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L’Indépendance balle au pied: Mekloufi nékoufi

La folle épopée de l’équipe du FLN

Il y a 64 ans, plusieurs stars algériennes du championnat de France quittaient subitement l’Hexagone pour porter l’étendard de l’indépendance de l’Algérie.

“Neuf footballeurs algériens disparaissent “: le mardi 15 avril 1958, le journal L’Equipe fait sa Une sur la secrète “évasion” de vedettes du championnat de France, comme Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni, qui s’envolent pour former l’équipe du FLN et défendre balle au pied l’indépendance algérienne.

Leur départ – un choc pour l’opinion publique française – et leur aventure sportive jusqu’à l’indépendance ont constitué il y a trois ans le temps fort de l’exposition “Foot et monde arabe, la révolution du ballon rond”, organisée à Paris (10 avril-21 juillet à l’Institut du monde arabe).

Une trentaine de joueurs quittent la France

Le mouvement de libération algérien “avait besoin de représentants de la nouvelle génération. Nous étions des joueurs de 25 ans en plein boom. Nous étions des VRP, le football algérien c’était politique ! On a représenté le pays dignement”, sourit Dahmane Defnoun, 82 ans et les yeux qui pétillent devant les nombreuses archives exposées.

Au total, une trentaine de joueurs professionnels – les “fellaghas” du football comme les surnomme Paris Match – quittent la France entre 1958 et 1960 en quatre vagues, pour rejoindre Tunis où cette équipe du Front de libération nationale (FLN) s’est installée.

“On est parti comme ça, à l’aventure”

En catimini, leurs périples sont dignes de romans policiers. Refoulés une première fois, Jeanne et Saïd Hadad, l’un des joueurs-entraîneurs de l’équipe, retentent leur chance en décapotable Peugeot à la frontière italienne, prétextant un voyage de noces.

“Le douanier allait prendre le téléphone pour appeler la DST. Finalement, il raccroche et il dit : “Monsieur Hadad, je ne vous ai pas vu, circulez, dégagez !” On est parti comme ça, à l’aventure, on ne savait pas où aller, il fallait chercher le réseau”, se souvient Jeanne, très émue. A Rome, le couple finit par rejoindre des membres du gouvernement provisoire algérien à l’ambassade de Tunisie, puis trouvera le moyen de gagner Tunis.

Le drapeau algérien apparaît

Pendant que la guerre fait rage en Algérie, la sélection, non reconnue par la Fifa, s’envole pour des tournées dans des pays soutenant sa cause : satellites de l’Union soviétique, Nord-Vietnam, Chine, Irak… Entre deux matches, l’équipe, véritable outil de propagande du FLN, est reçue par les officiels.

“C’est une des premières fois que le drapeau algérien qui était interdit se lève sur les stades de foot, c’est l’un des plus grands exemples de politisation du sport”, souligne l’historien Stanislas Frenkiel, auteur d’une thèse sur le sujet.

Une vague de stupéfaction

“Il ne faut pas oublier que le FLN était considéré comme une organisation terroriste. Dans le mouvement sportif, il y a une vague de stupéfaction. La Ligue de football et la Fédération française vont très vite s’organiser pour suspendre les contrats des joueurs”, poursuit-il.

A Saint-Etienne, le départ de l’attaquant vedette Rachid Mekhloufi, international français, provoque la sidération. Le club de Monaco perd quant à lui cinq joueurs dont le défenseur Mustapha Zitouni, lui aussi prometteur talent des Bleus, qui disputeront sans eux la Coupe du monde 58, terminée à la 3e place.

“Pas du tout une haine de la France”

“Des coéquipiers qui avaient une certaine notoriété ont compris le geste que nous faisions, c’était un geste d’au revoir, parce que beaucoup, dès le lendemain de l’indépendance, sont revenus en France”, raconte l’ancien de Béziers et des Girondins Saïd Amara, canne au poing et veste élégante.

“Dans l’équipe du FLN, à peu près un joueur sur deux était marié à une Française. Ce n’était pas du tout une haine de la France, mais un rejet et une haine de l’oppression coloniale”, estime l’historien Stanislas Frenkiel. Une fois l’indépendance acquise, en 1962, “un joueur comme Mekhloufi reviendra à Saint-Etienne, après un passage au Servette de Genève”.

Le courage des épouses

Le chercheur insiste sur le “courage exceptionnel de leurs épouses. Souvent, elles s’étaient déjà brouillées avec leurs familles car elles épousaient un footballeur algérien et musulman. Puis elles ont tout quitté, à 20 ans”.

“Ça nous a chamboulés, j’ai laissé mes parents… Et se dire bon Dieu, on fait un truc bien, allez on fonce, on y va, on ne cherche pas à comprendre, on s’en va”, se souvient Jeanne Hadad, la gorge serrée.

“On a représenté un pays, un peuple”

“C’était beau ce qu’on a montré aux pays de l’Est qui ne savaient même pas situer l’Algérie. On a représenté un pays, un peuple. Quand ils les ont vus jouer… Ils ont fait des cartons là-bas à Moscou, à Prague, partout, partout !”.

Outre l’exposition, une bande dessinée retrace cette aventure : “Un maillot pour l’Algérie” (éditions Aire Équipe du Front de libération nationale de football, surnommée aussi le onze de l’indépendance, est une formation constituée principalement de joueurs professionnels qui évoluent en France métropolitaine avant de rejoindre le mouvement révolutionnaire pour l’indépendance de l’Algérie, le Front de libération nationale (FLN), et de l’aider en organisant entre autres des matchs de football.

L’équipe est fondée le 13 avril 1958. Le rôle de cette équipe est avant tout politique pour montrer aux Français de métropole que même des footballeurs professionnels s’impliquent dans cette cause, quitte à renoncer à leur statut. Les autorités françaises obtiennent facilement la non-reconnaissance de cette équipe par la FIFA. Malgré cette interdiction de jouer, l’équipe du FLN réalise une tournée mondiale d’environ quatre-vingts rencontres, notamment en Europe, en Asie et en Afrique. Ces matchs font connaître à travers le monde la cause algérienne et sa guerre d’indépendance. L’équipe cesse d’exister en 1962, laissant la place à l’équipe d’Algérie de football.

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16 avr. 2019, Le Dauphiné