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Les Fous De Dieu : Une Passion Enflammée

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Les Fous de Dieu

La Flamme De La Passion

L’attente démesurée d’un lendemain meilleur qui tarde à se vérifier explique les vies consumées de ces trente dernières années, d’où le don de soi, quelle qu’en soit la forme qui n’a guère évolué dans le fond, au cours des  années

Par Pathé MBODJE,

Journaliste, sociologue

Les liens de serviabilité sociale se sont transformés en liens de servitude et de servilité au sein de la confrérie des fous de Dieu et échappent à la grille de lecture du don de soi telle que théorisée par Durkheim.

Le feu a envahi l’espace social africain de ces trente dernières années pour manifester un mal-vivre des populations. De technique au début -pneus, détritus, poubelles, étals- il prend de plus en plus de signification en passant vers l’individu social : du Moyen-Orient à l’Afrique noire, ceux qu’on a qualifiés quelque part de « fous de Dieu » ont éclairé la scène sociale de leur personnalité, pour aider à mieux saisir un message nouveau.

Avec le renouveau islamiste de ces trente dernières années né principalement des événements d’Iran avec l’Ayatollah Khomeiny en lutte non armée contre le Chah, beaucoup d’études et d’analyses ont voulu circonscrire le phénomène au seul secteur musulman. C’est oublier l’apport et l’éclairage de l’extrême-droite intégriste chrétienne sous la forme d’un « retour en force du religieux, de son identité et de ses nouvelles croisades sociétaires » (1). Le vocable reste le même, au-delà du cultuel, l’extrémisme, c’est-à-dire l’intégrisme, et il devient pluriel : juif, bouddhiste, hindouiste, catholique, protestant, orthodoxe ou même… laïc, aux dires de Abramovich.
Mais comment comprendre qu’un concept basé sur l’égoïsme, le repli sur soi, un retour en fait à des fondamentaux poussé à des limites vitales du don de soi, puisse servir de prétexte à une ouverture vers les autres congénères afin de mieux les protéger ? Car le fondamentalisme est également devenu islamiste, dans la cosmogonie musulmane qu’il transcende, puisqu‘il n’est aujourd’hui possible d’appliquer la religion qu’en allant presque au-delà de la religion, dans une recherche d’un certain purisme qui enlève certaines scories au temps, à l’espace.

Comment les liens de serviabilité sociale se sont-ils transformés en liens de servitude et de servilité au sein de la confrérie des fous de Dieu pour entraîner certaines inégalités sociales nées d’une nouvelle hiérarchisation des relations ?

Comment une mort voulue et programmée est-elle signe ou source de vie ? Quelle interprétation donner au triptyque de Durkheim dans sa modélisation du suicide, base ontologique et consubstantielle à l’activité d’un fou de Dieu ? Pourquoi l’extrême-droite chrétienne n’est-elle pas arrivée au même niveau de sacrifice suprême que son parallèle musulman ou islamiste ?

Telles sont les questions à la base de cette contribution au débat qui comprend ce don vital de soi sous l’éclairage de Durkheim avec son étude du suicide (éditée en 1904-1905) qu’il faudra cependant nuancer, le concept ayant vieilli et pris quelques rides sous les effets combinés des ans, des nouvelles segmentations sociales, des nouvelles représentations symboliques, des nouvelles formes de puissances d’individus illuminés et enflammés à l’extrême, comprenant le bénéfice qu’ils pourraient tirer d’une inclination du fait religion transposé sur le plan non plus de la représentation politique (extrême-droite), mais de la bataille sociale (islamisme).

Le Proche-Orient devient ainsi un champ d’études appréciable pour le sociologue dans les difficultés de cohabitation entre les principales religions révélées. Une nouvelle compréhension de l’objet religieux se vérifiera même dans les exemples sénégalais survenus entre 2008 et qui se sont accélérés entre 2011 et 2023 : des questions d’espace et de renouvellement de paradigme nécessitent la mise à contribution de la communauté scientifique autour du concept afin d’aider à approfondir le débat. Ici, il s’agit de le poser en fonction de l’évolution sociale.

Le refus d’une certaine modernité a conduit à un fondamentalisme qui a pris ses racines dans l’Église avec le concile de Vatican II ( 2). On notera par la suite que les intégristes chrétiens ont envahi les partis néofascistes comme le Front national français, le Vlaams Blok/Belang ou celui du FN belge ; ils se sont également constitués en blocs, dans les parlements démocratiques, pour défendre les valeurs de l’Occident chrétien contre les Juifs, principalement.

