-le-guerrier”

Que faire ?

Se ressaisir. La  seule option pour sauver ce qui peut encore l’être.  Faire revenir l’espoir, le Yakaar, mot fétiche de l’Alliance pour la République, à ses origines. Faire revenir la confiance, chasser l’arrogance et s’engager résolument à  servir.

Le mal est trop profond. Ne pas l’admettre, c’est donner raison à ceux pensent  que le pouvoir rend fou. Macky Sall en est capable. En ces moments de grave  crise, nous avons plus besoin de “Macky-le-génie” que de “Macky-le-guerrier” qui a pu terrasser Karim Wade et son génie de père, qui a  dominé Khalifa Sall, alors puissant maire de Dakar et dompté Idrissa Seck alors son principal opposant.

Sauver le Judiciaire…

Toutefois, il faudrait aussi que ce dossier de viol qui prend des tournures de “trouble à l’ordre public”, de “menaces à la sécurité de l’État et de tentative de déstabilisation” trouve une issue apaisante. La seule préoccupation est que l’image du  Judiciaire ne doit pas être écornée davantage même si de l’aveu même du président de la République, Dame Justice est sous la coupe de l’Exécutif.

Les accusations de viol qui paraissent peu soutenues si l’on se fie aux procès procès-verbaux de la gendarmerie pourraient ainsi être objectivement abandonnées. L’Etat qui a déjà indiqué que ce n’était qu’une affaire privée pourrait ne pas perdre la face. Du moins, c’est le moindre mal que de persister sur une issue incertaine.

Sonko et sa responsabilité historique

L’histoire des délits de troubles à l’ordre public est du classique qui pourrait être vite dépassé et enterré pour Sonko. Mais il va difficilement se départir de cette image de casseur, d’un homme politique qui a été à l’origine d’un déchaînement de violences inouïes de ses partisans pour le “protéger”, à la suite d’un appel retentissant à la résistance dès les premières heures de l’affaire qui l’oppose à la jeune masseuse de 20 ans Adji Raby Sarr.

Ousmane Sonko devrait  lui aussi jouer sa partition pour  calmer le jeu…violent, s’il est bien sûr dans les conditions pour le faire.

 Pour ce faire, une libération des “prisonniers politiques” serait un grand pas vers la décrispation.  L’opposition et la Société civile qui sont mobilisées au chevet du leader de Pastef arrivé troisième à la présidentielle de 2019 ont aussi un rôle à jouer. L’essentiel étant d’éviter de mettre de  l’huile sur un feu déjà incandescent.

Le Devoir