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L’humeur de Habib KA: L’autre auto route sans payage Habib Ka, Bureau régional de Matam, Thilogne

Dans la fraîcheur de Ndakaaru Njaay, autour d’un ndogu copieux, entre membres d’une famille et invités, la télévision encastrée au mur, dévoile au grand jour nos secrets longtemps cachés : Matam, épicentre de l’insécurité alimentaire.

Un vocabulaire technique pour ne pas frustrer nos gens, mais en vérité la région est envahie par la famine, et, elle est coutumière de cette calamité. La publication des chiffres et statistiques alarmants, loin d’arranger les choses, nous assomme, bouches pantoises, sans argument.

Quand Ablaye, avec son franc-parler, disait à la grand’place que le Fouta mourrait de faim, toutes les voix s’étaient élevées.

– Gros menteur ! Comment peux-tu dire que nous ne mangeons pas à notre faim ?

– Voyez vous-même ! Un morceau de pain ” tappé-lappé “, une tasse de café le matin plus du riz aux “yaboy” au déjeuner, le dîner, “mbaxal-yaboy”, si ce n’est pas une tasse de bouillie. Est-ce que cela peut tenir un adulte bien portant ? Silence des interlocuteurs, puis il continue :

– De la malbouffe. Tout le monde est anémié, diabétique, tendu.

Puis, comme pour empirer l’atmosphère, nous tombent dans les oreilles les propos aigres de Macky Amadou conseillant à ceux qui ne peuvent se permettre des services du péage pour sa cherté, d’emprunter une autre voie.

Oui, monsieur notre Président, nous emprunterons encore cette autre route à payage, sans geindre, sans nous plaindre.

Cette route que nos grands-pères ont frayée, mains nues, au nom du Service du Travail obligatoire (STO) pour le compte des colons, ancêtres des Gérard Senac.

Ces services, au fond, étaient du travail forcé, parce que les indigènes ne le faisaient pas de gaieté de cœur : du lever au coucher du soleil, ils travaillaient comme des forçats ; et, s’ils se braquaient, ils recevaient une bonne correction de chicottes avant d’être enfermés nus, dans des cachots taillés sur des blocs de pierres. Ils faisaient proprement le boulot pour les explications qu’on leur donnait : ils contribuaient à un effort de guerre, celle qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique.

Notre président, nous avons toujours emprunté cette autre route sans payage. Elle a bordé mon village, vous aviez neuf ans, pour s’écarter du vôtre de cinq kilomètres. Elle est toujours là, abîmée, cahoteuse, enduite de latérite sur une distance de quarante kilomètres. Malgré tout, notre président, nous continuons de l’emprunter, dans le silence de nos patiences, dans l’acceptation de nos sorts, en dépit de cette chaleur torride qui pouvait nous acérer les nerfs.

C’est cette autre route sans payage, notre chemin. Celui où le citoyen compte sur ses propres forces, celui de l’espoir, de l’espérance, du bonheur de se défaire de la main tendue, de s’auto-faire, de s’affirmer, de brandir sa dignité, enfin reconquise.

Cette route sans payage, notre président, c’est elle qui vous a cajolé, dorloté, de Fatick à Kaolack, à Dakar, vous a donné le gîte et le couvert, vous a différencié de vos semblables, en faisant croiser votre chemin avec celui d’un certain Abdoulaye, devenu président, vous a projeté dans le paradis.

Vous pouviez, notre président, ne pas nous indiquer cette route, parce que nous la fréquentons tous les jours, tous les instants, au point que nous nous confondons avec elle. Cette route, c’est nous, notre président. Notre sueur, notre sang, nos champs, nos habitations, nos commerces, nos êtres, nos âmes.

Notre président, vous nous avez vendu votre Yaakaar, nous l’avons attendu, bras tendus au ciel, les pieds dans la gadoue de Keur Massar, Madina Gounass. Puis, vous nous avez fait comprendre qu’il y avait des Sénégalais dignes de circulez sur les routes de l’émergence, bâties sur les terres des déplacés, des expropriés injustement indemnisés. Route des colons aux cols blancs qui, par la magie de leur puissance de destruction, de déstabilisation, nous ont imposés leurs choix sur nos terres, nos sols et sous-sols, nos mers.

Cette route qu’empruntent chaque jour 50.000 automobiles. Faites le calcul, notre président, vous verrez que ces traités sont illégaux. On vous ristourne 800 millions sur 15 milliards et vous vous contentez du peu. Oserons-nous croire qu’avant, ils remettaient 1.000 francs cfa ?

Puisqu’il en est ainsi, notre président, devons-nous nous presser pour la mise en rail du Train express régional (TER), du Bus Rapid transit (BRT) dont les tickets pourraient nous coûter les yeux de la tête ?

Que deviendraient ces vanités de l’émergence si nous continuons d’emprunter l’autre route sans payage avec ses Dakar Dem Dikk (DDD), ses taxis-clandos, ses Ndiaga-Ndiaye, ses cars rapides, ses tricycles, ses motos jakartas, ses charrettes, ses mulets, ses ânes.

Ânes et chevaux, grelots de l’émergence au cou, trotteront allègrement vers Diamniado, sur l’autre route sans payage, cette route des gooroorlu et diek.