Abramovich note en effet que « tous les fondamentalismes religieux, comme les sectes d’ailleurs, prônent les mêmes préceptes : retour à l’origine première des textes dogmatiques, repli communautaire, coupure nette ou limitation extrême des relations avec l’extérieur, construction d’une vision mythifiée pour expliquer la création du monde, mise à l’index des théories scientifiques sur l’origine de l’homme, proclamation de l’opposition radicale à la séparation des pouvoirs politique et religieux… ».

Le spiritualisme nouveau voisine souvent avec des idéologies similaires et anti-sémites des Charles Maurras, Henry Coston, …et se dote conséquemment de structures d’application de la théorie et de la pratique (« Belgique & Chrétienté », l’Opus Dei, les « Légionnaires du Christ », la « Milice de Jésus-Christ » “, les « Chevaliers de Saint-Michel et de Saint-Georges » et de divers autres ordres de chevalerie semi-clandestins toujours voués à la défense de l’Occident chrétien).

Conçu ici pour l’intérêt exclusif d’une communauté, le phénomène ne se comprend que par le droit à la vie, le maintien de la communauté dans une ferveur qui rejoint plus la beruf de Max Weber que le suicide de Durkheim (3) ; il se rapprocherait ainsi des loges. Or, il devient autre puisqu’il va progresser jusqu’au sacrifice, tout en ayant le même tréfonds social de liens de serviabilité qui deviennent force de servitudes et de servilité sociales ; la problématique rejoint ainsi Durkheim dans son approche du suicide et le syncrétisme se réalise entre Abramovich et Yawo (4) quand l’amour pour les siens devient excessif au point d’entraîner un don de soi, de sa vie, aussi bien dans les trois ordres édictés par Durkheim : le suicide anomique, le suicide égoïste et le social altruiste. Parfaite rencontre Nord-Sud qui inclue cependant une nouvelle donne absente chez les intégristes chrétiens : la mort. Quelle qu’en soit la forme.

« Dieu, amour, paradis, mort ». Des mots qu’on retrouve dans toutes les religions mais qu’aujourd’hui on exploite de plus en plus pour résoudre, au nom même de Dieu, les conflits. «Les fous de Dieu, proposant de formes inédites de guerre, qu’ils s’obstinent à présenter comme « sainte », font la Une », écrit Yawo. Le terme « exploiter » donne cependant une autre interprétation de cette forme de suicide lorsque le candidat se présente somme toute sous la forme d’un kamikaze…volontaire ou obligé.

Certes, l’intervention du Groupe islamique armé (GIA) du 8 mai 1994 à Alger avec l’assassinat de Sœur Saint Raymond Paul-Hélène et du Frère Mariste Verges Henri rejoint le spiritualisme nouveau de Maurras et autres et se nourrit de la même idéologique anti-juive. Le drame japonais du 11 mars 2011 démontre même, in fine, cette volonté du don de soi pour combattre un ennemi (la radioactivité) au profit de la communauté et cet aspect « Pucelle d’0rléans » devant combattre l’ennemi (l’étranger) avec la mort au bout du fusil se retrouve dans les exemples cités par Yawo de Jan Palach, l’étudiant qui s’immola par le feu sur la place Venceslas en 1969 pour protester contre l’occupation soviétique, celui des bonzes bouddhistes du Vietnam « torches-humaines » qui, dans les années ’60, protestaient contre la guerre imposée par les Américains. Qui conclut par « L’histoire chrétienne a aussi connu une époque où l’on faisait la guerre en criant : « Dieu le veut ! ». Mais Yawo semble confondre le fond et la forme entre suicide et terrorisme (« la mort acceptée, subie, endurée et qui exalte les ceintures bourrées d’explosifs destinés à l’immolation volontaire d’un nombre incalculable de victimes innocentes qui semble ouvrir la porte au martyre) ».

Certains spécialistes (Kaly Niang, en particulier) ont avancé comme éléments de compréhension un malthusianisme social né d’une absence de repères et de cercles d’appartenance préjudiciable aux plus faibles. Le Sénégal a en effet connu des distorsions sociales au cours de ces trente dernières qui ont déstructuré la société et l’individu social : le tissu social s’est déchiré et les classes sociales ont connu un décloisonnement inquiétant entre 1980 et 2000 (les années Abdou Diouf) qui a facilité l’alternance du 19 mars. L’attente démesurée d’un lendemain meilleur qui tarde à se vérifier expliquerait alors les vies consumées de ces vingt dernières années.

L’inévitable Iba Der Thiam s’est hasardé à un bilan de ces dix dernières années (2011) pour démontrer dans les faits que les espérances entrevues et attendues n’ont pas permis un progrès significatif entre 2000 et 2011, toutes proportions gardées, aussi bien dans le secteur agricole où le rendement est resté le même entre les deux dates repères (2000-2011) que dans l’éducation avec les éternels 40% accordés par Senghor au budget.

La conjonction de dysfonctionnements économiques (les tensions de trésorerie des économistes) à fortes conséquences sociales (les pénuries, délestages et autres vérités des prix et mal-gouvernance) a abouti à une violence observée en décembre 2007 avec les marchands ambulants, mais aussi avec la descente des populations dakaroises dans la rue, le 06 juin et le 11 octobre 2008…et depuis mars 2021.

Ces attitudes extrêmes, dans un cas comme dans un autre, traduisent un mal-vivre qui a entraîné des bouleversements sociaux et des déséquilibres dans le comportement de l’individu social qui décide de transgresser à son tour des règles que l’autorité a établies sans les respecter elle-même : l’État a été incapable d’organiser des espaces d’évolution en faveur de sans-emploi qui essaient de s’en sortir tout seuls après les dégraissages de l’administration, les restructuration bancaires, les départs volontaires ratés ; il n’a pas su assurer le bien-être des individus par une offre continue de services dans le secteur de l’électricité ; il n’a pas su susciter les conditions de participation honorable de l’équipe nationale du Sénégal, etc…

La conséquence immédiate en a été une nouvelle forme de réappropriation du droit à des services que l’État est apparemment incapable d’assurer dans la continuité. Alors que, sur un autre plan visité par la durée, les difficultés de gestion du temps et de l’espace ont fini par déséquilibrer nombre de Sénégalais dans leur vie individuelle et collective.

En processus de survie honorable dans un milieu hostile, le Sénégalais est devenu dans la réalité identique à l’aliéné mental qui nous parle de sa société à l’envers : ils font tous du sacré le profane et inversement. Si l’aliéné rejoint là des normes qu’il établit lui seul, face à une société qui n’a pas su le sauver de son âme en deuil d’un idéal de réussite autour des cinq fonctions animales fondamentales : se loger, se nourrir, s’habiller, procréer et, éventuellement, se divertir, le « normal » se plaît à certains moments à rompre les amarres pour crier sa crainte d’être réduit au même état mental à force de privation et de tentative de castration.

Le Sénégal d’aujourd’hui présente des difficultés particulières dans ces secteurs et des études ont prouvé que des pères de famille fuguent régulièrement en laissant près d’une dizaine d’enfants à la charge de leur mère parce que incapables de faire face à ce qui faisait leur autorité : la puissance de l’argent ; aussi la pauvreté se féminise-t-elle de plus en plus ; de même, les services psychiatriques reçoivent environ 2.000 individus par an qui se sentent mal dans leur peau après un départ « volontaire » peu réussi, sans parler des consultations d’enfants rongés par l’anxiété d’un futur…sans lendemain. Ainsi, sur une population majoritairement féminine au niveau des ménages (4.123.759 contre 3.760.498 hommes), les 777.931 chefs de ménage comprennent désormais 20% de femmes (ESAM, 1991). Depuis, les choses n’ont pas évolué dans le bon sens, surtout après trente années de sacrifices imposés aux Sénégalais par le régime socialiste. C’est sous cet angle qu’il faudrait essayer de comprendre le repli sur soi du Sénégalais moyen qui ressasse sans cesse sa rancœur, après un Eldorado rêvé en 2000. Ce repli rappelle les premières heures de la naissance du mouvent des Fous de Dieu, dans l’extrème droite chrétienne

Le Professeur Henri Collomb qui fait notoriété dans le domaine explique que « La folie interroge l’homme et la société lui répond de façon différente », rapporte un éminent psychiatre sénégalais (Pr Omar Sylla, “Le Devoir”, Dakar, volume 3, n° 1, 29 novembre 1991, pages 4 et 5). Ce déchirement intérieur a créé un chaos dans l’esprit des Sénégalais moyens qui ne reculent plus dans leur volonté de remettre à l’endroit ce qu’ils pensent avoir été bousculé par les tenants du pouvoir actuel. En fonction de leur capacité plus ou moins grande de résistance, ils passent du souhait à l’acte ou pas : Kéba à Dakar, une dame en Italie, l’incident de Pikine avec la tentative d’assassinat présumée et les menaces de Saliou Guèye qui vont avoir de plus en plus d’influence sur quelques Sénégalais dans leur désir secret d’en découdre avec le pouvoir. Ils seront passés par plusieurs étapes dans leur longue marche vers la dissidence mentale et sociale, du « burn out » au « worm lout » des psychologues.

Au lendemain du 30 mars 1981, les services de renseignements américains (Fbi) ont recensé et arrêté un certain nombre d’individus ayant avoué leur aversion pour le président de l’époque et leur volonté de mettre fin à son administration ; John Hinckley avait traduit en acte le vœu secret de nombre de ses compatriotes de se débarrasser de Ronald Reagan. Dans une société à la densité morale peu forte comme le Sénégal, l’extériorité à soi crée une sorte de halo de protection de l’individu : la famille et, surtout, la religion, retardent le saut dans l’inconnue en imposant le « nous » au « je ». Théoriquement. Depuis environ une génération (1988), cette assertion ne tient plus.

Si le monde est un chaos permanent, l’action de l’homme est de lui donner un sens, à ce monde bouleversé. Par un métabolisme qui permet de mieux gérer le temps social et l’espace. Aujourd’hui, les ruptures dans la satisfaction des besoins essentiels ont entraîné de plus en plus de césures avec l’entourage immédiat et la négation d’un ensemble de références collectivement partagé. Et ce sont les aliénés dont la société et la morale, c’est-à-dire le droit sont complices qui indiquent la voie à suivre aux sains d’esprit dans leur vision du père symbolique (PR : président de la République).

En l’espace d’une semaine, entre le 18 et le 25 novembre 2008, des actes apparemment irréfléchis ont été posés en direction du président de la République, à Pikine, et de son fils et successeur présumé, Karim Wade.Ils s’ajoutent à des violences perpétrées dans la zone de détention et de dévolution du pouvoir, le Palais de la République, et au siège de la société du fils de son père, celui de l’Agence nationale pour l’Organisation de la Conférence Islamique (Anoci).

Dans les deux cas, on a prétendu avoir affaire à des déséquilibrés, terme commode lorsqu’une société ne veut regarder une autre forme de réalité décidée par la déviance sociale grandissante au Sénégal depuis l’alternance de mars 2000, le déséquilibre mental qui a « extasié » nombre de compatriotes naguère très BCBG.

Ainsi, un individu s’est immolé par le feu devant la présidence de la République, rappelant un autre bonze bien sénégalais, même s’il a choisi l’Italie pour accomplir le même geste, plus, enfin et provisoirement, un certain Saliou Guèye qui aurait envoyé des missives à des responsables sénégalais pour expliquer qu’il s’aspergerait d’essence le 27 novembre 2008 devant les grilles du palais pour se faire griller ; l’endroit sera interdit aux piétons ce jour-là, de l’annexe aux environs de l’hôpital « Principal », et ceci dans les deux sens et sur les deux trottoirs. Moustapha Niass de l’Alliance des Forces de Progrès (Afp) parviendra à le dérider en promettant de venir à son secours, pour une dette de près de deux millions que Guèye ne pouvait à honorer (“L’As” n° 968 du 28 novembre 2008).

Les Immolations

et tentatives notées

Maodo Sall le dimanche 20 mars 2011

Oumar Bocoum : le 17 février 2011

Cheikh Tidiane Ba : le 25 février 2011

Kéba Diop : 28 septembre 2008

Penda Kébé en Italie : 07 décembre 2007

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NOTES

1-Manuel ABRAMOWICZ : Le retour des fous de Dieu…, © RésistanceS – www.resistances.be – Bruxelles – Belgique – Mise en ligne sur le site de RésistanceS : 3 juillet 2005

2.Le 11 octobre 1962 Jean XXIII ouvrait à Rome le concile œcuménique Vatican II. Dans son discours d’ouverture, le Pape donna le ton et l’esprit des travaux: “Notre devoir n’est pas seulement de garder ce précieux trésor comme si nous n’avions souci que du passé, mais nous devons nous consacrer, résolument et sans crainte, à l’ouvre que réclame notre époque, poursuivant ainsi le chemin que l’Église parcourt depuis vingt siècles”. De 1962 à 1965, ce concile rassemblant tous les évêques du monde fut un événement considérable par le nombre et l’importance de ces propositions(Internet)

3. Max Weber : « L’Ethique Protestante et l’Esprit du Capitalisme », PUF, 1968

4.Gaétan N. Yawo : Les fous de Dieu, in “Afrique Espoir” N° 27 Juillet – Septembre 2004

Sur le Sénégal, « L’Observateur » n° 1556 du 27 novembre 2008 a consacré un important dossier à ce sujet, en pages 6 et 7.

Source :

Koccbarmafall/skyblog

Samedi 26 Mars 2011